La cour suprême est-elle un pouvoir supérieur au parlement ?

Avant de répondre à cette question qui traverse l’ensemble des pays occidentaux, et notamment Israël avec un projet de réforme judiciaire, il convient de décrire les systèmes judiciaires Français et Israélien.

Le cas français

En France, justice judiciaire et justice administrative sont distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Les tribunaux et cours de chaque ordre sont organisés selon une structure pyramidale : 

– une juridiction de première instance

– une juridiction d’appel

– une juridiction de cassation.

L’infographie suivante décrit bien l’organisation de l’ordre judiciaire relevant des juridictions civiles et pénales.

La justice administrative comprend : 

– le tribunal administratif

– la cour administrative d’appel ou le Conseil d’État

Le Conseil d’Etat :  Créé par Napoléon en 1799, a comme rôle premier de conseiller le gouvernement sur les projets de loi notamment. Son second rôle est celui de la plus haute des juridictions de l’ordre administratif.

Les conseillers d’État sont nommés par décret du président de la République en conseil des ministres. Ils sont principalement recrutés parmi les maîtres des requêtes ayant exercé 12 années et accompli leur mobilité statutaire.

Le Conseil constitutionnel : C’est une institution créée par la Constitution du 4 octobre 1958.

Le Conseil constitutionnel assure le contrôle de la constitutionnalité des lois, veille à la régularité des élections nationales (dont il promulgue les résultats) et peut être amené à donner des avis dans certains cas spécifiques.

En France, il est assez rare que le Conseil constitutionnel censure l’intégralité du texte d’une loi. Il se limite généralement à des censures partielles concernant certains articles du texte de loi. L’objet de la censure est de bien montrer que l’article ne respecte pas la constitution.

Les membres du Conseil constitutionnel sont au nombre de neuf :

– trois nommés par le président de la République

– trois par le président de l’Assemblée nationale

– trois par le président du Sénat. 

Ils sont nommés pour une durée de 9 ans et renouvelés tous les 3 ans.

Le cas israélien

Le droit israélien repose sur la séparation des pouvoirs et sur un système judiciaire indépendant. Il repose sur diverses sources influencées par la common law britannique. On y trouve également des influences du code civil ottoman, de lois religieuses (loi juive et loi musulmane). 

Plus récemment, les tribunaux israéliens ont été influencés par les juridictions nord-américaines. Les pouvoirs judiciaires en Israël sont confiés à l’autorité judiciaire. 

L’autorité judiciaire comprend :

– le système judiciaire israélien dirigé par la Cour suprême 

– ainsi que les tribunaux du travail.

 Il existe trois niveaux judiciaires dans le système judiciaire : 

– la Cour suprême, 

– les tribunaux de district

 – les tribunaux de première instance

L’indépendance du pouvoir judiciaire est garantie contre l’ingérence du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. La Cour suprême est à la tête du système judiciaire israélien. Sa juridiction s’étend à tout le pays.  Il y a actuellement 15 juges à la Cour suprême. Une jurisprudence rendue par la Cour suprême lie toutes les juridictions, à l’exception de la Cour suprême ; c’est le principe du précédent contraignant qui est la pratique en Israël. La Cour suprême fait office de cour d’appel et de Haute Cour de justice (HCJ). Un juge est nommé par le président de l’État, tel que sélectionné par le « comité de sélection des juges ». Un juge en Israël est sélectionné en fonction de ses qualifications professionnelles.

Le Comité est composé de neuf membres qui sont :

– le président de la Cour suprême, 

– deux autres juges de la Cour suprême choisis par leurs collègues juges, 

– le ministre de la Justice 

– un autre ministre mandaté par le Gouvernement, 

– deux membres de la Knesset sélectionné par la Knesset, 

– deux représentants de l’Ordre des Avocats: Le ministre de la Justice est le Président du Comité.

Une fois nommé, le juge exerce ses fonctions jusqu’à la retraite à l’âge de 70 ans. Le monde judiciaire (juges et représentants de l’Ordre des Avocats) est majoritaire dans le comité de sélection. Pratiquement aucune autre démocratie ne permet aux juges en exercice d’être impliqués dans le choix de leurs propres successeurs, et encore moins d’avoir un droit de veto sur le choix, et ce pour une bonne raison.

Dans la plupart des autres pays démocratiques du monde occidental, le politique nomme les juges suprêmes, ceci reflétant les différentes composantes de la société au gré des alternances politiques et permettant d’éviter le corporatisme.

Tout comme au Royaume-Uni, le poste d’Attorney General (procureur général) existe en Israël.Ses fonctions principales se résument à être chef du ministère public et conseiller juridique du gouvernement. 

Une incongruité du droit israélien est la clause de raisonnabilité, postérieure à la révolution juridique effectuée par l’ancien président de la Cour suprême dans les années 90. La norme du caractère raisonnable est un héritage du mandat britannique. Le nom réel de cette norme était la “doctrine de l’extrême déraisonnabilité » et n’était destinée à être utilisée que dans des cas extrêmes.

Cette nouvelle clause telle qu’imaginée par Aharon Barak, à savoir que maintenant c’est l’opinion du juge et sa perception subjective de ce qui est raisonnable et de ce qui ne l’est pas, est ce qui permet à la cour d’invalider des lois votées par le parlement, d’invalider diverses décisions gouvernementales, et notamment des nominations de fonctionnaires. Autrement dit, les décisions du gouvernement pouvaient être « si déraisonnables qu’elles étaient illégales », même si elles ne violaient aucune loi.

Dans un pays démocratique, décider si une politique donnée est raisonnable ou non n’est pas l’affaire du tribunal.

