Yelena

Chapitre VI

Les dahirs sous Vichy

Chez les mogadoriens une demande en mariage était un événement aussi important que des fiançailles. Dès l’annonce de la date officielle, la famille et les convives se souciaient de leur tenue et des présents qu’ils feraient au futur couple et à la mère de la future épouse. 

Etant donné la période de guerre, les ressources étaient limitées et les vêtements, souvent plus simples qu’avant guerre, reflétaient ces temps difficiles. 

Entre 1940 et 1942, 300 000 juifs vivaient au Maroc qui était sous l’autorité du régime de Vichy.

Trois dahirs* anti juifs avaient été promulgués par les autorités de Vichy et signés par Sa Majesté Mohamed V, sans aucune résistance de sa part.

  • Le premier dahir du 13 octobre 1940, 10 jours à peine après l’adoption du premier « statut des juifs »,  interdisait aux juifs sujets de Sa Majesté chérifienne l’accès à la fonction publique. 
  • Le second, dahir du 5 août 1941, interdisait aux juifs sujets de Sa Majesté chérifienne , l’exercice de professions dans les domaines de la finance, du journalisme, du théâtre et du cinéma, ainsi que les fonctions d’avocat et de médecin. 
  • Le dahir du 19 août 1941 le plus ségrégationniste, ordonne aux juifs marocains de quitter leurs domiciles pour réintégrer les quartier des mellahs. L’article 1er de ce dahir est très clair : « Les juifs sujets marocains occupant, à quelque titre que ce soit, dans les secteurs européens des municipalités, des locaux à usage d’habitation, devront évacuer lesdits locaux dans le délai d’un mois, à dater de la publication du présent dahir au Bulletin officiel”.

Il n’y pas eu de décision de déportation des juifs du Maroc. Après l’adoption des différents dahirs, Xavier Vallat le commissaire général aux questions juives se rendait au Maroc pour contrôler l’application du statut des juifs. Il avait été accueilli comme un haut dignitaire par le Sultan, on pouvait lire dans le journal « Le Petit Marocain » du 20 août 1941 : «  M. Xavier commissaire général aux questions juives, dit sa satisfaction des mesures prises au Maroc pour la solution du problème juif ». 

Pourtant, selon les témoins de cette époque les juifs sont restés dans les villes, ont exercé leur métier et ont bénéficié de la tolérance d’un Roi qui fermait volontairement les yeux. 

Malgré la terreur et la cruauté de ces années maudites, les juifs du Maroc avaient élaboré la stratégie du bien être pour lutter contre la terreur de l’épée de Damoclès suspendue chaque jour au-dessus de leurs têtes. 

En dépit de l’atmosphère dangereuse qui régnait, la mère de Rose avait fait le tour de tous les marchands de tissus de Mogador et de Casablanca en espérant dénicher une belle étoffe pour la nouvelle robe de Rose. Mais même au marché noir on ne trouvait rien. Ni soie, ni satin de soie, ni mousseline de soie ou taffetas de soie. Il ne restait rien de ces étoffes précieuses que Symyne achetait avant guerre pour confectionner à la main les robes longues des grandes occasions. 

Finalement, c’est Rose qui eut l’idée de demander à sa mère si elle consentirait à défaire sa jupe froncée, faite de soie opaline. Symyne était enchantée par cette idée. Rose lui facilitait la tâche. Débarrassée de ce fardeau, elle dit à sa fille : « Tu peux choisir ce que tu veux ». Le tissu de la jupe était en soie de grade A. La meilleure qualité de soie naturelle, réalisée à partir de cocons supérieurs choisis minutieusement un à un pour la pureté de leur production. Le tissu pourrait donc supporter toutes les transformations sans accidents. 

Rose et Simyne se réjouissaient. Elles avaient l’embarras du choix dans les armoires de Symyne qui débordaient de toutes sortes de vêtements faits d’étoffes précieuses. Il fallait maintenant  convoquer la couturière qui resterait à demeure pour confectionner la robe. Symyne, Fanny, Alice, et Anna, la mère de Berthold, porteraient leurs robes de fêtes, le père et le frère de Rose avaient déjà des costumes élégants qui feraient parfaitement l’affaire. 

Slil

*(décrets royaux)  sources historiques: Orient XXI

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