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Entre horreur et déshonneur

Après Holodomor,  voici l’écho de Marioupol et Boutcha.

Pour ne pas sombrer dans la russophobie, maladie sénile du progressisme, je m’appuie sur deux lettres. Prémonitoire, la première écrite le 11 février 1863 par Victor Hugo dénonce les agissements de l’armée russe en Pologne.

Première lettre : Victor Hugo

Soldats russes, redevenez des hommes.

Cette gloire vous est offerte en ce moment, saisissez-la.

Pendant qu’il en est temps encore, écoutez :

Si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers, qui êtes de nobles cœurs, mais qu’un caprice peut dégrader et jeter en Sibérie ; si, vous, soldats, serfs hier, esclaves aujourd’hui, violemment arrachés à vos mères, à vos fiancées, à vos familles, sujets du knout, maltraités, mal nourris, condamnés pour de longues années et pour un temps indéfini au service militaire, plus dur en Russie que le bagne ailleurs ; si, vous qui êtes des victimes, vous prenez parti contre les victimes ; si, à l’heure sainte où la Pologne vénérable se dresse, à l’heure suprême ou le choix vous est donné entre Pétersbourg où est le tyran et Varsovie où est la liberté ;

Si, dans ce conflit décisif, vous méconnaissez votre devoir, votre devoir unique, la fraternité ; si vous faites cause commune contre les Polonais avec le czar, leur bourreau et le vôtre ; si, opprimés, vous n’avez tiré de l’oppression d’autre leçon que de soutenir l’oppresseur ; si de votre malheur vous faites votre honte ; si, vous qui avez l’épée à la main, vous mettez au service du despotisme, monstre lourd et faible qui vous écrase tous, Russes aussi bien que Polonais, votre force aveugle et dupe ;

Si, au lieu de vous retourner et de faire face au boucher des nations, vous accablez lâchement, sous la supériorité des armes et du nombre, ces héroïques populations désespérées, réclamant le premier des droits, le droit à la patrie ; si, en plein dix-neuvième siècle, vous consommez l’assassinat de la Pologne, si vous faites cela, sachez-le, hommes de l’armée russe, vous tomberez, ce qui semble impossible, au-dessous même des bandes américaines du Sud, et vous soulèverez l’exécration du monde civilisé ! Les crimes de la force sont et restent des crimes ; l’horreur publique est une pénalité.

Soldats russes, inspirez-vous des Polonais, ne les combattez pas.

Ce que vous avez devant vous en Pologne, ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple.

Merci à Victor Hugo de rappeler que la liberté constitue le génie de l’humanité ! 

Analogie avec la situation en Ukraine ?

 Dans ce pays « frère » l’armée russe se montre brutale. Sa doctrine militaire inchangée depuis Katyn, Grozny et Alep le démontre : on rase, on détruit, on pille, on viole, on torture. Si on conçoit qu’un immeuble soit frappé dans un contexte guerrier, comment saisir le motif pour un cycliste couché dans la rue avec une balle dans la tête. D’un hôpital, d’une école, d’un théâtre anéantis. Crime de guerre, crime contre l’humanité !

Hitler déportait les Juifs du ghetto de Varsovie vers Treblinka. Poutine organise des convois humanitaires d’habitants de Marioupol vers …les villes russes.

Le 4 avril 1940 massacre de Katyń 

Le massacre de Katyń. Des milliers d’officiers polonais furent exécutés sommaire- ment. Un crime que l’URSS imputa à l’Allemagne nazie. Ce n’est qu’en 1990 que les Soviétiques reconnaissent leur responsabilité. Combien de temps pour Bouchta de février 2022 ? La Russie en paiera les dégâts durant des années. Le peuple russe ne l’a pas mérité.  Quand à tous ceux pro-russes, les trolls de St. Pétersbourg, poutinistes aveugles qui nient ces faits en les cautionnant, ils portent la responsabilité́ de ce qu’ils camouflent.

Toute pièce a deux faces. Après cette face sombre, voici la face claire digne de l’humanité qui prévaut en chacun de nous.

