Transmettre aux générations qui se lèvent !

«Je suis fier d’être Alsacien !»

Le 25 mai 2022, le Centre Culturel Alsacien a invité Gérard Cardonne, écrivain, journaliste humanitaire, Président de la Société des écrivains d’Alsace, de Lorraine et du Territoire de Belfort, et lui a donné «Carte
Blanche » pour développer sa vision de l’Alsace et du Rhin Supérieur. Nous reproduisons ici de larges extraits de sa conférence.

Depuis quelques temps, des médias de série B et des politiciens de troisième classe se complaisent à insulter les Alsaciens en s’attaquant via le Concordat à son identité. Ils tentent de parasiter l’Histoire de l’Alsace, de la déformer et d’en ré-écrire une autre. Ces délateurs devraient relire Salvador de Madariaga quand il écrivait : «Le territoire de l’Austrasie n’était ni français, ni allemand. C’était le centre, le pont, le vrai cœur européen. Et le couloir du Rhin, l’épine dorsale de l’Europe entre les mondes germanique et latin. Ainsi, cette vallée rhénane se trouve être le berceau des plus européens des peuples : ceux qui se partagent les dons des deux grandes branches de l’Europe du centre et de l’ouest, les Allemands et les Français.» …

L’Eden austrasique

« Heureux les peuples malheureux, ils ont une histoire », écrit l’historien Claude Muller. Nul ne peut comprendre la mentalité arrimée aux Alsaciens s’il ne prend pas en compte cette histoire particulière qu’eux et leurs ancêtres portent au tréfonds de leur mémoire : celle de vivre dans « un pays d’entre-deux. » …

Décomplexée, l’Alsace doit assumer son identité germano-latine et judéo-chrétienne sans avoir l’impression de trahir. Son terroir est sa mémoire vivante. Il symbolise sa tentation permanente de l’universel. L’apport de l’Alsace à cette grande idée réside dans son credo qui a résisté à l’usure du temps et aux pressions de tous bords : la démocratie, qui sous-tend le duo inséparable de notre façon de vivre, la liberté et l’ordre. En tout cela, nous sommes et restons des rhénans ! C’est notre poète colmarien, Conrad Pfeffel qui disait : « Je n’ai pas attendu la Révolution pour rendre hommage à la liberté !»

Notre grande chance est que, depuis peu, l’Alsace n’est plus un glacis vers l’Est ou vers l’Ouest. Nous pouvons jouer notre rôle de centre européen : celui que la géographie, mais aussi l’Histoire, nous a consacré. L’Alsace sait que, pour bien cultiver son jardin intérieur, il lui faut s’ouvrir et s’intéresser au monde. Ceci est l’apanage des terres qui restent toujours vierges ! Souvenir récurrent «austrasique » pour une Europe balbutiante, dans laquelle l’Alsace retrouve sa véritable vocation, que beaucoup lui ont trop souvent déniée ! …

L’Or du Rhin

La nouvelle région rhénane se tricote avec de nouvelles aiguilles et de la vieille laine. Les mailles encore larges se raffermissent dans l’écharpe de l’Europe. Le peuple alsacien existe, n’en déplaise aux contempteurs qui veulent sa réduction clonée à l’encéphalogramme plat. Cela fait enrager ceux qui n’ont pas l’impression d’en faire partie… parce que tout simplement ils ne le veulent pas. Faute d’amour ! …

«Hors de l’Alsace ce n’est pas une vie, et si c’est une vie, ce n’est pas la même»

Le véritable Alsacien est celui qui admet l’immanence et la transcendance de sa condition d’être humain sur l’un des plus belles terres du monde. Être soutenu par le passé, sans lequel il n’y a pas d’Alsace. Mais être aspiré par le grand bleu du futur. Sans quoi il n’y a d’avenir. Le monde fonce si intensément vers l’avant que nous éprouvons l’irrésistible besoin de retrouver les traces de nos pas. L’Histoire nous fait
signe.

