La fille qui n’a pas froid aux yeux

En plein confinement, alors que tous les magasins sont fermés, Natacha Brand, cheffe d’entreprise d’une boutique de lingerie à Strasbourg, décide de porter elle-même et de diffuser via les réseaux sociaux des photos de ses collections.

La France découvre alors ce joli brin de fille qui s’arrache par tous les moyens pour continuer à faire vivre son magasin et maintenir les emplois. Dotée d’une formidable énergie positive et communicative, cette femme engagée, va être élue « meilleure boutique de lingerie de France » par un magazine internationale.

Élue à la Chambre de Commerce et d’Industrie, elle tire à boulet rouge sur la nouvelle municipalité en leur reprochant de ne pas s’intéresser au sujet de l’attractivité de la capitale européenne.

Rencontre avec une femme libérée, bien dans ses pompes, reine alsacienne du porte-jarretelles.

« Je voyais bien que ce qui intéressait certains messieurs ce n’était pas mes compétences, ni mes diplômes… »

Eric Churchill pour le Torchis – La France te découvre en plein confinement du COVID-19. Au moment où tous les magasins sont fermés, toi tu décides de porter les collections de lingerie que tu vends. Tu t’exposes en tenues de charmes ou en pyjama sans aucun complexe sur les réseaux sociaux. Comment t’est venue cette idée ?

Comme tout le monde, j’étais confinée. Je passais mes journées sur mon balcon. Je me faisais bronzer comme un pain d’épices. J’avais chez moi des maillots de bain et de la lingerie de la boutique. Je me suis dit : « tiens et si tu faisais des photos pour garder le lien avec ta clientèle qui te manque ? ». Je ne voulais pas qu’on m’oublie. Je voulais continuer à promouvoir les créateurs et leurs collections car tout était à l’arrêt.

Pendant le confinement, tous les gens étaient sur les réseaux sociaux. Les photos que j’ai faites ont eu une énorme portée. Des clientes de toute la France me suivaient : « ah mais qu’est-ce qu’elle va mettre la prochaine fois ? ». Il y a eu un véritable engouement pour cette initiative. Très clairement, cela nous a permis de fonctionner pendant le confinement et donc financièrement de tenir le coup.

Durant le deuxième confinement, nous avons poursuivi. Nous étions rôdées. Ma collaboratrice prenait les photos. Les acheteuses me regardaient sur les réseaux et passaient les commandes. J’enfourchais ma moto et j’allais directement les livrer quand elles habitaient dans le département. Là, ça faisait le buzz complet : la fille que tu viens de voir en tenue de charme sur Facebook qui te rapporte en direct ta commande en Harley, il faut dire que c’est drôle. Grâce à toutes ces initiatives, nous avons pu continuer à vendre.

Je suis consciente qu’une commerçante indépendante ne représente pas grand-chose dans l’univers de la mondialisation. Notre seul moyen de tenir face à la concurrence, surtout dans mon secteur d’activité, c’est d’être innovante, de savoir évoluer malgré la crise.

Le concept que j’ai mis en place fonctionne encore, donc je continue à porter les collections que je vends dans ma boutique.

Il faut du culot quand même pour s’exhiber en porte-jarretelles et petites culottes légères, surtout pour une cheffe d’entreprise. Tu n’as pas peur pour ton image ?

C’est du don. Honnêtement ce n’est pas évident. Cette image je la donne. Après je n’ai pas eu le sentiment non plus que mon honorabilité était en jeu. Je n’ai pas eu trop de problème avec ma pudeur. Sur une plage en bikini tu dévoiles aussi ton corps, et quoi ?

Dès le départ, j’ai eu une vision bienveillante de la démarche : dévoiler, sans dévoiler. Toutes les photos sont faites dans le bon goût. Ce n’est jamais provoquant ou vulgaire : je ne l’accepterais pas sinon. Tout ce que je présente est classe et élégant. D’ailleurs, je n’ai jamais eu aucun commentaire déplacé, aussi bien sur Facebook que sur Instagram, malgré nos très nombreux followers.

Mes photos sont merveilleusement accueillies ; aussi bien par les femmes que par les hommes. Je ne reçois que de gentils messages, très délicats, souvent d’encouragements ou de remerciements. Après chaque publication nous avons d’excellents retours.