L’Histoire démontre que le peuple russe n’a jamais connu la liberté d’être, de penser et de vivre. Il a une conception strictement verticale des relations : dominant ou dominé. L’assassinat d’Anna Politkovskaïa abat un rideau de fer sur la population civile afin de renforcer l’encerclement cognitif. Alors qu’on fait croire au peuple russe que son pays mène une promenade de paix en Ukraine, Marina Ovsyannikova dit à la télé : «On vous ment ».

La Russie ne se résume pas à Poutine

Les soldats partis en manœuvre, pensant être accueillis avec des fleurs, repartent pour certains dans des cercueils. La suite rappellera Les Cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch : les gens ne devinaient ce qui se passait qu’en voyant arriver d’Afghanistan des cercueils de zinc. Cela démolit le mythe du soldat soviétique accomplissant son devoir internationaliste alors qu’en réalité il lance des grenades

dans des maisons abritant femmes et enfants.

Le viol est une arme de guerre à Boutcha, Irpin, Hostomel… Reprenant le contrôle de ces villes autour de Kiev, les Ukrainiens et le reste du monde découvrent l’horreur. Le retrait des forces russes met au jour leurs exactions. Des centaines de corps, dont certains suppliciés. Les premiers récits de viols. Les survivants disent le cauchemar de ces jours d’occupation.

Derrière sa prétention à la superpuissance militaire, la Russie présente son vrai visage : elle n’est pas un régime militaire mais un régime policier. Elle le paie en Ukraine. En revanche, le docteur Fol amour de Moscou a réussi un exploit. Il donne corps au fantasme qui l’obsède : la création d’une nation ukrainienne.

Ne confondons par ce qui est dramatique, la survenance du malheur, et le tragique, qui est l’explication du malheur sous l’effet d’un fond caché qui nous dépasse. Voici l’autre face de cette tragédie pour croire à la survie de l’humanisme: la Russie ne se résume pas à Poutine.

Où s’arrêtera la haine anti- russe la plus primaire, la plus stupide ? 

Alors que la lâcheté́ prend, avec le conflit ukrainien, des oripeaux jaunes et bleus, certains avatars de la cancel culture gèlent les «consonances slaves » en France : Dostoïevski, Soljenitsyne. Même la musique est « lessivée » de son adjectif « russe » à l’orchestre philarmonique de Strasbourg. La géométrie des indignations est variable, oubliant le général de Gaulle pour qui le fait russe primait le fait soviétique.

Entre horreur et déshonneur

Après le tsar Ivan le terrible, Vladimir Poutine, l’insensé́. Il fait sienne la lettre que ce tsar adressa au prince Kourbski : « Les tsars doivent toujours être prudents, et comment ! Pour leurs serviteurs, pour les bons : la compassion, la douceur et la paix, mais pour les mauvais : la cruauté́ et la souffrance ! Mais s’il n’en est pas capable, le roi, alors, il n’est pas roi, il n’est rien ! Il est la honte et honte à lui. »

Poutine parle de « héros de la patrie qui luttent contre le nazisme ». Vocabulaire classique du KGB. Mais inapproprié, quand il envoie des conscrits de 18 ans… en manœuvre. Et qu’ils seront des milliers à n’en pas revenir. C’est pathétique. Qui s’en préoccupe au Kremlin ? Quand Poutine et sa clique galonnée se réunissent et commencent à se frapper la poitrine, cela rappelle ces chimpanzés qui s’enflamment pour aller attaquer une autre tribu de chimpanzés. 

Sergueï Choïgou, ministre de la défense ? Il n’a aucune expérience militaire : c’est pour cela qu’il est bardé de décorations !

A la différence de ses dirigeants, le peuple russe est intelligent. Il comprend qu’il est trompé. La fermeture de toutes les communications avec l’Occident, en particulier les réseaux sociaux, est un signe de faiblesse du Kremlin. L’information circule sous le manteau. Les Ukrainiens publient des SMS et Tweets de soldats russes effarés. Nous ne sommes plus en 1942 …

Poutine commet un crime contre les Ukrainiens. Il commet aussi un crime contre les Russes qui condamnent sa guerre contre leurs frères ukrainiens! Dans son bunker du Kremlin, il relit Mein Kampf pour s’en inspirer afin de refaire l’URSS. Il plagié Hitler dans le discours truqué et sa machine de propagande est issue du communisme totalitaire et du nazisme criminel : il appelle paix ce qui est guerre, oubliant qu’un crime reste un crime et qu’une occupation n’est pas un camp de vacances. Il a fait surgir une Ukraine fière de son identité et de son histoire, recréée contre le stéréotype soviétique. 

