Quel autre terme que celui de dépossession définit le mieux le sentiment prédominant des Français dans leur ensemble depuis une ou deux décennies ? Plus qu’un sentiment, n’exprime-t-il pas aussi une réalité, celle d’un peuple que l’on dépouille de sa sécurité, du fruit de son travail, de ses biens, de ses acquis, de sa justice, de son éducation, de sa culture, de son histoire, de son identité, de tout ce qui le définit, ce qui tend à l’identifier ? Bouleversement du droit, inversion des valeurs, affolement des aiguilles, que dire de plus que ce qui se dit à longueurs de plateaux télé, commenté, expliqué et souvent même défendu voire justifié ?
Quid des grands principes fondamentaux, comme le droit à la propriété, inscrit dans la déclaration des Droits de l’Homme de 1789, qui vivent sans doute leurs derniers jours, tant ils sont combattus sans relâche par les associations de défense des sans-papiers, celles du droit au logement pour ne citer qu’elles, tant ils sont érodés par un amour de l’étranger devenu dogmatique et un droit devenu unilatéral. Ce n’est plus à ce stade une question de relâchement ou de permissivité de circonstance, c’est l’aboutissement d’une philosophie généralisée laquelle, dans sa névrose humanitaire, installe le squatteur dans une toute-puissance absolue qui lui garantit assistance juridique, protection, immunité et impunité, et dénie au propriétaire toute possibilité de recours, le rendant civilement responsable des détériorations et dégâts causés par son envahisseur.
Pourtant, il y a quelques années, de tels faits divers n’auraient jamais été envisagés. Le respect du droit, celui de la propriété d’autrui, la peur de la réponse judiciaire, tout cela aurait dissuadé toute tentative et ne serait jamais venu à l’idée de quiconque. Un simple cambrioleur savait le risque qu’il prenait en venant vous rendre visite tandis qu’aujourd’hui, persuadé de s’en tirer à très bon compte, le squatteur sait sa victime inoffensive car s’opposer à l’occupation illicite de sa maison peut lui valoir des poursuites et, comme on l’a vu récemment, une décision de justice favorable, pas plus que son titre de propriété, ne signifient la fin de ses ennuis. Ne cherchez pas, c’est comme ça. Pour le squatteur, le risque zéro est une réalité protégée.
Ne vous y trompez pas, si le laxisme judiciaire est aujourd’hui la règle, celle-ci ne l’est pas pour ce qui vous concerne. Feu les concepts d’antan, la propriété, l’autorité, la sécurité sont eux aussi dépossédés de leur sens. Posséder un bien, posséder tout court, fait de vous un être suspect, coupable, égoïste, malhonnête, quand bien même vous n’avez d’autre choix que d’habiter votre voiture, faute de justice digne de ce nom. Si en revanche vous êtes de l’autre côté, votre statut de victime reconnue et officielle fera de vous l’héritier légitime des biens d’autrui, quelle que soit la manière de vous les attribuer. Aussi longtemps que de telles inepties prévaudront, toute résistance est inutile.
La question du squat dépasse de loin le seul sujet d’un logement inoccupé que l’on s’attribue par la force. Elle est le témoin du formidable bouleversement de notre conception de la vie en société. Le squat est un parmi d’innombrables exemples du délitement national, de l’effondrement d’un corps social privé de ses garde-fous, d’une pensée déboussolée, d’une population abandonnée par des élites impuissantes à les protéger. Cette déviance ubuesque obéit à une mécanique éprouvée, on la retrouve dans l’impunité qui bénéficie à ceux dans la population que l’on dit « défavorisés », et qui chaque jour s’emploient à défigurer le pays. Est-ce le besoin de repentir ou bien la peur qui nous font marcher à reculons ? Quel plus beau tapis rouge déroulé sous les pieds de nos nouveaux maîtres, quel plus beau gage à l’indécence distribué sur le dos des honnêtes gens, de leurs sacrifices, de leur travail et de leur confiance dans des institutions qu’ils croyaient à leurs côtés. Mais qui aurait pu imaginer il y a dix ou quinze ans que le bien que vous avez acquis à la sueur de votre front pourrait vous être confisqué non seulement sans aucun recours, mais avec l’obligation d’en assumer toutes les charges ? Que vous pourriez un beau matin trouver la porte de votre maison verrouillée, les serrures changées, vos effets personnels salis, détruits, empilés dans une cour transformée en déchetterie.
Une simple effraction et c’est toute une vie entre les mains d’inconnus sans scrupules, sans lois, sans conscience, qui vous menacent car vous avez manqué d’humanité en protestant. Quel plus beau doigt d’honneur finalement que celui d’une justice qui se fout de votre peine comme de sa première balance…
Plus que le fait divers, c’est la portée symbolique du squat qui interpelle, car il est difficile de considérer l’entrée de force dans un bien et son occupation de fait, sans la mettre en perspective avec les réalités de la politique migratoire, ou les idéologies qui l’encouragent aux dépens de la paix civile, et en premier lieu du sens commun. Cette intrusion qui va de nos frontières à l’intimité de notre salon, elle n’est possible qu’en raison de notre soumission collective à ceux qui ont pris la mesure de la brèche que la pensée unique a ouverte dans notre droit. C’est une aberration de plus, une monstruosité de plus, un recul de plus dans une société qui fait des régressions successives la réponse palliative à sa conscience accablée.
Nestor Tosca