Laissez-moi vivre ma mort

 Laissez-moi vivre ma mort  

C’est une sentence, une prière, un cri lucide. Elle dit en six mots ce que mille discours n’arrivent pas à formuler. Elle mérite d’être mise en lumière, isolée, gravée en tête.

La loi sur la mort assistée est une loi scélérate. Elle n’offre pas la liberté. Elle organise une obéissance à la souffrance, au désespoir, à la logique comptable. Elle ne laisse pas le droit à chacun de vivre sa mort, elle la programme.

Et si nous avions encore le courage de la vraie compassion celle qui reste, qui veille, qui soutient jusqu’au bout, alors peut-être entendrions-nous ce que disent ceux qui ne demandent pas à mourir selon un protocole.
Personne ne demande à souffrir. Personne ne fait l’éloge de l’agonie. On ne peut pas ignorer les cas-limites, les situations extrêmes, les corps broyés et les esprits à bout. Mais la mort ne doit pas être organisée comme une solution finale ou une solution sociale.

On ne peut pas transformer la dernière heure, l’ultime fragilité en procédure, en automatisme. Or, c’est exactement ce que fait la loi sur l’aide à mourir, votée par une majorité parlementaire disciplinée dans une ambiance d’autosatisfaction glacée, sans réel débat national, et dans l’indifférence quasi générale.

On nous parle de dignité. On nous parle de liberté. Mais cette loi ne protège ni l’une ni l’autre. Elle dissimule derrière des mots doux une logique implacable : celle d’une société qui ne sait plus quoi faire de ses mourants, et qui préfère les éliminer proprement, dans le confort aseptisé de l’intention morale.

Il y a là, une rupture éthique historique profonde.

Le serment d’Hippocrate, fondateur de l’éthique médicale occidentale, affirmait clairement :
« Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion. »La médecine reposait sur une promesse : soigner, accompagner, soulager. Ne jamais tuer.

La nouvelle loi rompt avec cela. Officiellement, elle « n’impose rien« , elle « encadre », elle « ouvre un droit ». Balivernes !

En réalité, elle institue un dispositif où la mort devient un service public. Les médecins opposés à cet acte auront certes une clause de conscience, mais une clause amputée : ils devront réorienter les patients. Ils devront collaborer, même indirectement, à ce qu’ils refusent en conscience. C’est une forme de coercition douce, mais implacable.

Et demain ? Demain, les établissements devront s’organiser. Les familles seront incitées. Le consentement sera supposé. Puis, il deviendra une formalité, un formulaire.

Il est aisé de plaider pour l’ »ultime liberté » d’un patient à bout de force. Mais la vraie liberté dans la fin de vie n’est pas de choisir sa mort : c’est de ne pas y être acculé.

Combien de personnes âgées, malades, dépressives, isolées, comprendront ce nouveau message d’État : « Si tu souffres, tu peux partir. Si tu coûtes trop, tu peux disparaître. »
Cela ne s’appelle pas la liberté. Cela s’appelle la pression douce à mourir.

La compassion, ne consiste pas à injecter un liquide léthal, la compassion, c’est de rester, de tenir la main, d’apaiser les douleurs, d’accompagner le passage.

La France dispose des moyens de le faire. Elle possède des services de soins palliatifs, des services de la médecine de la douleur, de la présence humaine. Mais on ne les finance pas. On ne les forme pas. On ne les rend pas disponibles. Alors on légifère, on euthanasie.

Il n’y a eu aucundébat aucun sursaut, sinon quelques protestations religieuses timides, vite étouffées. Quelques tribunes médicales, peu relayées. Une société trop fatiguée pour se battre pour ses mourants et prête à mourir sur commande.

La mort n’est pas un rebut à gérer, mais un moment à vivre. Toute société qui légalise la mise à mort sous prétexte de dignité commence à désapprendre la valeur de la vie.

On dira que tout cela tient de l’exagération, qu’il ne s’agit pas d’eugénisme, de dérive, d’idéologie.
Mais l’histoire, elle, est moins naïve. À chaque fois qu’une société légalise la mort administrée, même dans les cas les plus « choisis », elle glisse. Elle commence par les incurables. Puis les très âgés. Puis les isolés. Puis les fatigués. Puis les handicapés…

L’Allemagne des années 1930 avait commencé par là. Avec douceur. Avec logique. Avec humanité, pensait-on. Le programme Aktion T4, qui éliminait les « vies indignes d’être vécues », n’a pas commencé dans la barbarie, mais dans les institutions de santé. Ce n’est pas un amalgame. C’est un rappel. Les glissements n’avertissent jamais.

Nous savons que la mort viendra. Mais nous la voulons libre, humaine. Beaucoup refusent qu’une procédure,  une équipe hospitalière ou un formulaire décident pour eux du moment où il sera « temps de partir ».

Ils veulent vivre leur mort. Entourés. Aimés. Écoutés. Même fragiles, même diminués. Car la vie reste digne tant qu’on l’aime. Et la mort reste humaine tant qu’on ne la programme pas.

Alors laissons à l’humanité le droit de vivresa mort.

Silvia Oussadon Chamszadeh

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