C’est de bonne guerre en temps ordinaire, responsables politiques et commentateurs ont souvent une lecture divergente des résultats d’une élection, chacun des camps revendiquant la victoire ou, lorsqu’elle ne s’est pas produite, minimisant sa déroute dans un mouvement naturel d’orgueil. Tout est fonction de la couleur des lunettes que l’on porte. Mais dans l’atmosphère de ces derniers temps, la démocratie peut aussi relever de deux visions très opposées, l’une se réclamant du respect de la constitution et du suffrage populaire, l’autre du soulèvement insurrectionnel et des barricades et de ce point de vue, les partisans du nouveau Front Populaire confirment une inaptitude républicaine qui n’est plus désormais une surprise pour personne. Le faux-prétexte d’un parti « xénophobe et raciste » tout près de transformer l’essai a, semble-t-il, cessé de produire son effet anesthésiant dans l’opinion, à l’exception d’esprits définitivement sclérosés par des années de propagande et de préjugés. Résultat, un Rassemblement National en tête sur le plan national, une réaction cutanée immédiate du Front de gauche arrivé en deuxième position et, loin derrière, le camp dit « du bien » qui apparaît désormais comme un naufrage politique incarné et le seul vrai grand perdant de cette campagne.
Visiblement, le plan du président n’a pas marché comme prévu et on peut dire sans trop s’avancer que la parenthèse qu’il a initiée un soir de mai 2017 s’est refermée brutalement sur ses ambitions mégalomanes et par sa seule faute. A trop jouer avec le feu…
« Entendons-nous bien, les désistements ne sont pas des ralliements. »
Une fois dissipées les fumées de ce premier acte des Législatives, les électeurs ont à faire un choix crucial qui dépasse, on l’a bien compris, le seul cadre d’un suffrage national, de même qu’il dépasse de simples enjeux économiques et sociaux comme cela avait été le cas par le passé. Or ce choix qui au départ pouvait sembler simple, se complique en raison d’alliances contre nature décidées dès les résultats du premier tour, de tractations illogiques et surprenantes (sauf pour qui connaît Macron) et qui, comme cela fut la règle tout au long de son règne, apportent au tableau la touche d’incohérence qui lui manquait.
Après s’être confrontée -souvent même de manière virulente- aux députés Insoumis, la Macronie défaite entend à présent coopérer, même indirectement, avec une formation qui a déshonoré non seulement les bancs de l’assemblée, mais le pays tout entier, et semble prête à toutes les compromissions, pourvu que sa déroute ne coïncide pas, comble de l’humiliation, avec la victoire de l’extrême-droite. Le triomphe du RN représenterait alors un déshonneur bien plus préjudiciable non seulement pour l’avenir de la France dont elle se joue depuis sept années, mais pour celui de ses représentants et plus largement de sa doctrine. Il reste donc quelques jours aux Français pour faire la part des choses et décider s’ils préfèrent confier leur destin à des margoulins politiques sans convictions en répondant à leurs injonctions, ou à d’authentiques républicains qui jouent le jeu des institutions et respectent le verdict des urnes.
Le niveau de haine qu’inspire le parti de Jordan Bardella traduit dans l’inconscient collectif national, une volonté de régler ses comptes avec un régime et une période de notre histoire auxquels la plupart de ceux qui le combattent n’entendent rien, soit par pure ignorance, soit parce qu’ils ne peuvent se résoudre à l’idée que les temps ont changé, et que les motivations des « nationalistes » des années 20/30 ne peuvent servir de cadre historique de référence éternellement. Si les digues du barrage ont en effet commencé à se fissurer au sein de l’opinion de droite, elles restent à gauche un totem incontestable et pour le coup, une ligne de démarcation plus morale que politique, un argument de facilité à la portée de sportifs ou d’acteurs très éloignés des véritables enjeux de société. Du reste, il est assez singulier de constater que la quasi-intégralité des griefs au Rassemblement National sont en réalité le reflet identique des comportements et des positions des Insoumis et de leurs alliés, signe d’un basculement définitif de ce rebut de la gauche française vers les dérives fascistes qu’il est si prompt à dénoncer chez les autres et dont il se croit le pourfendeur.
Les amis de Macron ont donc pris le parti de négocier le prochain suffrage sur le dos de la colère, de la souffrance et de la détresse des Français. Ils n’ont pas hésité une seconde à s’associer à ceux qui font au quotidien la démonstration de leur détestation du pays, la promotion du terrorisme, de la violence, celle d’une sous-culture identitaire en ébullition, d’un antisémitisme débridé devenu à la fois programme politique, signe de distinction et nouvelle marque normalisée d’une décivilisation en marche.
Renaissance et ses alliés se feront ainsi, quelle que soit l’issue de ce scrutin, les artisans d’un grippage institutionnel majeur et d’une faillite politique auxquels seules une loi interdisant les tractations inter-partisanes entre deux tours d’une élection, et de nouvelles élections à l’horizon 2025, pourront mettre un terme. Mais à l’heure actuelle et compte-tenu de l’extrême incertitude qui flotte dans l’air, c’est à un début d’été politiquement caniculaire qu’il faut se préparer.
Nestor Tosca