J’étais fin septembre 1980 à Kansas City, la ville natale de Charlie Parker, en compagnie de Francis Paudras, un illustrateur parisien passionné de jazz. Pour terminer son imposant ouvrage iconographique sur ce musicien (*), Francis avait besoin de photos de l’enfance de ce grand saxophoniste et nous sommes partis à la recherche de son fils, Léon Parker. Notre amie commune, Chan Parker-Richardson, la dernière femme de Parker, nous avait remis une lettre de recommandation auprès de Carroll Jenkins, l’ancien président du Syndicat des musiciens de couleur de la ville.
Après une jam session mémorable, qui a commencé à 2h du matin et fini à l’aube, nous nous sommes rendus au Lincoln Cemetery, situé côté Missouri, où repose Charlie Parker. La pierre tombale que nous connaissions par sa photo et qui comportait une erreur de date, n’était pas celle du cimetière. « L’originale a été volée et mise en vente par une petite annonce dans un journal local, a expliqué Carroll Jenkins. L’enquête menée par le FBI n’a pas abouti. La pierre tombale actuelle a été payée par Benny Carter. » Benny Carter, un immense saxophoniste alto et arrangeur, qui travaillait dans les années cinquante à Hollywood pour le cinéma.
Kidnappé devant la Société des auteurs
Retrouver Léon Parker ne fut pas une mince affaire. Nous avons pu finalement le joindre au téléphone, mais il a nié être le fils de Charlie Parker. De nombreuses interventions en notre faveur furent nécessaires pour obtenir un rendez-vous. A la question « Pourquoi avoir contesté être le fils aîné de Charlie Parker au lieu d’en être fier ? », Léon Francis Parker nous a répondu :
« Mon père a eu une vie chaotique et n’a jamais défendu ses droits de compositeur et d’interprète. Comme depuis son décès en 1955, aucun membre de la famille n’a perçu le moindre centime, je suis allé à la Société des droits d’auteurs de New York pour demander des explications. On m’a répondu qu’aucun paiement n’avait pu être fait en raison de la situation compliquée des familles. Après avoir épousé et divorcé de ma mère, Rebecca Ruffin, mon père avait épousé Géraldine Scott. Puis sans divorcer, il s’était marié une troisième fois avec Doris Syndor et était donc bigame. Enfin, comme il a vécu plus de sept ans en concubinage avec Chan Richardson, cette dernière est considérée comme épouse devant la loi. Cet imbroglio justifiait selon eux l’absence de règlement de leur part. J’avais toutes les procurations nécessaires et un rendez-vous fut fixé la semaine suivante, afin de leur laisser le temps de faire le point sur plus de trente années d’activité. Les droits de reproduction des disques, ceux des diffusions radio, des concerts « live » et enregistrements de ses compositions par des tiers, des partitions, et ce dans le monde entier, peuvent être estimés à plus d’un million de dollars. »
Le jour du rendez-vous, poursuit Léon Francis Parker, « j’ai été kidnappé devant l’entrée de la Société des auteurs. Deux gangsters, le révolver à la main, m’encadraient à l’arrière d’une voiture. Pendant que nous faisions plusieurs fois le tour du pâté maison, on m’a averti que, si je revenais réclamer notre dû, une fin tragique m’attendait ainsi que ma famille. J’ai aussitôt quitté New York avec femme et enfants pour Kansas City où je suis postier. Depuis, je ne suis plus le fils de Charlie Parker. »
Deux titres inédits
Au moment d’embarquer dans l’avion pour New York, Carroll Jenkins nous a offert un acétate (disque métallique recouvert d’une couche de laque), contenant deux titres inédits de Charlie Parker. Ils furent enregistrés en solo au saxo alto probablement en 1940. Le transfert sur bande magnétique de Honeysuckle rose / Body and soul, réalisé par Jacques Hubert, Studio Sesam à Strasbourg, fut envoyé à Francis Paudras. Le producteur anglais Tony Williams publia ces deux titres sur son label Spotlite.
Lors d’une visite quelques années plus tard à Chan Parker- Richardson, j’ai vu un sous-verre accroché au mur, qui contenait un chèque de 0,45 $, seul paiement de la société américaine des droits d’auteurs-compositeurs. Aujourd’hui encore, les musiciens du monde entier jouent les compositions de Charlie Parker, et on peut se demander si les droits perçus sont effectivement reversés à la succession.
Ces informations concernant le fils de Charlie Parker n’ont pas été divulguées jusqu’à présent afin de protéger sa famille. Après plus de quarante ans, il était temps de les publier.
COLE PORTER
(*) « To Bird With Love », 5 kg, Ed. Vizlov, 1980, épuisé.