Pendant que toi, tu marines dans ta burqa de bain, c’est ma liberté et celle de nos filles que je regarde prendre l’eau, petit à petit.

Inévitablement, nos regards vont finir par se croiser. Je suis une fille polie, je vais tout faire pour essayer de ne pas trop te dévisager mais à un moment ou à un autre, quand je vais sortir de l’eau, quand tu vas y rentrer, en haut de l’échelle ou au bout de la ligne de nage on va se rencontrer. Si mon œil s’attarde sur toi bien malgré moi ne le prends pas mal : c’est ton étrange tenue,  ta « burqa de bain » qui m’interpelle. Pas toi. Alors bien sûr, je détournerai le regard. Peut-être même que l’amie avec laquelle je serai venue me poussera du coude : « c’est sa religion » me murmurera-t-elle. C’est une amie adorable, elle nage super bien le crawl mais question réflexion, parfois, elle est larguée ; parce que ça m’étonnerait qu’un dieu, il y a 1400 ans de ça, se soit préoccupé de savoir dans quelle tenue les femmes devaient aller à la piscine municipale. Il a donné des consignes sur le taux de chlore aussi ? Sur la crème solaire ? Indice 30 ou 50 ? 

Bref. Il faut que tu saches que je n’ai rien contre toi. Je ne te suis pas hostile. Tu fais ce que tu veux. Si tu tiens absolument à te baigner dans cet accoutrement, quand on sait à quel point c’est difficile et désagréable de nager avec des vêtements mouillés, c’est ton problème. Le truc qui me dérange, c’est tout le bordel que vous avez foutu, toi et tes copines militantes pour faire changer une règle que tout le monde respectait, au nom d’un communautarisme religieux dont personne n’a rien à faire, y compris la plupart de tes coreligionnaires, qui ne demandent qu’à ce qu’on leur foute la paix. (La plupart de ceux que je connais sont d’ailleurs plutôt très gênés de ces gesticulations).

Parce que, dis-moi, nouvelle-copine-de-piscine, tu es comme moi, tu as des enfants ? Tu fais de ton mieux pour les éduquer ? Comme moi tu t’échines à leur apprendre qu’en société, pour bien vivre ensemble, il faut respecter les règles communes?  A la piscine comme ailleurs. 

Alors, oui, on va sous la douche, même si elle est froide. Non, on ne fait pas pipi dans l’eau même si personne ne le voit. Oui, on met un bonnet de bain, même si c’est moche. Non, on ne peut pas faire le kéké avec ce caleçon à fleurs, même s’il est propre, il faut mettre un maillot, non, on ne court pas autour du bassin etc… Je me dis que ça va être difficile de leur expliquer, à tes gamins, que toi, au nom de ton rigorisme politico-religieux tu as exigé de t’affranchir des règles communes. Que tu as fait pression, avec tes copines, jusqu’à faire évacuer les bassins les années précédentes, jusqu’à ce qu’on cède à tes caprices. « Les règles c’est pour tout le monde, sauf pour nous ». C’est un message étonnant que tu envoies à tes enfants. Et c’est un message dérangeant que recevront les miens  :  Chaque partie du corps d’une femme, du coude au genou, en passant par le ventre, est potentiellement un objet de tentation et d’excitation sexuelle et il est normal qu’elle doive le couvrir en entier, même pour nager. 

Je te vois venir… tu vas me parler de liberté et de discrimination. Tu vas me citer Rosa Parks… Pardon, mais Rosa Parks était empêchée de monter dans un bus à cause de sa couleur de peau. Soit un prétexte scandaleux sur lequel elle ne pouvait pas agir. Toi, tu n’as jamais été « discriminée », il t’était juste demandé, comme à tous les usagers de respecter le règlement. Personne ne contrôle les origines, les opinions politiques ou la religion des gens à l’entrée des piscines municipales et c’est heureux. 

Après, tu vas peut-être aussi me sortir des photos de nos arrières grand-mères qui se baignaient avec d’étranges tenues. Sous mes lunettes de natation, je lèverai les yeux au ciel : C’était en 1900 ! Au début du siècle. Les femmes n’avaient même pas le droit de vote ! 

Bon, là, je te dis tout ça dans ma tête, parce que, à ce stade de ma réflexion, forcément j’aurai arrêté de te regarder pour ne pas te gêner. Je serai repartie essayer de nager ce putain de crawl sans me noyer. Ma copine se marrera. Elle me donnera des conseils et bien sûr, je n’arriverai pas à respirer au moment où je sors la tête de l’eau. Un battement sur trois …Pff… je ne suis jamais synchronisée. Toi non plus d’ailleurs, t’es pas très synchrone avec l’époque. Parce que la banalisation d’un dogme qui prône l’obligation de pudeur pour les femmes et qui considère que celles-ci doivent dissimuler la totalité de leur corps, on ne peut pas parler d’un grand  « progrès ». Les pseudos féministes qui validez cette connerie, je vous donne rdv dans quelques années, quand ces idées auront progressé au point d’être majoritaires dans certains endroits. 

Cette fois-ci, pas question de détourner les regards : c’est dans les yeux qu’il faudra fixer celles qui n’oseront plus se mettre en maillot de peur d’être considérées comme « impudiques ». C’est les yeux dans les yeux qu’il faudra leur expliquer que vous les avez abandonnées, au nom d’une prétendue tolérance et “inclusivité “.  J’extrapole ? Je fantasme ? Qu’est ce qui se passe quand une idéologie minoritaire se développe petit à petit jusqu’à devenir une nouvelle norme  ? Chère nouvelle copine de piscine, tu peux me citer beaucoup d’endroit dans le monde prônant la pudeur féminine où les « rebelles » peuvent se baigner sans risque en bikini ? 

Et puis, dis-moi, de toi à moi, depuis quand des injonctions sexistes libèrent -elles les femmes ? 

Parce que aucun homme ne devra jamais se conformer à ces préceptes répressifs. Pendant que toi, tu marines dans ta burqa de bain, ton mari promène librement son torse poilu et son gros ventre nu, sans problème. Il profite du soleil, de la douceur de la petite brise, de la fraîcheur de l’eau sur sa peau. Serein. Pas un mollet, pas un genou, pas un centimètre de peau féminine impure pour le troubler. Il est tranquille. Toi aussi. Tu as choisi librement tes chaînes. C’est le moment de relire « la servitude volontaire » de La Boétie. Ce n’est pas une lecture de vacances ou de plage. Mais c’est une lecture d’actualité. 

Alors d’avance, pardon, nouvelle copine de piscine, si je te contemple avec un peu d’insistance et de tristesse. Ce n’est pas toi que je fixe. 

C’est ma liberté et celle de nos filles que je regarde prendre l’eau, petit à petit.

Nathalie Bianco

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