D’autres lingeries indépendantes de toute la France nous suivent aussi sur les réseaux sociaux. Je suis fière de découvrir qu’elles nous emboitent le pas. C’est génial de voir que des filles croient en leurs produits et assument leur féminité en faisant comme moi (En riant) J’aurais dû déposer un copyright ! En fait la réussite de cette démarche est simple : la vérité ! Nous portons sans fard ce que nous vendons. Pas de triche, de retouche de photos, d’heures de maquillage. Nous donnons une dimension plus humaine aux traditionnelles photos de mode ou de catalogue.

En même temps c’est facile pour toi avec ta taille de mannequin…

D’accord j’ai de bonnes prédispositions génétiques, je n’ai jamais eu de soucis par exemple avec mon poids. Mais je travaille aussi. Je fais beaucoup de sport, qu’il pleuve, vente ou neige, je n’y coupe pas. Je courre énormément. Plusieurs fois j’ai fait le Mont-Sainte-Odile. J’ai un coach qui m’astreint à un programme spécifique : de la cardio et du renforcement musculaire. Je n’ai jamais annulé aucune séance. Donc oui, je n’ai aucun complexe pour mettre un porte-jarretelles. J’espère que je pourrais encore te dire cela dans 10 ans… Et puis après le sport, un peu de rock, de moto et la vie est belle. Ma Harley, c’est ma passion.

C’est quoi la différence entre Natacha Brand, Alice Lange et Le Boudoir ?

Natacha Brand, c’est mon vrai nom. Alice Lange – Le Boudoir c’est le nom de ma boutique. En 2006, j’ai repris le nom de la lingerie de la Place Kléber qui venait de fermer. Elle existait depuis 1920. Elle avait été créée par une jeune femme du nom d’Alice Lange. J’ai ajouté « le Boudoir ». Aujourd’hui, notamment sur les réseaux sociaux, tout le monde me connaît sous ce nom d’emprunt d’Alice Lange. Il faut dire que je n’ai pas de réseaux sociaux à mon vrai nom.

A la base, j’ai une licence en communication et marketing. Je n’étais pas du tout prédestinée à vendre de la lingerie féminine. J’avais 21 ans, mariée, je venais de terminer mes études. Je cherchais du travail. Les hommes qui voulaient m’embaucher ne s’intéressaient qu’à mon physique. Ils ne voyaient en moi que la bimbo blonde et jolie, sans prétention aucune. J’ai eu droit à tous les clichés : blonde, pas fufute, future boniche à la maison… Certains de mes entretiens d’embauches étaient très compliqués. Je voyais bien que ce qui intéressait certains messieurs ce n’était pas mes compétences, ni mes diplômes… Je ne voulais pas céder aux avances. Très tôt j’ai été confrontée à la misogynie. Je n’en pouvais plus de cette situation, de devoir me justifier…

J’ai finalement trouvé du travail au Printemps au rayon lingerie, en remplacement. Cela m’a beaucoup plu. J’étais respecté par les filles. Ensuite, j’ai atterri chez Alice Lange où je faisais un excellent chiffre. J’aimais travailler dans la lingerie. Les collections me plaisaient, la beauté des tissus et l’imagination des créateurs. Tout se passait bien. Et puis là, patatras, à trois mois de l’accouchement de mon fils, on nous a annoncé que le magasin allait définitivement fermer.

Je ne voulais pas revivre les mauvaises expériences de mes entretiens d’embauche. Ah non, pas encore ça de nouveau ! Je me souviens très bien. J’étais assise dans ma cuisine. J’ai appelé toutes les agences immobilières des Pages Jaunes pour trouver un local et ouvrir ma boutique. Tout le monde me disait : «  tu es barge, tu vas accoucher dans quelques mois. Tu t’es vu avec ton bidon ». Mais malgré la somme que je voulais emprunter, car je n’avais rien, mon banquier m’a suivi et m’a aidé. Je le remercie encore aujourd’hui. Il ne s’est pas trompé puisque 16 ans plus tard je suis encore là !

Natacha, ta boutique a été élue par un grand magazine international de professionnels, meilleure lingerie de France. Quelle consécration !

Oui cela me touche beaucoup. C’est une très belle reconnaissance professionnelle. J’ai eu mon trophée au Pavillon Gabriel à Paris. Cela vient récompenser le choix de mes collections, le design de ma boutique, son ambiance. Depuis que ce concours existe, je suis primée chaque année.

Toi qui connait bien les femmes : des pratiques esthétiques ont elles changées pendant ou après le COVID ?

