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L’histoire régionale bientôt à l’école ?

L’histoire régionale intégrée par l’Education nationale ? Pas gagné, diront les pessimistes, mais le député alsacien Yves Hemedinger, soutenu par vingt-et-un autres députés, engage le combat à l’Assemblée Nationale avec une proposition de loi.

L’histoire régionale, laissée pour compte de l’enseignement de l’histoire

Yves Hemedinger, député d’Alsace (Colmar, Andolsheim, Neuf-Brisach), fait le constat que l’histoire telle qu’enseignée à l’école ne laisse pas de place à l’histoire régionale dans le « roman national ». Et que l’option LCR (Langue et Culture Régionale) mise en place dans les collèges et lycées d’Alsace dans les années 1980-90 n’y supplée pas car elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

La Convention opérationnelle sur la politique régionale plurilingue 2018-2022 parle d’un enseignement facultatif de Culture régionale (CR), au collège dans le cursus bilingue comme dans le cursus non bilingue. Pour le lycée elle énonce un enseignement optionnel de Langue régionale d’Alsace (LRA). Depuis 2017 deux épreuves sont mises en œuvre au baccalauréat, une épreuve LRA en dialecte ou en allemand et une épreuve de CR. Mais le rectorat publie peu de chiffres sur leur succès. De source autorisée, 3 739 élèves suivraient l’option CR au collège et 586 celle de LRA au lycée en 2019-2021 : un faible pourcentage des 58 000 lycéens et 90 000 collégiens d’Alsace… Au résultat, peu d’Alsaciens connaissent l’histoire régionale, chacun peut le constater autour de soi.

« Nous ne pouvons pas continuer à déconnecter l’enseignement des langues régionales de celui des réalités régionales, qu’elles soient historiques, culturelles ou économiques, argumente encore Yves Hemedinger. Langues et cultures régionales sont liées et ont besoin de soutien réciproque ». Pour remédier à cela, Yves Hemedinger a élaboré une proposition de loi avec le concours de Pierre Klein, président de la Fédération Alsace Bilingue. Cette proposition de loi, présentée à la presse le 14 octobre 2021, dépasse le seul cadre de l’Alsace pour s’appliquer partout en France.

D’une histoire excluante à une histoire incluante, renforcée par des éléments d’histoire régionale

Yves Hemedinger, secondé par Pierre Klein, présente sa proposition de loi à la presse le 14 octobre 2021 dans les locaux de la CeA à Colmar

La proposition de loi complète ainsi la loi Molac de ce printemps 2021, qui promeut les langues régionales (même si certaines dispositions sur l’enseignement immersif ont été censurées par le Conseil Constitutionnel). Il s’agit ici de renforcer l’article L 312-10 du Code de l’éducation en y ajoutant deux paragraphes :

« L’Éducation nationale assure un ancrage territorial de l’enseignement de l’histoire de France en y intégrant des éléments historiques locaux ou régionaux à tous les niveaux de la scolarité et dans toutes les académies ».

Et plus loin :

« L’enseignement généralisé de langue et culture régionales est proposé dans l’une des deux formes suivantes :

1° Dans les académies où il n’existe pas d’enseignement de langue régionale, l’enseignement de la langue et de la culture locales ou régionales est dispensé en langue française.

2° Dans les académies où il existe un enseignement de langue régionale, l’enseignement de la langue et de la culture locales ou régionales se fait en bilingue en langue française et en langue régionale. »

En résumé, on inclurait des éléments régionaux dans les cours d’histoire à partir du collège. Et ceci pourrait être fait en langue régionale pour les élèves dans une filière bilingue avec langue régionale. Au passage, notons que cet enseignement d’histoire régionale aujourd’hui « facultatif » devient ainsi « généralisé ».

Une proposition de loi avec de larges soutiens

Le député Yves Hemedinger a su mobiliser vingt-et-un autres députés pour cosigner cette proposition de loi. D’abord bien sûr les bretons Paul Molac et Marc Le Fur, défenseurs bien connus des langues régionales. Mais aussi sept autres députés d’Alsace, majoritairement LR comme Yves Hemedinger : Jacques Cattin, Patrick Hetzel, Philippe Meyer, Frédéric Reiss, Jean-Luc Reitzer, Raphaël Schellenberger, plus la non-inscrite Martine Wonner. Mais où sont passés les sept autres députés alsaciens non signataires ? Pourquoi n’ont-ils pas signé ? On aimerait connaître leurs arguments.

Et Jacques Cattin, fidèle lieutenant de Jean Rottner à Grand Est, signataire d’une proposition de loi aux accents régionalistes ? Heu… y aurait-il bientôt des élections ?

L’opposition jacobine se mobilise, Georges Bischoff monte au créneau

Yves Hemedinger ayant annoncé son projet dès le 2 octobre 2021 à l’assemblée générale de l’association Culture et Bilinguisme d’Alsace et Moselle – Cercle René Schickelé, le très jacobin historien Georges Bischoff est vite sorti du bois, avant même l’annonce officielle du 14 octobre. Dans une tribune d’une demi-page dans les DNA du 10 octobre 2021, il fustige d’entrée de jeu une « Schnappsidee », une « histoire à la Zemmour » entre autres amabilités. N’hésitant pas ainsi à capitaliser sur son statut d’historien renommé pour polémiquer … à la façon d’un Zemmour justement.

Il avance également deux arguments contre l’histoire régionale. Elle serait d’abord tellement connue à travers nos monuments, manifestations folkloriques et revues historiques qu’il n’y aurait aucun besoin de l’enseigner à l’école en plus. Et de plus cette histoire régionale est tellement « plurielle » et « multicolore » qu’en donner une version « officielle » serait en donner une « vision fantasmée ».

Georges Bischoff ne voit pas, ne veut pas voir que son raisonnement est inopérant, self-defeating comme on dirait en anglais, car on peut l’appliquer aussi bien à l’histoire de tout le pays, à l’histoire de France, qu’à l’histoire d’une région. Pourquoi parler de Jeanne d’Arc ou de Napoléon en classe, il y a tellement de monuments qui les évoquent ? Et cette histoire de France n’est-elle pas aussi plurielle et multicolore, voire plus, que n’importe quelle histoire régionale ? Il faudrait donc renoncer à enseigner l’histoire de France, pour ne pas en donner une vision officielle fantasmée…

Pas besoin d’être docteur en histoire pour constater que personne ne renonce à apprendre ou enseigner l’histoire parce qu’elle est complexe ou plurielle. Et que c’est le propre de toute science humaine que d’organiser et donc simplifier son objet pour mieux le connaître et transmettre ensuite les connaissances acquises. En résumé, Georges Bischoff en est réduit à nier la notion d’histoire pour nier l’histoire régionale. Un comble pour un historien !

Une proposition de loi pour… après les élections

La proposition de loi d’Yves Hemedinger est une vraie avancée pour remédier à l’acculturation que subissent l’Alsace et les autres régions de France Au vu du calendrier parlementaire, elle a peu de chances d’être examinée avant les prochaines élections. Mais on ne peut que se réjouir de voir le débat ouvert et le sujet ainsi mis en avant à l’échelle nationale.

Benoît Kuhn, 15 octobre 2021 – Photos: alsace.news DR

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