Les nouveaux misérables (suite)

Magic Prozac, Magic Xanax

Chapitre IX

« La meilleure façon de séduire une femme c’est de se comporter comme un petit garçon”.*   

Grabat ! Elle l’avait enterré dans la forêt ! Elle revenait à la réalité, à la vraie vie. Le Coronavirus, les hôpitaux, les applaudissements stupides chaque soir à nos fenêtres pour remercier le personnel hospitalier épuisé et harassé par l’affluence des malades contaminés par milliers, et, le comble, la fermeture des parcs et la permission de sortir une heure par jour, tous munis d’une autorisation personnelle, écrite et signée par chacun de nous.

De cette période maudite, on retiendra que cette auto-permission, aura été la plus ridicule, la plus absurde de toutes les maladresses, les bévues, le crétinisme du gouvernement et de la faculté, devenus des experts de la confusion et de l’incohérence, guidés par l’ignorance et le désarroi. 

Au milieu de ce drame pandémique qui conduisit les hommes vers toutes sortes d’égarements et de dangers, Ovate retrouvait Grabat fidèle à sa misérabilité. Il se comportait comme un petit garçon abandonné et malheureux en espérant inspirer confiance derrière des vertus qu’il n’avait pas. Il errait toujours sur les réseaux sociaux, où on l’appelait « rencontrons-nous », « ou je suis fou d’amour », ou « un mot doux », autant de termes qu’il utilisait comme des cris de ralliement pour trouver une oreille ès gâteux, complaisante, prête à écouter ses fleurs du mal, et à le ravitailler en toutes sortes gâteries, en échange d’un séjour dans la suite d’un grand palace. Il était bouleversant.

Elle découvrait qu’il se faisait beaucoup aider par des doses conséquentes de Magic-Prozac et Magic-Xanax, et autres magic’s substances qui le faisaient passer de la descente aux enfers à un 7e ciel fugitif. Après ces quelques semaines « d’amour fou » pour Ovate, Grabat passait aux confidences. Chaque jour, il racontait le même jour. Elle le laissait écrire et dire, pleurer, se plaindre et geindre, Il aurait été un excellent cas d’école pour Freud, pour Lacan, il était déjà ringard.  

Ce matin, il exprimait plus clairement son mal de vivre : «Je me lève, mon moral n’est pas là, j’ai mal à vivre, le confinement à une force d’usure insoupçonnable, seule la tendresse, peut le réduire et les câlins aussi. Bon, ils ne sont pas là, et la morosité demeure. Aujourd’hui, je décide de pas de bureau, pas de rangement. Je reste seul avec moi-même, et ma foi, ce n’est pas si mal. Il pleut sur Cythère. Pas mieux.» 

Ne sachant pas toujours répondre à ses flots de mots d’amour, ou plus vraisemblablement aux gémissements de son âme, elle lui répondait par un poème, ou par une tirade qu’elle accompagnait par quelques traits d’humour pour l’amuser et le faire sourire :

« Le temps passe. Danse danse avec le firmament, danse avec les étoiles, danse avec la vie qui s’échappe… Pour bien vivre sa vie, il faut être à l’écoute de ce qui vient du plus profond de nous-mêmes. Écouter et entendre les messages chuchotés par nos âmes. Mais notre âme est comme un ange qui murmure d’une voix si douce, si faible, qu’il faut tendre l’oreille. Comment peux-tu la percevoir dans ton brouhaha incessant ? Comment peux-tu y prêter attention alors que ton esprit est submergé de l’embrouillamini du désir et du renoncement ? 

« Je dois laisser la colle sécher, mon cœur est désintégré comme je te l’ai déjà écrit. Il ne faut pas ternir, cette extraordinaire et incroyable histoire, entre nous deux. Mon cœur explose de chagrin , cela passera». lui répondit-il 

« Encore » ! Cet individu était toujours sur un ring, une canaille agressive prête à piquer à tous moments. Elle avait souvent songé à le laisser se noyer dans ses larmes de crocodile. Qu’avait-elle donc à répondre à l’appel à l’air d’un individu qui ne se préoccupait que de mettre à jour sur les réseaux sociaux, son portrait Colgate, riant à gorge déployée comme une gonzesse en chaleur.

Ovate rétorqua d’une manière musclée : « Tes réponses sont effarantes, décevantes, blessantes. Elles font fuir les rêves et soufflent à l’imagination de revenir à la réalité. Tes réflexions sont empreintes d’une lumière froide qui suggère de prendre garde à tes mots avant que tu ne les transforment en maux. Lorsque les réponses se mettent à danser autour du pot, le pas de deux se fragilise, puis se brise. Au XVIIe siècle tu aurais été une précieuse ridicule réclamant ses sels à chaque émotion, et chacun sait que la scène des sels n’était que comédie ».

La conversation se faisait de plus en plus répétitive et stérile. Si la faconde amoureuse de Grabat attendrissait Ovate, elle ne correspondait en rien au comportement de cet homme sans finesse, dont les manières volontairement offensantes, portaient atteinte à la générosité et à la délicate tendresse qu’elle lui témoignait. Mais dès que Grabat sentait que l’Ovate prenait la poudre d’escampette, il se faisait alors tout petit. Il était la caricature du Boomer à l’esprit miellé, sournois et moqueur. Seule sa fragilité avait suscité en elle une sorte de compassion affective et bâtarde qui ne disait pas son nom. 

Elle se complaisait dans ce jeu amoureux dont elle aimait la beauté des phrases, des mots et de l’écriture qu’elle inspirait à Grabat. Elle était amoureuse de l’amour qu’il éprouvait pour elle, mais pouvait-elle aimer un individu qui se réduisait lui-même à une vitre de quelques millimètres et dont la vie se résumait à une course effrénée à la recherche du temps perdu ? A quoi tout cela pouvait-il mener ?

Ovate persistait néanmoins à l’encourager à bouger, il en mourrait d’envie disait-il, mais il mourrait aussi de trouille. La grande gueule craignait les représailles redoutables de sa Thénardier. «Elle me fait à manger». C’était la condition siné qua non de l’attachement d’un homme à son épouse. C’est ainsi que se calcule dans ces groupes la valeur d’une épouse et d’une mère. Pour la valeur ajoutée, « elles élevaient les gosses et tenaient leurs maisons ». Ainsi, elles avaient droit aux robes qui avaient valeur de respect.

Ce qui était la normalité pour l’immense majorité des épouses et des mères, devenaient des qualités chez ces braves filles qui n’ont rien d’autre à donner que ce qu’on les autorise à donner. La notion de respect avait une piètre signification dans ces milieux où les hommes humilient les femmes de toutes les façons, depuis le mariage jusqu’à la mort.

“Je te laisse, je te laisse, j’ai les yeux qui piquent”. Il avait toujours les yeux qui piquent lorsqu’il voulait abréger une conversation où elle lui mettait les yeux en face des trous. Ovate décidait qu’il fallait espacer les conversations et y mettre fin tout doucement. Mais il fallait compter avec la nonchalance d’Ovate guidée par la pesanteur du confinement, et la détermination de Grabat, qui ne voulait pas perdre son joli jouet du moment.

Ovate

*François Truffaut   

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