Chapitre IV

Mogador

La préparation de l’Afternoon Tea s’inscrivait parfaitement dans la culture britannique adoptée par les Mogadoriens. Au fil de leur histoire, ils avaient été fortement influencés par la présence anglaise dont la langue s’imposa comme la langue des affaires et de l’administration locale que les juifs de Mogador, conscients de son importance, apprirent très rapidement pour profiter de l’essor économique impulsé par la Grande-Bretagne et pour s’ouvrir au commerce international. Ils furent immédiatement séduits par les bonnes manières britanniques, proches de leur propre code de bienséance où chaque événement suivait un protocole strict, où le moindre écart était inconcevable. Fêtes, mariages, Bar Mitzvahs, préparation du thé ou accueil des invités, s’asseoir, tenir sa tasse, siroter son thé, manipuler ses couverts ou poser ses jambes, relevait de l’univers impitoyable de leur art rigoureux de l’étiquette. « Ça ne se fait pas, tient toi droite, baisse les yeux quand tu parles ! Ne croise pas les jambes, tu n’es pas bien peignée, enlève ta robe immédiatement elle a un faux pli ! On ne dit pas à tes souhaits ! On ne dit pas enchanté ! Avec eux la vie était une leçon quotidienne de morale, de noblesse de l’esprit, du corps et de l’âme, rien n’était épargné. Eux, avaient un comportement spontané qui correspondait à leur éducation. Mais grandir dans leurs clans à l’heure d’Elvis Presley ou de Johny Hallyday, de la minijupe ou des seins à l’air en string sur les plages de Casa n’était pas facile.

Ils portaient un vif intérêt aux écoles anglaises, des institutions incontournables, surtout pour les jeunes filles. C’est dans ces établissements, nés des missions culturelles britanniques, que Symine, la mère de Rose, s’imprégna dès l’enfance de cette culture. Implantées dans les grandes villes, ces écoles offraient une alternative moderne et laïque aux établissements juifs traditionnels plus conservateurs. Elles étaient réputées pour leur rigueur et leur qualité, elles dispensaient les cours en anglais, et s’appliquaient à former une élite cultivée.

Dans les foyers comme ceux de Berthold et Rose, l’influence britannique était omniprésente on s’habillait british, on parlait british, on importait tissus, chapeaux et chaussures british, on avait une british attitude et un balai dans l’cul britisho-mogadorien inscrit dans les gènes de cette société arrogante, délicieusement délicate, et d’une tendresse savoureuse. Cette emprise culturelle avait pourtant une face sombre.

Si la présence britannique à Mogador a facilité l’expansion économique de la ville et son ouverture au commerce international, elle a également importé avec elle un antisémitisme déjà bien ancré dans certaines sphères britanniques au XVIIIe et XIXe siècles. Ce préjugé, jusque-là marginal dans le contexte marocain, s’est progressivement infiltré dans les pratiques sociales, les représentations des autorités coloniales ainsi que dans les cercles économiques.

Les juifs de Mogador, jusque-là acteurs clés du dynamisme commercial et pleinement intégrés à la société locale, ont vu leur position se fragiliser avec la diffusion de ces stéréotypes européens.

Bien que leur savoir-faire économique fût reconnu, leur accès aux cercles d’influence britannique et leur statut social furent restreints. Ce changement a progressivement instauré une hiérarchisation communautaire inspirée des logiques raciales européennes, bien éloignées des structures traditionnelles marocaines.

Slil

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