Eric Genetet : « J’aime l’état de mélancolie »

Le romancier alsacien Eric Genetet, signe avec On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes (Editions Héloïse d’Ormesson) l’un de ses plus beaux romans. Il se vend d’ailleurs comme des petits-pains dans toute la France puisqu’il figure parmi les 200 meilleures ventes en librairie. 

Le journaliste de Maxi-Flash à Haguenau immerge dans une ambiance chabrolienne des personnages qui fuient le bonheur. Porté par une très belle écriture, sensuelle et sensible, Eric Genetet nous rappelle que l’amour est une matière inflammable dotée de mémoire et de peine d’âme indélébiles

Il a accepté de répondre aux questions du Torchis

L’argument du livre : 

Julien doit prendre la route pour Argelès-sur-Mer. Cela fait près de trente ans qu’il n’y est plus retourné. C’est là-bas, sur la plage, qu’il a abandonné son innocence, ses souvenirs d’une enfance heureuse et celui du visage de son père. C’est aussi là-bas que s’est installée sa mère, Louise, depuis plusieurs mois. Elle qui s’était promis de ne plus y remettre les pieds non plus. Ce trajet qui le ramène vers son passé, Julien n’a d’autre choix que de l’emprunter : sa mère a disparu. Du moins l’a-t-il cru, car elle est bien dans son appartement lorsqu’il arrive. À quoi joue-t-elle ? Louise veut lui parler. Elle doit lui parler. Mais après tant de silence, y a-t-il encore quelque chose à renouer ?

Est-ce qu’on aime sa mère quand on dit : « ma mère » et pas « maman » ?

Churchill pour le Torchis : Quel succès ce livre !

Eric Genetet : (il rit) Oui c’est peut-être parce que c’est un beau voyage dans le Sud de la France !  

Plus sérieusement, je suis effectivement enchanté des retours et des échanges avec les lecteurs : c’est le plus important. Je suis aussi invité dans les plus grands salons littéraires ; je découvre que mon livre se vend très bien. 

On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes touche apparemment un large public : tant mieux !

Le Torchis : Est-ce que c’est votre meilleur livre ?

Eric Genetet : J’ai envie de dire « Oui ». En même temps si je dis « Oui » j’oublie mon quatrième roman Tomber qui est vraiment le livre qui m’a fait connaître. 

En tout cas, au niveau littéraire On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes est mon meilleur livre. C’est surtout le plus proche de ce que je voulais faire. Il est clairement l’aboutissement d’un long travail. 

Quand j’écris, je me laisse d’habitude embarquer par une histoire et par le temps. Je n’ai pas de plan, ni de « dead line ». Je ne me dis pas que je dois terminer tel mois, telle heure. 

Là, il s’est passé quelque chose de différents : l’écriture était évidente et fluide, j’étais comme guider par une énergie intérieure.

Le Torchis : Une énergie ou plutôt un trouble, un traumatisme. Car la phrase pivot de ce livre c’est « l’absence de père est un volcan, cela nous brûle de l’intérieur ». Toute l’œuvre est construite sur la frustration affective qui empêche le dialogue.  

Eric Genetet : Effectivement c’est l’élément déclencheur de l’histoire du livre, cette rupture entre Julien et Louise sa mère. 

D’un côté, cette femme seule qui n’a jamais voulu refaire sa vie et qui s’est détachée. De l’autre, un enfant de 12 ans au moment où son père s’en va qui subit l’absence et la démission de sa mère jusque dans son âge adulte. 

Le Torchis : Le moment charnière : Julien et sa mère sur la plage vide d’Argelès. Le dialogue est bouleversant.

Eric Genetet : Merci de me le dire parce que c’est évidemment LE moment où la parole est libérée. Enfin, ils se retrouvent après 33 ans d’éloignement. Mais, ils n’en font pas des tonnes non plus. Le dialogue reste simple, il n’est pas grandiloquent. 

L’intensité de l’action provient du fait qu’il y a des mots qui sont prononcés mais tellement d’autres qui ne le sont pas mais qu’on entend quand même. 

C’est cela aussi qui m’intéresse dans la littérature : ce qu’on ne nous dit pas. 

Le Torchis : Est-ce que Julien aime sa mère ?

Eric Genetet : (il rit) Ah Ah Ah, la question piège ! Un moment dans le livre il veut la tuer mais symboliquement. En tout cas, il lui en veut terriblement. Il ne comprend pas pourquoi elle s’est éloignée comme ça, sans jamais vouloir refaire sa vie. 

Vous avez remarqué ? Julien ne dit pas « maman ». Est-ce qu’on aime sa mère quand on dit : « ma mère » et pas « maman » ? 

On peut se demander : « quand on ne veut pas refaire sa propre vie de femme est-ce qu’on n’empêche pas à son fils de faire la sienne ? » 

Le Torchis : C’est un livre de rendez-vous et d’occasions manqués. Tout cela donne une empreinte très mélancolique à l’argument. 

Eric Genetet : J’adore la mélancolie. Tous mes livres sont mélancoliques. Je dois être un peu comme ça. Je me sens bien dans un état de mélancolie. Là où je vous donne raison, c’est que je crois que la plupart des humains traversent cette vie avec des rendez-vous manqués. En même temps c’est dramatiquement beau. 

