DON BYAS
La compagnie de disques Mosaic pour le jazz peut être comparée à l’éditeur de La Pléiade pour la littérature. Ses coffrets, un must pour les amateurs, font l’objet. d’un travail minutieux de recherches dans les archives de diverses compagnies de disques. On y découvre non seulement des prises inédites mais également des titres jamais publiés auparavant et une discographie complète avec de nombreuses corrections de dates et personnels. La reproduction sonore est parfaite et l’important livret contient de magnifiques photos, qui illustrent un texte érudit. Cette production de qualité en fait une édition définitive. Le prix élevé est largement justifié. Ces coffrets ne sont pas disponibles dans le commerce mais peuvent être commandés sur le site de la compagnie. Expédiés depuis Stamford, Connecticut, les colis nous parviennent en 48 h !
Parmi les derniers coffrets récemment publiés, celui consacré à Don Byas est un évènement. Ce saxophoniste a été négligé par les amateurs français après l’immense succès de ses versions de « Laura », la ballade sentimentale du film éponyme d’Otto Preminger. C’est oublier un peu trop vite l’impressionnant talent de ce musicien considéré par ses pairs et les mélomanes érudits comme l’un des grands virtuoses du saxophone et un improvisateur hors du commun. Pour Stan Getz, Johnny Griffin et bien d’autres Don Byas était au saxo-ténor ce qu’Art Tatum était au piano : un Maître.
Le coffret réunit en 10 CD les enregistrements réalisés entre 1944 et 1946 dont ceux réalisés pour Savoy et ceux privés de Timme Rosenkrantz.
Le patron des disques Savoy, Herman Lubinsky, n’était pas un amateur de jazz, mais un homme d’affaires. Particulièrement pingre, il disait aux musiciens : « Vous devriez être heureux que quelqu’un prenne le risque financier de vous enregistrer !». Il avait l’habitude de demander aux A & R (Artistes et répertoires, les superviseurs des séances de studio), de trouver des prétextes pour réaliser plusieurs prises du même titre. C’était toujours cela de gagné. Ces « alternate takes » sont importantes car les tempi et les solos improvisés sont souvent différents d’une prise à l’autre. Les prises Master ont été publiées à l’époque sur disques 78 tours, les secondes prises sont apparues avec le vinyle.
Ce coffret nous fait découvrir un nombre considérable de titres et de prises inédites depuis 80 ans.
Le baron Timme Rosenkrantz, un danois excentrique (pour plus d’informations lire son livre Harlem Jazz Adventures) était un passionné de jazz, producteur de disques et de concerts, et ami de nombreux jazzmen. Il organisait chez lui des Jam sessions, qu’il enregistrait pour son plaisir à titre privé. Ce coffret contient tous ses enregistrements avec Don Byas, soit 11 sessions, dont 9 inédites.
Mon coffret précommandé porte le n°1090 sur 5000 et cette édition limitée, sera probablement rapidement épuisée.
Concluons par cette affirmation d’Emile Michel Cioran, qui a scandalisé nombre d’intellectuels : « A quoi bon fréquenter Platon quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ».
Trésors inédits D’ART TATUM
En 1982 Arnold Laubich a publié “ Art Tatum” A guide to his recording Music”, un livre discographique, qui répertorie non seulement tous les disques du commerce mais aussi les enregistrements privés et les émissions radio non publiés à ce jour. L’ouvrage fait autorité et voici que l’on découvre des enregistrements datant de 1953 non répertoriés.
Le producteur Zev Feldman travaille depuis quelques années pour les labels américain Resonance, l’espagnol Elemental et sa propre marque Jazz Detective. Sa principale activité est de parcourir le monde pour découvrir des enregistrements inédits. De nombreux disques de qualité variable ont ainsi vu le jour, ce qui a fait dire à un spécialiste dont je tairai le nom : « Avec des moyens importants, Feldman passe l’aspirateur dans les archives des compagnies de disques et les stations radio. » L’aspirateur récolte le plus souvent des miettes, mais quelquefois des pépites.
Un set de 3 CD « Art Tatum au Blue Note Club de Chicago, Resonance HCD-2064 » vient de voir le jour. On ignorait l’existence de ces enregistrements réalisés en 1953 par le propriétaire du club. Ils sont publiés 71 ans plus tard pour notre plus bonheur grâce à ses héritiers, qui ont su préserver ces précieuses bandes magnétiques pendant toutes ces années. Ces vieux enregistrements ont bénéficié d’une excellente restauration sonore.
Les compositions de Gershwin, Cole Porter et autres auteurs de Broadway seraient tombées dans l’oubli sans l’enrichissement harmonique des jazzmen. On ne présente plus Art Tatum qui est non seulement l’un des plus grands virtuoses du piano du XXème siècle, mais aussi et surtout un immense harmoniste. Il est ici en trio au sommet de son art et ses partenaires Everett Barksdale à la guitare et Slam Stewart à la contrebasse jouent en osmose avec le maître.
Ce coffret est vivement recommandé à tous les mélomanes amoureux du piano, classique ou non, ainsi qu’aux musiciens, qui apprécieront les innovations harmoniques de ce génie.
Pour paraphraser Fats Waller à propos d’Art Tatum, » God is in my House ». Je vais rapidement acquérir un deuxième exemplaire de ce coffret pour mes vieux jours.
Cole Porter