Sisyphus, Sisyphe
Chapitre XVII
Dans la mythologie grecque Sisyphus était décrit comme le traître qui avait osé trahir les dieux en divulguant leurs secrets aux mortels. On raconte qu’il aurait même enchaîné Thanatos, le dieu de la mort, afin d’empêcher les morts d’atteindre les enfers. C’est alors que Hadès le dieu des enfers inflige à Sisyphus, irrespectueux des morts et des vivants, la punition éternelle en condamnant sans pitié le renégat à pousser un rocher gigantesque jusqu’au sommet d’une montagne dans le royaume des morts.
En exécutant sa peine, Sisyphus constate que le rocher qu’il pousse péniblement jusqu’au sommet, dégringole aussitôt le but atteint jusqu’au pied du versant de la montagne, l’obligeant à répéter sa punition pour l’éternité.
A travers le mythe de Sisyphus, les grecs anciens renvoient les mortels à l’expression « un travail de Sisyphe », qui explique qu’une tâche complexe, délicate et douloureuse, doit toujours être poursuivie et recommencée, même pour un résultat hypothétique.
La besogne peut paraître itérative, absurde ou chimérique pour le plus grand nombre, mais elle ne l’est pas pour un être passionné poussé par la fièvre de progresser pour faire triompher un projet de vie, un espoir, un travail qui seraient source d’épanouissement et d’allégresse, proche de la pensée de Camus.
Camus imagine Sisyphe comme un héros, un rebelle qui conteste et repousse toutes les lois, et qui assume pleinement ses actes au lieu de se morfondre comme Sisyphus et Grabat, du sort infligé par Hadès pour l’un, et par les dieux du renoncement pour l’autre.
Le Sisyphe camusien décide de faire face à sa damnation, de s’émanciper du joug des dieux, et de vivre pleinement la vie qu’il a choisi. Grâce à sa volonté et à son travail, Sisyphe se délivre de la tâche du rocher et devient enfin libre et maître de sa propre vie.
Selon Albert Camus, le travail de Sisyphe représente la vie de l’Homme. Chaque homme a le choix de subir sa vie, ou de la faire sienne. Chaque homme peut être passif ou savourer chaque instant de sa vie.
« … L’erreur serait de dire que le bonheur naît forcément de la découverte absurde. Il arrive aussi bien que le sentiment de l’absurde naisse du bonheur. « Je juge que tout est bien », dit Oedipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l’univers farouche et limité de l’homme. Elle enseigne que tout n’est pas, n’a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l’insatisfaction et le goût des douleurs inutiles. Elle fait du destin une affaire d’homme, qui doit être réglée entre les hommes. …*
Pour Ovate, il ne faisait aucun doute qu’elle était Sisyphe, tandis que Grabat correspondait à Sisyphus. Il avait conduit sa vie d’une manière passive et s’était auto condamné à la punition éternelle du rocher. A chaque fois qu’il croyait atteindre le nirvana, il faisait volontairement dégringoler le rocher pour déconstruire cet amour qui l’obligerait à sortir de sa caverne et à affronter le vrai monde.
Grabat n’avait jamais été touché par l’Amour après lequel il courait en le fuyant. Les dieux ne lui avaient pas accordé cette grâce, sa maison ne la méritait pas. Pour être touché par l’Amour, il faut être touché par la grâce. L’amour est un sentiment d’une grande noblesse, or, dans la maison de Grabat, il n’y avait ni noblesse ni grâce. Il n’y avait que trahison.
Ovate s’agaçait des hésitations de Grabat, des manquements à ses propres propositions, il était inconstant, incapable de prendre une décision, un rendez vous. C’était un homme confus, flottant, indécis, imprécis. Elle commençait à s’essouffler de ses corbeilles de jérémiades, de ses danses de salon et de ses rochers destructeurs. Elle ne lui avait rien demandé, Il faisait et défaisait, il construisait et déconstruisait tout seul… Tourni Tournicoti, Tourni Tournicoton …
Cette rencontre ressemblait déjà à une mer agitée.
Ovate
*Le mythe de Sisyphe, Albert Camus
