La mort des philosophes contemporains

Devant des bouleversements sociétaux suscitant incompréhension et inquiétude, ne pouvait-on pas s’attendre à l’essor d’un vrai philosophe, non pas un commentateur d’actualités ou un chroniqueur transcendant, mais un vrai penseur capable d’inventer un nouveau pas, de proposer une nouvelle contrée, de façonner un nouveau « comportement » ?

Un peu trop vague, non ?

Disons que les philosophes d’aujourd’hui ne peuvent plus confondre leur vie et leur œuvre  tels Diogène donnant des coups de bâton aux sénateurs corrompus dans la Cité, Socrate interrogeant les notables et les puissants pour mieux les piéger,  Épicure se retirant sur son île, ou encore Nietzsche écrivant seul de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel pour remettre à l’humanité un nouveau « mode d’emploi ».

Ces génies s’autorisaient cette prise de risque car ils s’étaient volontairement dénués de toute tentation de richesses et d’honneurs, pour servir leurs pensées qui allaient traverser les siècles.  

Aujourd’hui, nos philosophes ne peuvent plus reproduire cet ascétisme nécessaire à l’admiration de leurs pairs et à la création d’une « réponse » au monde. Ils sont liés aux maisons d’édition rachetées par des Groupes, ils ont des agents, des agendas, des attachés de presse, ils passent sur BFM, sur CNews, sur LCI, ils écrivent dans les grands quotidiens et hebdos, ils font des conférences, ils font des conférences avec des verres d’eau disposé sur les tables, ils se sont enshowbizés.

Où sont passés la timidité, la bizarrerie, la faille, la retenue, le murmure de leurs pensées, qui ont produit des philosophies et des destins étonnants, parfois tragiques, mais qui restent encore aujourd’hui, des siècles plus tard, dans nos mémoires ?

Les grands philosophes ont su distiller dans leurs pensées des codes secrets, plutôt des codes condensés de leur savoir, pour traverser l’Histoire.

Prenons pour exemple  Connais-toi toi-même de Socrate. 

Quelques mots seulement, qui contiennent un savoir immense, qui produisent un retentissement émotionnel encore aujourd’hui lorsqu’on les prononce. 

Quelques mots seulement qui ont débouché sur un élargissement de la philosophie, mais aussi du savoir en général, portant en eux-mêmes les prémices de toute la psychanalyse en Occident.

Quel étudiant du monde aujourd’hui, ou même quel sage de la forêt africaine ou indienne, ne connaît pas ces paroles ?

Ne pourrait-on pas dire la même chose du cogito de Descartes : « Je pense donc je suis ».

Quelques mots là aussi qui ont traversé les siècles, qui ont provoqué une onde de choc dans la pensée universelle, au point même que le dernier des commerciaux de la Creuse ou du Michigan les utilise pour alpaguer le client. 

Ou encore la mort de D. de Nietzsche, le pari de Pascal, la philosophie de l’histoire de Hegel, et tant d’autres…

Disons que chaque philosophe est associé à une pensée, à une idée.   

Comme disait Deleuze, pour qu’il y ait philosophie, il faut qu’il y ait création de concept; or,  aujourd’hui, quels sont les concepts créés par nos philosophes contemporains ?

Quelles sont leurs trouvailles ?

Lisez l’œuvre d’un philosophe d’aujourd’hui, et tentez de lui associer une idée spécifique, ou un code condensé de toute sa philosophie : c’est quasi impossible.

Faites un autre test, celui de suivre une intervention télévisuelle de ce même philosophe, et une fois la télévision éteinte, qu’en avez-vous retenu ?

Étendons l’expérience à trente ans d’interventions télévisuelles, avec les centaines d’émissions, Bouillon de culture, Vol de nuit, les émissions spéciales de BFM, la Grande Librairie, etc., en auriez-vous retenu davantage ?

La question est de savoir comment les philosophes contemporains pourront traverser l’Histoire, alors qu’ils ne traversent pas même le lendemain…

Mandrake

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