Après que Virginie Joron s’est ridiculisée en publiant des vidéos sur la saleté des rues strasbourgeoises en ayant recours à des images issues de l’intelligence artificielle, le constat est clair aujourd’hui : à Strasbourg, comme dans beaucoup de grandes métropoles mais aussi de petites villes, le RN a du mal à lancer sa campagne pour les municipales de 2026. Dans la capitale alsacienne, on peut même dire que le RN n’existe pas dans les débats en cours ni dans les manœuvres partisanes. Alors que d’autres partis sont déjà pleinement engagés, avec des comités de soutien bien constitués, des rencontres sur le terrain, des réunions publiques, des tracts sur les marchés, des affiches en ville et même des tentatives de rapprochement, le RN brille par son absence.
Pourtant, le RN dispose d’un poids électoral incontesté en Alsace, mais ces suffrages obtenus lors des élections nationales ne se traduisent pas automatiquement dans les scrutins locaux, et encore moins dans les élections municipales. La dynamique se fracture dès qu’on se retrouve sur le terrain local. Alors que le RN capte une large fraction de l’électorat protestataire aux législatives, aux européennes et aux présidentielles, lorsqu’il s’agit de constituer des listes, d’incarner une candidature ou d’assumer une étiquette devant son voisinage, le paysage se transforme inéluctablement. Le RN affiche alors un handicap structurel que ses résultats nationaux ne parviennent pas à gommer.
Une partie de ce handicap tient au rapport très distendu que le parti entretient avec la vie locale. Le RN n’a jamais su — ou pu — s’appuyer sur les réseaux locaux d’influence qui structurent habituellement la politique municipale. À l’opposé des listes de gauche, bien implantées dans les principales villes alsaciennes, ou des notabilités de la droite républicaine et du centre-droit, il ne bénéficie d’aucun relais associatif, ni de figures reconnues dans le monde économique, qu’il soit agricole ou industriel, et encore moins d’élus sortants susceptibles d’incarner une continuité sur un bilan reconnu. Les attaches du RN font cruellement défaut, en ville comme à la campagne, où, dans certains villages, le vote RN a pu être majoritaire lors de scrutins nationaux.
Au handicap d’implantation s’ajoute un problème de taille, difficilement surmontable : la constitution même des listes. Une candidature à une élection municipale n’est pas comparable à un bulletin glissé secrètement dans une urne. Pour constituer une liste, même dans les plus petites communes, il faut des dizaines de noms et respecter la parité hommes/femmes. S’afficher avec l’étiquette RN, c’est presque comme annoncer qu’on est porteur d’une maladie honteuse. Certaines personnes refusent donc d’apparaître sur une liste locale sous cette étiquette, qu’ils pourraient traîner comme un boulet dans leur vie quotidienne et leur environnement professionnel. Ce phénomène est encore plus marqué chez les femmes. Il existe une réelle réticence sociale à assumer cette étiquette. Dans certaines villes, pour constituer des listes complètes et paritaires, on a même fait figurer les épouses des candidats sous leurs noms de jeune fille. Ou bien, comme cela a souvent été le cas aux législatives, on a eu recours à des candidatures non implantées localement.
On constate donc un autre plafond de verre pour le RN dans les élections locales. Un bulletin de vote RN au niveau national est souvent une expression de colère, de lassitude, voire de révolte à l’égard de ceux qui nous gouvernent. À l’inverse, les élections municipales concernent notre quotidien immédiat, par la gestion de l’espace public communal, des écoles, du logement, des associations sportives ou culturelles (voire cultuelles en Alsace). C’est là que comptent des paramètres comme l’histoire locale, la connaissance personnelle des candidats ou le bilan des municipalités sortantes. Ce décalage paraît, pour le moment, difficilement surmontable à Strasbourg comme dans le reste de l’Alsace.
En dehors de Strasbourg et Mulhouse, peu de candidatures sous l’étiquette RN se sont fait connaître à ce jour dans les autres grandes ou moyennes villes alsaciennes, alors qu’on est à moins de quatre mois du scrutin. N’oublions pas que les élus municipaux constituent une très grande partie des grands électeurs qui seront appelés à renouveler les mandats des sénateurs. Sans une représentation conséquente au Sénat, remarque valable aussi pour LFI, le poids du RN sur la vie politique nationale restera forcément limité.
Marc Assin