Césars et culs serrés

Il parait que c’était une « autre époque » où « tout le monde » trouvait ça plus ou moins normal de coucher avec de très jeunes filles et de très jeunes garçons…

“Une autre époque “, je veux bien le croire mais le  “tout le monde “ j’ai des doutes. 

Et de la mémoire aussi. Je me souviens que, quand, avec mes copines, nous regardions les couples de cinéma formés par ces jeunes filles et ces vieux messieurs, nous ne nous extasions pas. Je me souviens du fou rire qui nous avait pris quand nous avions vu Vanessa Paradis amoureuse folle de Bruno Crémer dans Noce Blanche. Dans la salle, lors d’une scène de sexe, nous avions gloussé, l’une de nous avait même chuchoté un Beurk ! Ces histoires qu’on voyait à l’écran ne nous faisaient pas rêver. C’est le cinéma qui nous faisait rêver. Ce n’est pas la même chose. Ce fantasme de Lolita ne nous appartenait pas, on nous l’imposait. 

J’ai vu récemment une interview de Francesca Gee, une des victimes de Matzneff. Elle dit que, selon les nombreux retours qu’elle avait à l’époque, les seuls milieux complaisants avec l’écrivain étaient les « élites » (Éditeurs, journalistes, patrons de presse, homme d’affaires, personnalités intellectuelles, culturelles et politiques) et que l’homme, même à l’époque, choquait la plupart des gens « ordinaires ». 

Je me souviens d’un autre Gabriel, Gaby, le père de ma copine de collège Isabelle, chez qui nous allions observer les têtards qu’elle élevait dans son aquarium. Gaby était un fort en gueule, qui répétait toujours en riant que « si jamais un vieux schnock s’avisait de proposer à sa fille de lui faire faire du cinéma à poil, il lui ferait rentrer le nez à l’intérieur à coup de clé à molette ». 

Je me souviens de ma famille, de mes proches. Ceux qui nous agaçaient, en nous rappelant sans cesse que nous étions encore des enfants, pas des femmes. Des gens simples, des français moyens, qui regardaient ses « coucheries » parisiennes d’un air perplexe. Je me souviens de ma tante Hélène, qui, avait toujours assumé avec fierté sa réputation de « femme libérée » et qui me répétait pourtant tout le temps « Gamine, méfie-toi bien des vieux saligots qui voudront mettre leurs sales pattes sur toi. Compris ? ». 

Il y a 30 ou 40 ans, comme maintenant, un vieux dégueulasse était un vieux dégueulasse pour la majorité des gens. Il y a 30 ans ou 40 ans, comme maintenant, ça n’était pas le rêve de toutes les jeunes filles de se faire tripoter par des quinquagénaires libidineux. Ça ne l’a jamais été. Du moins pour beaucoup d’entre elles. 

Ce qui a existé c’est l’influence. C’est l’exemple qu’on nous a mis sous le nez d’une prétendue «élite », dont les actes n’étaient jamais remis en cause. De toute façon, qui étions-nous pour se montrer choqués devant ces comportements ? Des ploucs ? Des ringards ? Des coincés ? Des culs-serrés de province ? 

A une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, qui se souciait de l’avis de monsieur et madame tout le monde ? Qu’est-ce qu’on en avait à faire de l’opinion de la majorité silencieuse, des tantes Hélène et des Gaby le-tourneur-fraiseur, à part pour l’écarter avec dédain ou s’en moquer ? 

Même à l’époque, je me demande s’il existait beaucoup d’endroits, à part les locaux du journal Libération où un pédophile notoire pouvait venir tous les jours, accompagné de son malheureux jeune « neveu » ? 

Même à l’époque, est-ce qu’on rencontrait beaucoup de situation où un type pouvait venir pérorer tranquillement sur le thème « Quand une petite fille de 5 ans vous déshabille, c’est fantastique » à part sur un plateau de télévision ?

Bien sûr que ces horreurs ont malheureusement toujours existé et dans tous les milieux. Ce qui change peut-être, c’est que ce n’est pas « dans tous les milieux » qu’on l’affichait et s’en vantait, avec cette tranquille assurance. C’est pire. Parce qu’on est encore plus coupable quand on commet (ou qu’on laisse faire) une saloperie et qu’en plus, on contribue à la rendre « cool » et à la banaliser aux yeux de la société (et des malheureuses futures victimes)

Alors, depuis quelque temps, comme vous, j’observe avec détachement ce petit monde de la culture, qui s’agite dans son bocal, comme les têtards de ma copine Isabelle. Je suis témoin de leurs gesticulations, de leurs soudaines prises de consciences, de leurs retournements de veste, je les regarde traîner dans la boue ceux qu’ils ont adulés et porter aux nues celles qu’ils avaient lâchement abandonnés. 

Je continue à adorer le cinéma, le théâtre, les livres, la musique, je continue à me nourrir avec bonheur de culture et je ne cesserai jamais de le faire, mais ces gens ne me fascinent plus. 

Les choses bougent, les nouvelles générations remplacent les anciennes, nous verrons si c’est mieux ou pire dans quelques années. Peut-être que, comme dans « Le guépard », faut-il que « tout change, pour que rien ne change » et que seule demeure, l’immuable capacité de ce péremptoire petit milieu, à toujours décider pour nous de ce qui est bien ou mal et à toujours nous faire la leçon. 

Je pense souvent à ma tante Hélène, qui dirait sûrement aujourd’hui : « Gamine, méfie-toi de ceux qui se prennent pour des boussoles, alors qu’ils ne sont que des girouettes. Compris ? »  

Nathalie Bianco

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