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« Parce que c’était lui, parce que c’était moi »

Je connais trop bien le rire de Raymond Waydelich quand il verra ces lignes :

« Gérard, tu ne changeras pas ! » Il est vrai qu’il y a plus de 70 ans que nous nous connaissons. Ce fut lors d’une exposition à l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg que nous nous sommes rencontrés alors que j’étais en permission comme officier de la Légion étrangère au Sahara pour tomber au milieu d’un joyeuse bande d’étudiants en verve. Deux mondes s’entrechoquaient. Tandis que j’étais en expectative devant une toile sur laquelle s’ébattaient des animaux étranges, Raymond Waydelich est venu vers moi en riant pour expliquer au béotien que j’étais l’organisation picturale de cette toile.

C’est ainsi que nous sommes devenus amis. Lui était attiré par ma vision de l’ailleurs. Moi, par sa vision de l’étrange. Nous avons passé une joyeuse soirée dans un winstub. Ce fut la première d’une très longue série. Il m’avait présentée deux amies étudiantes… Quelques années plus tard, nous les avons épousées. Chacun la sienne.

Notre amitié s’était nouée sur un coup de foudre débouchant sur une sorte de fusion entre nous. Nous ne nous sommes plus jamais quittés, conscient du sens profond du vers de Sylvie ReffStern qui nous dit le « grand bonheur d’être vivant qui fait de chaque pas une prière. » Comment ne pas être subjugué par cette joie de vivre créatrice, par ce sens de l’observation critique qui transparait dans chaque trait des dessins de Raymond Waydelich. Par son sens du choix et de la place de la couleur dans ses œuvres. Il était subjugué par la théorie poétique du poète allemand Wolfgang von Goethe, pour qui les couleurs ne se composaient que de lumière et d’ombre.

Raymond Waydelich me disait souvent : « La couleur reste en partie un mystère pour les artistes. Le jaune n’est qu’une lumière humectée par l’obscurité ». Il est le seul artiste alsacien depuis Arp en 1954 à être invité à la Biennale de Venise.

La plus belle preuve de cette amitié qui nous unissait fut lors de la publication de mon premier ouvrage : L’Or du Rhin : il en fit la couverture et les illustrations. Je fus ému par ce geste artistique qui mêlait nos amitiés l’une en l’autre dans ce mélange universel au point qu’elles effaçaient la couture qui les avait jointes. Comment ne pas revivre ces soirées hors du temps quand, avec Tomi Ungerer, mon chef éclaireur, nous festoyions tous les trois autour de notre met favori de tous les Alsaciens bien nés : un foie gras de chez nous avec une vendange tardive. Puis, nous suivions les conseils de Sebastien Brant pour déguster à loisir notre traditionnel Baeckeoffe arrosé de riesling. Ce n’était pas une fête mais un sacerdoce alsacien. Nous vivions hors du temps quand, le 23 septembre 1995, Raymond Waydelich créa le caveau du futur de Strasbourg enterré sous le parvis de la cathédrale. Un bunker de béton renfermant le témoignage de la civilisation de la  fin  du  XXe  siècle,  ainsi que des messages rédigés par la population de Strasbourg. J’y avais déposé mon roman Wormsa, la vallée bleue. Le tout à destination des archéologues du quatrième millénaire qui ouvrirons le caveau… le 23 septembre 3790 en référence aux expéditions archéologiques initiée dans le livre album de science-fiction Mutarotnegra qui, lu à l’envers, est «Argentoratum» ! Raymond Waydelich et moi, nous nous retrouvions sur l’Alsace, concept quasi religieux qui nous faisait prendre les armes quand nous constations les attaques idéologiques contre l’identité alsacienne et la déconstruction en cours de notre identité rhénane.

En ce moment, il doit festoyer sur l’Alsace avec son inspiratrice Lydia Jacob, humble couturière qu’il transformera en héroïne alsacienne. Au nom de cette amitié qui n’était qu’un prolongement de cet élan qui nous liait l’un à l’autre dans un élan fraternel, je laisse le dernier mot à Boileau: Et, bien qu’un triste sort t’ait fait perdre la vie, Hélas ! en te perdant j’ai perdu plus que toi.

Gérard Cardonne Reporter Sans Frontières

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