Aider le passé à passer

Pour cela, aidons le passé à passer ! Comme de l’eau traversant la trémie, conservons-en l’or qui lui donne sa réelle valeur. Et avec cet or, imaginons de nouveaux bijoux pour notre Alsace! Accordons-lui ce supplément d’âme qui lui ouvrira les portes de l’Europe. Il s’agit de poursuivre l’écriture de ce terroir rhénan et de la transmettre aux générations qui se lèvent ! …

En réalisant mon histoire d’expulsé d’Alsace, puis d’Algérie, j’ai pris sur moi de me créer une identité rhénane plus que française. Comme Aimé Césaire, au son du Rhin, j’ai compris que «l’Europe patrouille dans mes veines ». Il y a toujours eu des Allemands, des Espagnols et des Algériens dans mon enfance comme dans ma vie. Brassage des populations de l’Histoire ? Ces racines sont devenues plus que de simples bornes dans mon existence ! … Alsa-cien je suis parce que j’appartiens à d’autres pays !

La Région Alsace

La mémoire de l’Alsace offre une merveilleuse possibilité de ne pas se perdre, de ne pas tout perdre. C’est le soc qui laboure, modèle et prépare le présent. Alors, le futur ne peut qu’être au bout du sillon bien droit ! La bataille rétrograde de certains élus contre la Collectivité européenne d’Alsace a favorisé l’esprit de la Décapole qui unissait les dix villes alsaciennes contre l’arrogance de la prééminence auto-déclarée de Strasbourg avec des arguments qui ne sont que le cache-sexe de la couardise technocratique. Pour
contrebattre les «Schnaps idées » de certains, il faut affirmer haut et fort que, de même que Paris n’est pas la France, Strasbourg n’est pas l’Alsace. …
La Collectivité européenne d’Alsace est une anticipation devant l’histoire qui, elle, avance à grands pas. à l’instar de nos amis rhénans, les Länder voisins mais aussi suisses, l’Alsace sera le précurseur d’une évolution institutionnelle majeure pour la France. Les autres régions suivront. C’est notre façon d’être des Français républicains!

Droit local

Au-delà des querelles partisanes, l’Histoire a donné à l’Alsace cette chance rare de bénéficier d’un statut local que la majorité des Alsaciens apprécie et auquel elle lui est attachée à travers son enracinement judéo-chrétien. Ce statut demeure d’une étonnante modernité dans la mesure où son application au quotidien ouvre des ports, invite aux choix et donnent naissance à des femmes et des hommes de conviction et d’engagement. …

Aujourd’hui, une «gendarmisation » autoritaire de l’expression publique voudrait, en se contorsionnant pour se donner bonne conscience, éradiquer le bilinguisme. Alors que, loin de toute crispation identitaire, la logique de la réalité géopolitique est de conduire notre jeunesse vers la maîtrise de la langue de notre voisin allemand à la fois pour des raisons culturelles mais aussi économiques : l’allemand demeure la langue écrite de l’Alsacien.

Conclusion

Jamais dans l’Histoire, l’Alsace n’a été maîtresse de son destin ! Nul ne peut comprendre la mentalité arrimée aux Alsaciens s’il ne prend pas en compte cette histoire particulière qu’eux et leurs ancêtres portent au tréfonds de leur mémoire : celle de vivre dans «un pays d’entre-deux.» Fidèle à l’humanisme rhénan, l’Alsace se veut terre d’élection pour une vision responsable d’une Europe digne d’exister.

L’Alsace peut et doit assumer son identité germano-latine et judéo-chrétienne sans avoir l’impression de trahir. Son terroir est sa mémoire vivante. Il symbolise sa tentation permanente de l’universel.

Le respect de base pour notre si petite région est de lui donner la force de la concentration en l’installant dans la République tout en respectant son identité à nulle autre pareille.

N’ayons pas peur des mots : ayant payé des tributs meurtriers à la tourmente guerrière franco-allemande, les Alsaciens ne sont pas tout à fait des Français comme les autres. Ils sont encore moins des Allemands, même avec leur parler germanophone.

Mais leur Histoire peut se résumer en latin : «Extra Alsatiam non est vita, et si est vita non est ita». Pour les nouvelles générations privées de l’enseignement des humanités : «Hors de l’Alsace ce n’est pas une vie, et si c’est une vie, ce n’est pas la même». De grâce que l’on nous laisse être nous-mêmes !

Gérard Cardonne
écrivain

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