Même nos vies heureuses sont emplies de rendez-vous manqués. Aller puiser cette ressource pour mes livres c’est une richesse créative incroyable. Le : « et si j’avais été au rendez-vous qu’est-ce qui se serait passé… ? » 

Mais attention, il ne faut pas confondre la mélancolie et la tristesse. Ce sont deux sentiments qui n’ont rien à voir. En tout cas, on ne fait pas de littérature avec des bons sentiments. 

« Quand on écrit on parle toujours de soi »

Le Torchis : Marguerite Duras témoignait souvent de sa propre vie en employant la troisième personne du singulier. Le lecteur non-averti pouvait penser qu’il ne s’agissait pas d’elle. Mais l’émotion qu’elle mettait dans ses phrases était tellement intense qu’elle se trahissait. 

Ici c’est pareil, vous nous parlez de ces personnages comme s’ils étaient fictifs : une mère et un fils qui ne se parlent plus, un père absent mais toujours sentimentalement présent : une quête de dialogue et de pardon. L’intensité de votre style, les détails, la précision du vocable montrent qu’il y a eu de l’émotion et du ressentiment à écrire ces lignes : vous n’êtes pas détaché, cela se lit ! Est-ce que On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes c’est vous Eric Genetet ? 

Eric Genetet : (longue hésitation avant de répondre). Quand on écrit on parle toujours de soi. Je ne vais pas essayer de trouver des subterfuges pour vous contredire. Bien sûr que ce livre parle de moi. Je pense que chaque écrivain fonctionne comme cela, même si certains s’en défendent. 

Le terreau de l’écriture c’est soi, les traumatismes, ce qui n’a pas fonctionné dans la vie, ce qui nous a rassuré ou inquiété.

Le message de ce livre c’est : parfois on se raccroche à un passé douloureux ; il est si intense qu’il annihile la vision qu’on peut avoir de l’avenir. On se complait dans cette souffrance qui est plus rassurante que le futur. 

Le Torchis : L’histoire du livre compte peu. C’est un livre d’émotions.

Eric Genetet : Tout à fait. J’ai tendance à dire que lorsqu’on veut faire raconter l’histoire d’un livre par son auteur, c’est le meilleur moyen de la travestir. On ne peut pas expliquer ce qu’on a écrit. 

Marguerite Duras disait : « ce qui compte ce n’est de ne pas raconter une histoire, mais d’écrire ce qu’il y a tout autour d’une l’histoire ».

Le Torchis : Le fond du livre c’est la quête d’identité et d’amour. C’est : qu’est-ce qui fait qu’on se détache y compris de ceux qui nous donné la vie ? C’est : une voie de résilience est-elle possible ?  

Eric Genetet : Oui ! On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes ce sont toutes ces questions. Sans donner de réponses qui appartiennent à chacun d’entre nous c’est aussi est-ce que Louise est capable de « réparer » ? Est-ce qu’elle va rattraper ce qu’elle n’a pas fait durant sa vie ? Est-ce qu’on peut retisser des liens quand il n’y en a pas eu ? Est-ce qu’on peut refaire sans avoir fait ?

J’espère que ce livre déclenche aussi ces interrogations parmi les lecteurs. Il s’agit de questionnements très intimes, voire existentiels. 

Le Torchis : C’est un livre extrêmement photographique. Il y a un souci du détail assez rare. On pourrait quasiment reproduire les images justes en vous lisant. 

Eric Genetet : J’ai beaucoup écrit et j’ai beaucoup enlevé, un peu comme dans un film lorsqu’on fait du montage. Au final cela donne une tension à l’œuvre qui est sans fioriture. 

Pour vous donner encore raison, j’ai déjà été approché par une boite de production pour adapter mon livre à l’écran.

Je pense qu’un écrivain c’est aussi un réalisateur. Quand j’écris, je vois des images. Ce qui a peut-être changé dans mon style par rapport à mes premiers livres, c’est que depuis trois ans je me suis mis à faire de la photographie. Je pense que mon œil a évolué. Ce souci du détail vient peut-être de là. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que les deux héros masculins sont photographes. 

Oui ce livre est effectivement imbibé d’images, d’une envie de reproduire le réel qui à partir du moment où il est sur support n’en est plus un. 

« Ce livre m’a donné de l’Espoir »

Le Torchis : C’est une Mercedes rouge qui fait le lien entre les personnages, hasard ?

Eric Genetet : Dans le Mépris de Godard il y a une voiture rouge, c’est un clin d’œil. J’avais déjà écrit des livres où il y avait une bagnole rouge. Je ne sais pas, je dois faire une fixette. C’est un peu devenu ma signature. Philippe Djan met toujours des piscines dans ses livres, j’ai bien le droit de mettre des voitures rouges. 

Le Torchis : Qu’est-ce que vous a procuré ce livre en l’écrivant ?

Eric Genetet : On Pourrait Croire Que Ce Sont Des Larmes m’a donné de l’espoir. L’espoir d’écrire « je t’aime » à la fin. 

Mais là on s’aventure sur la fin du livre qu’il serait dommage de dévoiler. 

Churchill

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