Le problème de ces tribunes, c’est le manque d’officialisation.
Il faudrait créer un label, ce serait plus simple. Une certification “poète de gauche ». Une AOC « Garantie sans OGM et sans trace de droite » qui pourrait bien entendu être étendue à tous les autres artistes (musiciens, écrivains, peintres, acteurs et cinéastes).
Il faudrait un cahier des charges strict et une formation sanctionnée par un examen. Un peu comme le permis de conduire à condition de le revalider chaque année (les idées étant par nature, changeantes).
Rien de très compliqué. Peut-être pour la première épreuve un questionnaire à choix multiples basique :
En fin de soirée, le DJ joue les lacs du Connemara :
A / Je me ressers un verre et je braille « Teeeeeerre brûléééée ».
C / Je vais au milieu de la piste et je lève le poing en chantant l’Internationaaaale !
D / Je ne vais pas dans les soirées. La fête est un moyen d’abêtir le peuple pour mieux l’assujettir à l’exploitation libérale et capitaliste.
Le « Mignonne allons voir si la rose qui ce matin avait éclose » de Ronsard est-il :
A / Une allusion au renouveau du Parti Socialiste.
B / Une odieuse tentative d’emprise pédo-criminelle patriarcale sur l’égérie du poème qui n’avait que 14 ans.
C / Une ode sournoise au capitalisme et à la mondialisation (la demoiselle était fille de banquier italien).
Ensuite, on pourrait avoir une épreuve de mise en situation. Peut-être un quart d’heure de distribution de repas aux sans-abris sous l’œil des caméras ? Une apparition dans une manif pour protester contre l’expulsion d’un Djihadiste tchétchène cannibale ?
Après son examen, l’artiste-poète obtiendrait sa certification AIGRE (Appellation Internationale Gauche Radicale Engagée) et on serait rassuré. Une petite signature dans une tribune dans Libé par an et hop, le label est revalidé pour une année.
Les poètes-identifiés-de-droites seraient bien entendu déchus de leur titre et envoyés en camps de rééducation, dans lequel ils participeraient à des ateliers « Travaillons nos alexandrins avec Castro », « Rimons avec Pol Pot », « découvrons les allitérations avec Staline ». Mais soyons ouverts et tolérants : Tous ceux qui n’auraient pas obtenu leur certification ne seraient pas automatiquement disqualifiés. On tolérerait quelques sociaux-libéraux égarés, des macronistes fourvoyés ou des centristes abusés. C’est comme le poulet ou les légumes. Tous ne peuvent pas avoir le label « nourri au grains » ou « Bio ».
En revanche, les recalés ne pourraient pas être sélectionnés pour « Le Printemps des poétes ». Ils seraient autorisés en revanche à lancer leur propre festival. « Les rimailleurs de l’été ». « L’automne qui sonne » ou « les vers de l’hiver ».
Reste le cas épineux de tous ceux qui s’intéressent uniquement à l’écriture, ceux qui sont curieux des mots, avides d’inventivité et de beauté et qui sont perplexes devant ces indignations surjouées de petits commissaires. Ceux que « les icônes réactionnaires » n’effarouchent pas plus que les « icônes progressistes » du moment qu’ils ont du talent. Ceux qui ont la candeur de penser qu’un parrain populaire et charismatique ne peut que contribuer à démocratiser et à faire découvrir au plus grand nombre la poésie.
Quel sort réserver à ces naïfs inconscients ?
Parce que, la culture pour le plus grand nombre, sans passage systématique par la case « politique » ou par l’opposition bon/méchant, ce serait vraiment trop révolutionnaire.
Nathalie Bianco