Je ne sais pas si c’est ta conseillère Pôle emploi qui t’a suggéré de te reconvertir dans le « feel-good sentimental de supermarché », mais je dois reconnaître que c’est un beau succès. Et je le dis sans cynisme, parce que, comme des milliers de gens, j’ai été tout émue de te voir cuisiner ta tourte aux carottes, avec ta bonne bouille et tes grands yeux tristes. C’est ça aussi, l’esprit de Noël : se laisser aller à une émotion simple, sans arrière-pensées et retrouver son âme d’enfant, l’espace d’un instant.
Mais tu sais, Le Loup, nous avons beaux avoir la larme facile, nous ne sommes pas des agneaux naïfs pour autant. Nous savons ce qui se cache derrière la pub et nous nous doutons bien que, à l’idée des ventes futures de peluches à ton effigie, les actionnaires d’Intermarché commencent déjà à se transformer à leur tour en loups… de Tex Avery.
Ça n’enlève rien au charme de la publicité et à ton interprétation parfaite. C’est le rôle de ta vie. De toute façon, en grand méchant loup, tu sais bien que tu n’avais pas d’avenir.
Tu ne faisais plus peur.
Comme il y a des hommes d’un autre temps, il y a des « méchants » d’un autre temps. Toi, tu étais le genre de vilain « à l’ancienne ». Dans les contes, tu arrivais avec tes petits yeux cruels, tu dévoilais tes crocs féroces avant de dévorer tes victimes d’un coup. Ensuite, repu, tu t’endormais sous un arbre. Il n’y avait pas de haine en toi, juste une faim à assouvir.
Nos « méchants » d’aujourd’hui ne rôdent plus dans les bois, mais vivent à l’abri de leurs châteaux. Ils sont à la tête d’un royaume qui, depuis bien des années, perd chaque jour un peu plus de sa grandeur et de son histoire. Ils nous livrent une guerre tantôt sournoise, tantôt brutale, en envoyant des véhicules blindés à l’assaut des paysans qui refusent l’abattage de leurs troupeaux, en bradant nos entreprises, et en démantelant, méthodiquement, tout ce qui faisait notre indépendance et notre fierté.
Leur appétit est insatiable, leur cupidité sans limite et, s’ils ont toujours de grandes dents, elles sont désormais beaucoup plus aiguisées que les tiennes.
Ils sont bien plus dangereux que toi, Le Loup.
Toi, tu étais juste un adversaire à combattre.
Eux, ils sont nos ennemis rusés et s’ils nous caressent, c’est pour mieux nous trahir.
Qu’importe. On va la faire, cette trêve de Noël. On va le décorer, ce sapin, et une fois de plus, on va allumer nos guirlandes. On va serrer nos amis et nos proches dans nos bras, on va se souhaiter mille bonnes choses. On va cuisiner, on va sourire, même si on n’en a pas toujours très envie. On va tous faire ça. Tous.
Même les agriculteurs de l’Ariège, même les ouvriers de chez Brandt. Eux aussi vont prendre leurs enfants sur leurs genoux, aider leurs petites mains impatientes à ouvrir les cadeaux et embrasser leurs joues roses d’excitation et de plaisir. Eux aussi diront : « attends, je vais t’aider. Alors tu es content ? C’est ce que tu voulais ? ». Ils auront juste le cœur bien lourd.
Oui, on va la faire tout de même cette trêve de Noël. Une fois de plus.
On va regarder ton joli film et à chaque fois, un léger sourire naitra sur nos lèvres. Parce que ça nous fait du bien et que, plus que jamais, on a besoin d’un peu d’amour, de douceur et d’espoir.
Mais tu nous connais, Le Loup. Tu as hanté nos rêves d’enfance. Tu nous as pourchassés pendant des siècles. Tu te souviens qu’on est capables du meilleur comme du pire. Parfois lâches, résignés, divisés. Parfois fiers, coriaces et déterminés.
Les temps sont difficiles, et la forêt grouille de révolte face aux injustices. Tu le sais toi, que même affaiblis, même mal en point, même encerclés de tous les côtés, nos cœurs battent toujours. Tu le sais qu’on ne se laissera pas dévorer sans combattre.
En attendant, Joyeux Noël, Le Loup.
Nathalie Bianco