Corentin Rauscher, Champion de France de quilles

Polémique sur la fermeture du quillier de l’Amicale des Égoutiers de Strasbourg. Le champion de France de quilles, Corentin Rauscher donne raison à l’association sportive de l’Eurométropole de Strasbourg. 

Il n’y aura donc pas de club strasbourgeois dans l’élite du jeu de quilles, le nine pin bowling classic, la saison prochaine. Le club de l’Amicale des Égoutiers des Strasbourg, multi champions de France, vainqueur de la coupe de France 2022, deux médailles aux championnats du monde cette année, a fermé ses portes définitivement et a déclaré forfait pour la saison prochaine. 

Le club composé uniquement de bénévoles ne rencontrait aucune difficulté financière, avait d’excellents résultats, formait des jeunes et des moins jeunes, des écoliers, s’engageait dans le corpo et poursuivait son dialogue entre les générations dans une belle ambiance.

Pourtant en plein milieu des congés scolaires, la Ville de Strasbourg a fermé le quillier du club du Wacken créant une polémique dans le monde du sport.  

Pour en savoir plus, Le Torchis a interrogé Corentin Rauscher qui joue à l’Amicale des Égoutiers de Strasbourg. C’est l’un des meilleurs joueurs français de quilles. Il est plusieurs fois champion de France dans plusieurs disciplines, sélectionné en équipe de France et médaillé aux championnats du monde.  

Churchill pour le Torchis – Pendant ces congés d’été, l’association sportive de l’Eurométropole de Strasbourg a définitivement fermé le quillier du Wacken où évoluait l’équipe de l’Amicale des Égoutiers Quilles. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Corentin Rauscher – Je ne suis pas un spécialiste de l’organisation et je ne fais pas de politique. Je vois tout cela avec mes yeux de joueur et de compétiteur international. 

Le club était en perdition en termes de membres. Bien sûr, l’équipe 1 performait, mais la grande majorité des quilleurs était des anciens. L’épisode Covid a été fatal pour les Égoutiers de Strasbourg. Tout s’est arrêté du jour au lendemain : plus de compétition, plus d’entraînements. Les membres ne sont plus revenus.

Le bâtiment du quillier, même si ses pistes étaient homologuées par la Fédération Française de Bowling et de Jeux de Quilles  (FFBJQ) était ancien. Il devait être remis en conformité d’accessibilité et aux normes de sécurité. Ces travaux engendraient des coûts importants pour la ville. Il faut dire que depuis 50 ans rien n’avait été fait. 

Je pense que la ville a considéré que le ratio adhérents / coûts travaux était trop important et qu’il valait mieux arrêter les frais ; d’autant qu’il y avait aussi des problèmes de sécurité importants et qu’elle aurait été responsable en cas d’accident. 

Le quillier ne pouvait déjà plus recevoir du public. Il ne servait plus qu’aux entraînements des compétiteurs et à quelques membres qui venaient jouer pour le plaisir.

Portrait de Corentin Rausher

Le Torchis – La Ville de Strasbourg a-t-elle proposé des solutions ?

Corentin Rauscher – Oui, elle a proposé au club d’évoluer pour une ou deux saisons, en attendant une solution plus pérenne, sur le quillier du Stade Charles Frey à Koenigshoffen. Cela n’a pas particulièrement motivé nos adhérents : ils n’étaient pas sur leurs pistes. 

Les quilles c’est un sport mais c’est aussi une ambiance de club. Souvent après le boulot, les travailleurs et les travailleuses ont l’habitude de jouer des boules pour le plaisir. Ils aiment se retrouver. C’est d’ailleurs comme cela qu’est né l’Amicale Quilles des Égoutiers de Strasbourg en 1970. Développer une équipe qui progresse jusque dans l’élite française, c’est un plus et une fierté, mais ce n’est pas forcément l’objectif d’un club de quilles.

Les quilles c’est un sport de camaraderie. Toutes les générations s’y rencontrent dans une bonne ambiance. Souvent on joue de mères en filles ou de pères en fils. Alors forcément quand on vous dit « d’aller jouer ailleurs », ça casse un peu l’ambiance.

Le Torchis – La Ville de Strasbourg est-elle responsable du naufrage de ce club strasbourgeois multi champion de France et qui venait de gagner la Coupe de France ?

Corentin Rauscher – Selon moi, non. D’abord parce qu’aucune rénovation n’a été faite dans le bâtiment depuis près de 50 ans. Les quilles n’intéressaient pas particulièrement les autres mairies de Strasbourg non plus. Hormis peut-être l’ancien adjoint Serge Oehler, peu d’élus se rendaient aux matchs. L’association sportive de l’EMS a donc hérité d’une situation qui n’est aucunement de sa responsabilité. 

Ensuite, parce qu’au moment de trouver des solutions, l’association sportive de l’EMS a été confrontée dans la discussion – ce que l’on peut comprendre – à des responsables du club des Égoutiers qui ne voulaient rien lâcher. Ces anciens avaient créé l’amicale. C’était un club familial réservé aux membres. Ils y avaient des habitudes, des souvenirs heureux, une organisation : rien ne pouvait se faire sans eux, y compris un avenir pour le club ! 

Le Torchis – Vous vouliez rester entre vous ? 

Corentin Rauscher – Je suis gêné de dire cela, mais oui. Même si plusieurs clubs ont évolué sur le même quillier que nous, certains dirigeants historiques du club considéraient que c’était chez eux. Ces autres clubs qui résidaient sur le quillier du Wacken n’ont pas particulièrement été bien accueillis. Il a fallu des années pour qu’ils disposent d’un frigidaire à eux et qu’ils puissent organiser leurs propres tournois. Bref, l’Amicale des Égoutiers n’était pas très partageuse. C’est un avis personnel que je donne.

