Certains confrères traduisent mot à mot des termes américains en faisant des contre-sens. Ainsi Black Music désigne en Amérique le jazz et ses dérivés par opposition à la musique blanche. En français la Musique Noire est celle du continent africain.
Pour celle venue des USA, on utilise le terme Musique Afro(Négro)-américaine car sans la rencontre des apports rythmiques africains avec la musique occidentale, le jazz n’aurait jamais vu le jour; ce qui nous amène à une courte histoire de la naissance du jazz et à réfuter certaines idées reçues, qui perdurent.
Les premiers Noirs arrivés en Virginie en 1619 ne sont pas des esclaves mais des hommes libres, engagés par contrat comme domestiques. La traite d’esclaves débute vers 1640 et s’intensifie le siècle suivant car les colons du Sud rural ont besoin de main d’œuvre. Elle ne sera abandonnée que vers 1860 malgré la loi l’interdisant dès 1808. Bien que les danses et rythmes africains aient été interdits par le Code Noir, craignant que l’usage du tam-tam et ses messages ne favorisent les révoltes, les Field Hollers (appels champêtres) et les Work Song (chants de travail rythmés) sont encouragés. Ils favorisent la cadence du travail et un meilleur rendement (disques Atlantic, Sounds of the South et Blues Roll On).
L’évangélisation débute au XVIII° siècle. Les Noirs, rebutés par le cérémonial du culte catholique, sont attirés par les sectes protestantes et plus particulièrement par l’Eglise Baptiste qui leur offre une grande liberté d’expression : claquements des mains, danses et transes, emploi d’instruments y sont autorisés pendant le culte.
Une nouvelle forme musicale est née : le Negro Spiritual. Les Noirs, confrontés à l’interprétation des hymnes et des cantiques blancs du Dr Watts et de John et Charles Wesley, sont incapables de chanter la tierce et la septième, qui n’existent pas dans la gamme africaine (De-Ré-Fa-Sol-La-Do). Ils altèrent de quelques comas le Mi et le Si d’un demi-ton ; ce que l’on appelle les « Blue notes », soit Mi b et Si b sur un accompagnement en majeur. Ces fameuses Blue-notes ajoutées au rythme syncopé se retrouvent dans le Blues et le Jazz. Nous avons les deux éléments essentiels de la musique afro-américaine.
Le Blues apparaît vers 1840. C’est au départ une ballade noire dans le style des chansons populaires d’origine anglo-saxonne, sans structure fixe entre 9 et 16 mesures et chantée avec un accompagnement de violon ou de banjo. (La guitare ne sera importée aux USA qu’à partir de 1905).
Il trouvera sa forme définitive au début du XX° :12 mesures (4 mesures en Do, 2 en Fa, 2 en Do, puis 1 en Fa, 1 en Sol et 2 en Do) divisée en trois strophes. Néanmoins certains bluesmen tardifs ont conservé la liberté de structure comme John Lee Hooker à ses débuts avant qu’il ne vende son âme pour des raisons vénales en dénaturant son propos (Canned Heat 1977).
Le Ragtime naît fin XIX° dans l’État du Missouri. Scott Joplin en définit les règles. Musique en 2/4 comme les marches militaires, le Ragtime, écrit pour le piano, se joue fidèle à la partition sans improvisation. Véritable patchwork, chaque morceau se compose de plusieurs mélodies reliées entre elles par de petits interludes, qui permettent le changement de tonalité. Bien que créée par les Noirs, cette musique rigide, sans feeling et sans blue-notes, doit son originalité par la surcharge de syncopes.
Vers 1890, la musique syncopée, qui ne s’appelle pas encore jazz, est jouée en Georgie, au Kansas, dans le Missouri, au Tennessee, bref dans tous les états sous la ligne du compromis (1820 – 36’20 parallèle). La Nouvelle Orléans n’est donc pas, contrairement à la légende, le lieu de naissance du jazz mais le berceau de son développement.
Les Blancs et les Noirs vivent à la Nouvelle Orléans dans une relative harmonie. La musique y est omniprésente. Les bourgeois vont à l’opéra, dansent au son des quadrilles et des valses. Les Noirs dansent la bamboula. La ville est un point stratégique et les garnisons y sont nombreuses. A la fin de la guerre hispano-américaine, l’armée quitte le Sud et les fanfares abandonnent leurs instruments, qui se retrouvent dans les boutiques d’occasion. Ils sont vendus à bas prix et donc à la portée des classes les plus pauvres. Des harmonies noires se forment, mais le répertoire se compose essentiellement d’airs populaires, de valses, de polkas, rarement de blues ou de ragtime.
Dans la ville de petits orchestres noirs animent chaque évènement, bal, enterrement, pique-nique. Important port, la Cité du Croissant accueille chaque jour des marins militaires ou non, qui viennent se dévergonder dans le quartier réservé. La nouvelle musique nègre se développe, non pas dans les lupanars du district français comme on le croyait, mais dans les Barrelhouses (« Maison à tonneaux » qui servent principalement de la bière), qui le bordent.
Les bordels, même les plus luxueux, n’emploient pas d’orchestres, rarement un pianiste. Jelly Roll Morton en fut probablement l’exception. Les Honky Tonks et et Barrelhouses, des baraques généralement en bois, sont les lieux de rendez-vous des souteneurs, des prostituées, des joueurs, des musiciens et des dealers, la plupart alcooliques, bref de la pègre. Ils se retrouvent là après leur travail dans une ambiance survoltée au son des prémices du jazz.
Le premier jazz est une musique collective à l’image de la fanfare. Les interventions en solo sont rares. Le cornet et la clarinette dominent les ensembles, le trombone restant un accompagnement. Le répertoire, à l’origine essentiellement composé de chansons populaires blanches, s’approprie avec le temps le blues, devenu instrumental sur la structure harmonique citée plus haut, ses inflexions, ses blue-notes – la pulsation africaine et la syncope de Scott Joplin, bien que moins systématique. Le dernier élément de cette musique, et non des moindres, est le son. Les jazzmen ont toujours essayé de se rapprocher de la voix humaine (influence de la musique religieuse) en modifiant la sonorité d’origine de leurs instruments. Exemples : les différences de timbre entre Louis Armstrong et Miles Davis, entre Coleman Hawkins et Lester Young ou John Coltrane…
Les grands novateurs sont King Oliver et Louis Armstrong, même si ce dernier allait rapidement tourner le dos au style New Orléans traditionnel. Leurs orchestres laissent dès les années 20 une place de plus en plus importante aux soli des membres de l’orchestre.
En raison des plaintes du gouvernement militaire de New Orléans suite à la délinquance et aux meurtres quotidiens dans les tripots et quartiers chauds de Storyville, le maire décide la fermeture des lieux en 1917. C’est l‘exode des musiciens vers Chicago, qui s’ouvrent à la musique de Kansas City, le blues ‘rebondissant’ (jumping) et le Boogie ainsi qu’à celles de New York, le style piano – stride de James P. Johnson et la musique blanche de l’Est.
Contrairement à la légende, on compte à Chicago plus d’orchestres blancs de musique syncopée que ceux composés de Noirs. La ville deviendra la capitale du jazz bien avant New York et ce, grâce aux gangsters juifs et italiens, arrivés depuis peu sur le continent. Mais ceci est une autre histoire…
Le Jazz n’est pas la Musique Noire, mais bien afro-américaine, l’une des rares formes d’art avec le Cinéma et le Western, propre aux USA.
Cole Porter