Se sentant coupables devant les martyrs ukrainiens, beaucoup de Russes ont honte de leur passeport russe quand leurs avions bombardent les quartiers civils de Kiev, de Marioupol ou de Kharkiv. Chaque mère russe se sent coupable devant les mères ukrainiennes enterrant leurs enfants tués sur ordre du Kremlin.

Deuxième lettre, une lettre  bouleversante 

Lilia K. une amie russe m’a fait parvenir la lettre bouleversante qu’elle a adressée à ses collègues du Conseil de l’Europe :

« J’ai décidé́ d’écrire ce message en réponse à l’intervention d’Olga. Comme vous tous, j’ai été́ témoin de l’émotion de Olga, de sa douleur et de sa gratitude pour tous et toutes qui ont fait preuve de la solidarité́ pour l’Ukraine et pour son peuple. 

Je partage cette émotion, cette douleur et cette gratitude. Je suis Russe, je suis née à Novossibirsk et j’ai grandi en Ukraine. Je suis allée à l’école ukrainienne et j’ai appris toutes mes matières dans la langue ukrainienne. Mon père, mes grands-parents et mes arrières grands-parents sont enterrés dans la terre ukrainienne. 

Mes amis d’école sont aujourd’hui à Kiev, à Donetsk, à Kherson, à Marioupol. Ils souffrent, ils se cachent, ils ont froid et ils haïssent les Russes. Mon oncle, qui est aujourd’hui en Ukraine, m’a demandé de renier mes origines russes et de devenir ukrainienne, corps et âme. Je comprends. Mais je ne peux pas trahir qui je suis. 

Malgré ​ cette horrible déchirure, je reste Russe. J’aime mon pays, sa culture, sa langue, son histoire et son peuple. J’aime aussi l’Ukraine, sa culture, sa langue, son histoire et son peuple. Mon cœur saigne. Mon âme pleure. Ma patrie est la Russie. Ma patrie est l’Ukraine. 

Mais aujourd’hui mes deux patries sont en guerre. Je n’ai pas à choisir. Comme je n’ai pas à avoir honte d’être Russe. Ma première identité est très forte et elle constitue celle que je suis au fond de moi. Mon identité́ ukrainienne constitue un deuxième cerne de croissance, comme mon identité́ française constitue mon troisième cerne de croissance. Comme un arbre qui a vécu un demi-siècle, et qui a changé de sol. 

Somme toute, je suis Européenne. Mes valeurs européennes sont encore plus fortes que lorsque j’avais, par une déclaration solennelle, affirmé mon attachement au Conseil, conformément au statut de fonctionnaire international. Aujourd’hui ces valeurs font partie de mon ADN. Je n’ai pas besoin de faire semblant ni de réitérer ma déclaration solennelle.

 Je souhaite, par contre, faire appel aux collègues, russes ou ukrainiens, et d’autres aussi, de continuer à œuvrer pour la paix, à notre échelle, d’arrêter le discours de haine et de vengeance, d’arrêter de culpabiliser ceux qui ne sont pas responsables pour cette guerre horrible, et de continuer à se faire confiance.

 Même si ce n’est pas simple. Même si la douleur vous remplit. Pour donner un exemple de paix et d’unité. Si pas nous, qui d’autres ? Si vous comprenez et partagez mes paroles, diffusez ce message. 

Votre collègue et amie, Lilia K.»

Lilia K. et moi en avons parlé. Ses mots lourds de souffrances, ses regards brillants de honte et d’espoir, ont fait que Lilia, russe et moi, français palpitions au même rêve comme d’autres sont du même pays. 

Sa conclusion fut belle : Même si les voies du Seigneur sont impénétrables, la guerre reste une très grande connerie.

Avec cette note d’optimisme, je citerai en l’adaptant l’aphorisme de Lermontov après la disparition du plus grand poète russe : « Quand après Poutine, il n’y aura plus rien, il y aura toujours Pouchkine »

Gérard Cardonne 

Reporter Sans Frontières 

17 avril 2022

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