C’est pour cette raison que j’estime que si l’association sportive de l’EMS avait voulu rénover le bâtiment, les dirigeants de l’Amicale des Egoutiers n’étaient pas prêts, il me semble, à laisser leurs locaux rénovés à une nouvelle équipe de direction plus jeune. 

Dans les dernières négociations pour sauver le quillier afin de limiter le public, il avait été proposé de l’utiliser uniquement pour le loisir, c’est-à-dire hors compétition. Même cela n’a pas été possible. La vérité c’est que chacun voulait garder son pré-carré et que des personnes ne voulaient pas évoluer, ne voulaient pas que ça change. C’est un peu ce qui explique la fin de l’Amicale des Égoutiers Quilles. Mais on voit cela dans de nombreuses associations, non ?

Honnêtement, je comprends la décision de la Ville. Il n’y avait pas d’autres choix. Je regrette évidemment cette situation. L’Amicale des Égoutiers de Strasbourg est le club de mon cœur mais il n’y avait plus d’autres solutions. 

Les cadenas qui ont été posés par la Ville de Strasbourg sont là pour prévenir et éviter des vols ainsi que la dégradation des pistes. Celles-ci pourront sans doute être démontées et réutilisées ailleurs. Des villes alsaciennes sont intéressées pour les récupérer à moins que Strasbourg décide de les réaffecter ailleurs ?

Le Torchis – La saison de nine pin bowling va redémarrer sans équipe strasbourgeoise parmi l’élite. Quelle déception alors que ce sport fait partie du patrimoine de la capitale alsacienne. On y joue depuis le XVIIe siècle !

Corentin Rauscher – Il y a d’autres clubs de quilles à Strasbourg ! L’ASL Robertsau, le Racing Club de Strasbourg, le Gazelec de Strasbourg, l’ASPTT Strasbourg… Ce sont tous des clubs très soudés. Pour ceux qui veulent jouer aux quilles à Strasbourg et vraiment s’amuser, la pratique n’est absolument pas remise en cause. 

En revanche, il est vrai que l’Amicale des Égoutiers est forfait pour la prochaine saison. Les compétiteurs nationaux et internationaux ont donc dû trouver d’ autres clubs pour les accueillir. En France ce sport reste totalement amateur, mais ce n’est pas le cas en Europe où de nombreux quilleurs sont professionnels. Les bons joueurs alsaciens partent souvent en Allemagne. 

En ce qui me concerne, pour rester en équipe de France, j’ai choisi de prendre ma licence dans une équipe de l’élite pas trop loin de Strasbourg : La Boule d’Or Soultz-sous-Forêts. Je compte bien ramener la coupe à la maison avec cette belle équipe, puis repartir aux championnats du monde. 

Même si les quilles sont un sport patrimonial en Alsace, la vérité c’est que cela n’a jamais trop intéressé les hommes politiques. C’est un sport populaire qu’on appelait autrefois « le jeu des brasseurs ». 

Je n’ai pas souvenir d’une remise de médailles par un maire de Strasbourg. En revanche, nous restons très populaires dans les familles et les entreprises. Ils viennent nous voir et nous encourager et cela fait toujours chaud au cœur. 

Le nine pin bowling classic – le nom officiel du jeu de quilles – est un sport compliqué. Il demande beaucoup d’investissements personnels et financiers. Une piste de quilles c’est cher : les systèmes d’automations, le nettoyage et l’entretien, le matériel pour jouer. C’est un sport spectaculaire qui demande endurance, dextérité, physique, coordination des membres et concentration. Beaucoup viennent essayer, mais les contractures aux fesses et aux jambes arrivent vite si on ne s’entraîne pas régulièrement. Le meilleur moyen de progresser c’est de jouer le plus souvent possible. 

Le Torchis – Le quillier du Wacken était un lieu de rencontres. Qui sont les derniers à avoir joué dessus ?

Corentin Rauscher – L’entreprise Steelcase a organisé une journée d’initiation pour ses cadres. C’est drôle parce que Steelcase c’est l’ex STRAFOR, les forges de Strasbourg qui avaient pendant des années une équipe de quilles et un tournoi particulièrement réputés. 

Ce fut une belle après-midi, nous avons tous bien rigolé. L’Amicale des Egoutiers détient d’ailleurs la Coupe STRAFOR forgée à la main par ses ouvriers. Elle trône au milieu de la galerie des trophées. Il doit y avoir plus d’un millier de coupes rutilantes exposées dans le quillier. On ne les a jamais comptés. 

Des journalistes et des salariés de France 3 Alsace, du Crédit Mutuel, de la Région Grand Est y venaient régulièrement pour le plaisir. Et puis évidemment des membres de l’équipe 1. 

C’est vrai que la fermeture a été subie. Nous ne nous attendions pas à ce que cela aille si vite. Les pratiquants n’étaient au courant de rien. Il n’y avait pas de communication. Donc quand tout a fermé d’un coup, il y a eu beaucoup de tristesses, d’incompréhensions et un choc.

Le Torchis – Déçu tout de même par la tournure des évènements ?

Corentin Rauscher – Déçu bien sûr de voir un des plus grands clubs français de quilles arrêter comme cela son aventure après 50 ans. Son palmarès est impressionnant et les bons souvenirs sont indélébiles. Mais Strasbourg a de très bons clubs et je ne doute pas que l’un d’entre-eux retrouve l’élite dès l’année prochaine. Mais encore une fois, je le redis : Je comprends la décision de l’association sportive de l’EMS. 

Churchill

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