Établir la politique est la principale responsabilité du gouvernement élu, et décider si les politiques d’un gouvernement sont raisonnables est le travail des électeurs. Si les électeurs jugent les politiques du gouvernement déraisonnables, ils peuvent et vont les rejeter lors des prochaines élections.

Le tribunal a également affirmé à plusieurs reprises le droit d’annuler les lois fondamentales, bien qu’il ne l’ait jamais encore fait.

Compte tenu de sa propre affirmation selon laquelle les Lois fondamentales sont la constitution d’Israël, cela signifie que le tribunal a affirmé le droit d’annuler la constitution elle-même. Mais en affirmant le droit d’annuler les lois fondamentales, la cour d’Israël a revendiqué le pouvoir non seulement d’interpréter la constitution, mais aussi, en fait, de l’écrire.

Si on regarde rapidement l’exemple britannique, source du droit israélien, il est écrit noir sur blanc que la souveraineté parlementaire est un principe de la constitution britannique. Il fait du Parlement l’autorité juridique suprême au Royaume-Uni, qui peut créer ou mettre fin à n’importe quelle loi. En règle générale, les tribunaux ne peuvent pas annuler sa législation et aucun parlement ne peut adopter des lois que les futurs parlements ne peuvent pas modifier. La souveraineté parlementaire est la partie la plus importante de la constitution britannique.

Qui gouverne ?

En France, nombre de politiques se sont plaints du « gouvernement des juges ». Au regard des décisions successives du Conseil d’Etat, notamment l’annulation de la décision de limiter le regroupement familial en 1977, cette appellation n’est pas usurpée. Chaque action a une conséquence, et chaque conséquence à une autre conséquence. Ceux-ci sont appelés effets de second ordre. Les conséquences sur la France sont importantes.

En paraphrasant le général de Gaulle, on pourrait dire que « La politique de la France ne se fait pas au Palais-Royal ».

La volonté du politique est essentielle. Quand bien même le Conseil d’Etat mêlerait l’idéologie à ces décisions jurisprudentielles, le pouvoir reste dans les mains du politique. Il incombe à ce dernier de recourir au référendum en cas de blocage. Mais si on compare la France au cas israélien, la situation y est bien pire qu’à Jérusalem. 15 juges suprêmes ont tous les outils pour défaire des lois, des nominations gouvernementales.

Le procureur général peut aussi dans certains cas bloquer des nominations au sein de cabinets ministériels, mesure que certains classeront comme subjective et politique. Impensable en France.

L’honnêteté exige de dire que si la gauche avait promu la réforme judiciaire, la droite se devait de la soutenir par nécessité démocratique. La réforme concernera tous les courants politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite. La majorité des opposants à la réforme, et de gauche pour la plupart, montre son désintérêt pour l’intérêt général et la démocratie telle qu’elle est pratiquée dans le monde occidental.

Au regard des actions de la Cour suprême et de son pouvoir, clamer que vouloir réformer le fonctionnement de la Cour sur le modèle des pays occidental serait une attaque contre la démocratie relève de la mauvaise foi.

Ses actions passées laissent à penser que la Cour a bien souvent protégé les monopoles économiques et les puissants de son bord politique : retard dans les champs gaziers offshore, blocage d’un plan gouvernemental pour réduire les prix de l’immobilier, etc…

Les opposants et les protestataires ont malheureusement leurs têtes remplies de fadaises.

Les lois fondamentales font office de « constitution » en attendant que le pays se décide à en rédiger une.

La réforme actuelle est votée par des amendements aux lois fondamentales qui concernent la Justice.

Un autre amendement à une loi fondamentale sur le fonctionnement du gouvernement a été adopté. Il limite le pouvoir de destitution du Premier Ministre aux motifs d’incapacité physique ou mentale et ce uniquement par le gouvernement ou par le parlement. La Cour suprême doit se réunir à ce sujet.

En France, le Président a droit à l’immunité pendant son mandat.

La position du conseiller juridique de la Knesset est claire, la Cour n’a pas le pouvoir d’annuler des lois fondamentales. A contrario, la procureure générale et conseiller juridique du gouvernement a déclaré qu’elle ne défendrait pas la législation devant le tribunal et il est attendu qu’elle recommande au tribunal d’annuler la législation.

Assisterons-nous à une crise constitutionnelle ?

Le système israélien actuel autorise un interventionnisme judiciaire dans la politique. Malgré l’inspiration du droit britannique, dans les faits le parlement reste soumis au pouvoir des juges suprêmes. Le rôle du procureur général (et conseiller juridique du gouvernement) n’est également pas neutre. Est-il sain que ce soit la même personne qui assume cette double fonction ? Encore une bizarrerie du droit israélien.

Et pourtant, la souveraineté parlementaire est un principe de la constitution britannique. En règle générale, les tribunaux ne peuvent pas annuler sa législation.

Pas compliqué de comprendre que ceux qui s’opposent à une réforme ont le plus à perdre : juges, monopoles économiques, politiciens de gauche, etc…

En France, toute réforme fiscale a échoué car on connaît bien le dicton « Dans chaque niche, il y a un chien qui mord ».

En Israël, si par miracle, une vraie réforme est adoptée pour corriger les failles du système alors on pourra discuter des échecs des volontés destructrices des forces opposantes. Si, comme beaucoup le pressentent, une réformette est adoptée et ne change fondamentalement le système actuel, on pourra alors dire que le pouvoir judiciaire garde la mainmise.

La question de l’utilité de voter sera légitime si le pouvoir appartient à 15 juges non élus au détriment des élus, représentants du peuple.

Coluche disait bien : « Si voter changeait quelque chose il y a longtemps que ça serait interdit »

Pierce Peace

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