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Je n’ai jamais su parler

Les gens autour de moi s’imaginent que je sais, que je joue du verbe comme de l’arme, du sujet comme au karaté, que je maîtrise la consonne, qu’elle crisse ou qu’elle sonne, que le mot m’est aisé, qu’il m’est naturel, comme d’un il vers son elle, comme de l’île vers son aile.

Et d’une certaine manière, c’est vrai.

C’est vrai lorsque je ne suis pas concernée, lorsque le mot n’est pas intime, interne, in utero, utérin, lorsqu’il ne m’est pas viscéral, carcéral, de ma prison mentale, de mes dédales, de mon silence total, celui que personne ne peut atteindre, celui que je cache avec rage. Aux assassins et aux otages.

Et je demeure à l’entrée de mes Enfers, tel Cerbère, sans Charon, fils de l’Erèbe et de la Nuit. Je demeure devant, les bras croisés, découvrant mon séant, résolue à bien barrer la route à ceux qui voudraient en savoir davantage de mes joies ou mes déroutes.

Je me tais.

Je ne dis pas au revoir. Je ne donne pas d’explications. Ils n’ont rien à savoir. Je n’utilise plus le mot. Trop tôt. Tard tard. Phare. Phrase.

Je me tais.

Je souris. Comme le scorpion. Prêt à enfoncer son dard. Je souris. Aux cons. Qui pensent que je souris.

Je me tais.

Je n’ai jamais su parler. Je ne dis pas l’allégresse, mes ivresses. Je ne dis rien de mes chagrins. Je ne dis rien de ma passion. De ses poisons. Je ne dis pas qu’elle me possède et me dépossède. Je ne dis pas mon extase, mes voyages aux cieux avec Pégase. Je ne dis pas le goût du sang quand je me vide de la vie à cent pour cent. Je ne dis rien.

Je parle énormément parce que je ne sais pas parler vraiment.

Et j’écris.

Et je sais que personne ne retient les mots qui ne sont pas dits. Alors, j’écris.

Je grave la vie avec des lettres.

Je m’aventure sur mes terres inaccessibles rencontrer d’autres fous, d’autres hères, partis en quête de leur monde indicible.

Et j’écris. Pour ne pas m’oublier. Pour me souvenir que j’ai aimé. Pour me rappeler que je l’ai été. Ou pas. Ou pas. Et les mots viennent d’en haut me tendre la coupe divine, celle de la Foi dans tout ce à quoi je ne crois pas.

©️ Martine Benz

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