Tout à fait, le maquillage par exemple. Les femmes se maquillent beaucoup moins qu’auparavant. Le COVID a bouleversé nos idées préconçues. Nous avons été conditionnées depuis tant d’années. Là on s’aperçoit que même sans fond de teint on peut être féminine et jolie. Ce sont, je crois, de bonnes habitudes que nous prenons, y compris dans nos organisations de vie.

Concernant la lingerie, il y a toujours deux grandes catégories : le charme et le confort. La côté confort a pris des parts de marché incroyable durant le confinement avec un boum des tenues d’intérieur ou cocooning, notamment en raison du télétravail. Maintenant, il y a un net regain pour des choses plus sexy… Les couples veulent apparemment occuper leurs longues soirées d’hiver. C’est plutôt bon signe : les gens vont mieux.

Les tendances sont les motifs léopards. La dentelle et le noir restent des intemporels qui plaisent toujours. Le rouge reste une valeur sûre, notamment pour cet hiver et pour les fêtes. De très nombreuses femmes nous réclament des guêpières, mais elles sont boudées par les créateurs et c’est donc très difficile d’en trouver actuellement.

Je n’ose pas imaginer un nouveau confinement. Il faut continuer à faire des gestes barrières et apprendre à vivre avec.

Tu es une femme d’engagements ?

Oui notamment avec Femmes de Foot présidée par Sabrina Keller. C’est une femme formidable, je l’adore.

Là, le temps me manque pour être avec elle dans ses actions, surtout durant cette période COVID, mais le Racing Club de Strasbourg c’est très important pour moi. J’aide autant que je le peux.

Femmes de Foot est une belle association caritative car son champ d’action est pluridisciplinaire : les enfants, le cancer du sein, la pauvreté, la maltraitance envers les femmes. Oui, l’engagement c’est important pour moi car ce sont des convictions intimes.

Je vois que tu as des drôles de boucles d’oreille ?

Mais tu es observateur… Ce sont des créations du joaillier Eric Humbert. Il s’agit de bretzels en or. Je suis très attachée à ma région. Je suis alsacienne à fond ! Je me revendique alsacienne en priorité. Je suis fière de parler et de pratiquer l’alsacien : yo, ich rede elsassisch.

Ma langue maternelle c’est l’alsacien. En arrivant à l’école je ne savais pas parler français. L’Alsace pour moi c’est important. Notre région est belle : son histoire, son patrimoine, sa langue. Mais surtout l’Alsace se rattache à des valeurs uniques en France : l’ouverture vers l’Europe, l’ordre, le franc parlé, l’amour du travail bien fait. J’ai besoin de tout cela. Et puis les alsaciens sont riches de leurs différentes cultures.

Tu es très en colère contre la nouvelle mairie de Strasbourg notamment concernant l’attractivité du centre-ville. C’est l’élue à la Chambre de Commerce et d’Industrie qui parle ?

C’est un gros coup de gueule. Les commerçants ne sont pas écoutés. Je ne remets pas en cause le travail de l’association des Vitrines de Strasbourg et de son président, Pierre Bardet. Le pauvre, il n’a pas de baguette magique, pour changer la situation. Ils font ce qu’ils peuvent pour que nous ne sombrions pas. Mais vraiment, je le dis : nous n’avons aucune considération de la part de la municipalité. C’est terrible et pesant.

Je ne suis pas dogmatiquement contre la politique de chasse à la voiture, mais quelles sont les alternatives proposées ? Les commerçants ont déjà été fortement impactés lorsque le parking du Printemps a fermé. Quelles sont les solutions de remplacement ? J’ajoute à ces difficultés d’accessibilité, des problèmes de sécurité. Mes clientes se plaignent régulièrement d’être agressées verbalement et de la mendicité active. Il n’y a quasiment plus de commerçants indépendants et cela n’interpelle personne ?

Alors effectivement, beaucoup de personnes, notamment des touristes, se baladent dans Strasbourg. Mais promeneur ne veut pas forcément dire acheteur. En tant qu’élue de la CCI, je souhaiterais au moins qu’on se rencontre une fois par trimestre pour discuter de l’attractivité de Strasbourg avec les élus : un vœu pieux. Personne ne nous écoute.

Eric Churchill C:UserslinouchkayaAppDataLocalMicrosoftWindowsINetCacheContent.Wordchurcill eric.png

Partager cet article :

Facebook
Twitter
LinkedIn