Chapitre XXVII

La Kasbah

 

La brise marine soufflait doucement sur Mogador. Elle était l’âme salée d’Essaouira

À Essaouira, rien ne se fige, rien ne se tait : tout vibre sous le souffle des alizés. Depuis des siècles, ce vent fidèle venu de l’Atlantique caresse les murailles blanches, s’insinue dans les ruelles étroites, s’invite dans les voiles des barques et s’attarde dans les chevelures. Il est la voix de Mogador, son battement d’aile permanent.

Ce vent n’est pas qu’un simple courant d’air. Il façonne la lumière, adoucit les chaleurs, polit la pierre et cisèle les âmes. Il a forgé une ville à son image : libre, lumineuse, ouverte au monde. Les navigateurs l’ont suivi, les marchands l’ont écouté, les artistes l’ont peint, les poètes l’ont murmuré.

Mais c’est surtout dans le cœur de ses habitants, et plus encore dans le cœur de ses femmes, que ce vent laisse son empreinte la plus vive. Les Mogadoriennes portent en elles cette légèreté indomptable et cette force discrète que le vent enseigne à celles qui grandissent sous son toit. Leur démarche semble toujours guidée par une invisible brise, entre souplesse et détermination. Elles parlent d’une voix posée, mais leur regard trahit cette tempête douce, cette fierté tranquille d’avoir grandi là où l’air est plus vaste que la terre.

Le vent de Mogador n’élève pas seulement les cerfsvolants au ciel, il élève les âmes, il forge les esprits, il offre aux femmes de cette ville une grâce particulière :

celle de rester debout face au monde, de suivre le vent sans jamais plier sous lui.

À Essaouira, le vent est plus qu’un souffle : c’est une éducation, une mémoire et une promesse d’évasion. Il habille les jours, remplit les silences, et rappelle sans cesse que la liberté est d’abord une façon d’habiter le vent.

Berthold avait entrainé Rose dans le silence de la Kasbah pour échanger les derniers baisers avant de reprendre la route pour Casablanca.

La kasbah est un quartier ancien serti dans un écrin de fortifications. Elle a joué un rôle crucial dans l’histoire d’Essaouira. La construction de la kasbah remonte au 18e siècle, lorsque la ville était connue sous le nom de Mogador, dont l’origine vient du mot phénicien Migdol «petite forteresse ». La kasbah est entourée d’une muraille de style Vauban. Elle a été construite selon les critères de l’architecture militaire de l’époque en osmose avec les principes de l’architecture et de l’urbanisme arabo-musulman.  Elle a été érigée par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah de la dynastie des Alaouites, pour renforcer la défense de la ville contre les attaques extérieures. Essaouira était un port important pour le commerce maritime entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient.

Mogador, occupait une position stratégique sur les routes du commerce maritime reliant l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Comme à Casablanca, Mogador abritait une population cosmopolite, où Amazighes, Arabes, Africains et Européens cohabitaient dans une diversité ethnique et religieuse apaisée, où les pratiques culturelles et religieuses ne s’opposaient pas. L’entrée principale de la kasbah, connue sous le nom de Bab el Marsa ou Porte de la Marine, s’ouvre derrière une imposante porte en bois, finement sculptée de motifs traditionnels. À l’intérieur, les ruelles étroites et sinueuses mènent vers des places ombragées, bordées de monuments historiques et de maisons blanches aux volets bleus, c’est une signature visuelle de la médina qui confère au quartier une atmosphère à la fois envoutante et paisible.

C’est dans ces dédales que Berthold et Rose aimaient flâner, main dans la main. À chaque détour, Berthold volait à Rose des baisers qu’elle accueillait avec tendresse. Parfois, les notes mélodieuses de musiciens andalous s’élevaient dans l’air, et le couple s’asseyait sur le sol pour écouter, religieusement cette musique lascive.

Berthold, passionné de photographie, profitait des innombrables points de vue qu’offraient les remparts. Il capturait l’océan, les barques de pêche colorées, l’architecture authentique et Rose dont les portraits, figés sur la pellicule, deviendraient plus tard des trésors familiaux.

Berthold décrivait à Rose les Tours de la Défense, érigées à intervalles réguliers le long des remparts pour renforcer le système de défense de la ville. Il lui expliquait également l’usage des citernes, dissimulées sous la Skala, chargées de recueillir les eaux de pluie qui constituaient des réserves précieuses pour cette ville soumise aux rigueurs d’un climat aride.

La Skala de la Ville, abritait une rangée de canons dirigés vers l’océan, prêts à défendre la ville contre toute attaque navale. Certains de ces canons dataient probablement de la construction des remparts, tandis que d’autres, ornés d’armoiries, avaient pu être saisis lors de combats et ramenés comme trophées de guerre.

Aujourd’hui, ces mêmes canons servent d’assises improvisées aux promeneurs venus savourer la douceur de l’air marin, contempler la mer bleu Klein, et s’imprégner des senteurs iodées.

Rose connaissait bien la médina, mais elle ignorait son histoire. Au cours de cette visite guidée par Berthold, elle l’avait observé et écouté, enthousiasmée par cette redécouverte de sa ville qu’elle racontera tout au long de sa vie.

La lumière s’estompait lentement derrière la boule de feu à l’horizon. Il était l’heure de rentrer. La famille attendait Berthold pour lui souhaiter un bon retour à Casablanca, le charger de douceurs, l’envelopper de tendresse, de bénédiction, avant de le libérer sous des youyous protecteurs. Il ne reviendrait pas à Mogador avant le déménagement de Rose et de sa famille.

Slil

 

 

 

  

   

 

 

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