Une France faible de ses Régions ?*

Chapitre XI

Mercredi 28 juin dernier, se tenait un débat à la librairie Kléber à Strasbourg sur le thème « régionalisme, atout ou danger ? » animé par Jacques Fortier. 

Les deux intervenants étaient l’économiste Jean-Philippe Atzenhoffer auteur de l’ouvrage « Le Grand Est, une aberration économique » et Benjamin Morel, universitaire et auteur de « La France en miettes, régionalisme, l’autre séparatisme ». Il ne s’agit pas ici d’être exhaustif mais de rapporter les éléments saillants qui ont marqué ce débat.

Pour fixer le cadre, je dirais, que nous avions d’un côté un économiste très factuel dont nous connaissons la rigueur intellectuelle et de l’autre un universitaire brillant et habile mais qui essayait de faire rentrer une réalité complexe dans les limites étroites de sa théorie.

Sa théorie, quelle est-elle ? Le régionalisme est un risque pour l’unité de pays.

Pour être plus précis, ce sont les dangers que la différenciation territoriale fait peser sur l’unité et l’indivisibilité de la République. On peut les faire remonter, pour la France métropolitaine, à la loi PLM de 1982 qui organisait un statut particulier aux villes de Paris, Lyon et Marseille, ou encore à la création de la Collectivité territoriale de Corse en 1991. Le principal danger est que, en accroissant encore le champ des possibles en matière de compétences et d’organisation, une telle logique entraîne la France dans une surenchère identitaire ethno-régionaliste. Le concept d’ethno-régionalisme permettant de qualifier tout régionalisme ayant une définition ethnique de l’identité régionale. 

Morel nous a démontré à l’aide d’exemples, que cet ethno-régionalisme, est la plupart du temps fort récent, et totalement construit voire inventé, y compris pour la langue régionale. Ce n’est pas le cas de l’Alsace dont l’identité est fondée sur son appartenance au bassin rhénan. A cet ethno-régionalisme, il ajoute le risque d’une décentralisation asymétrique (toutes les collectivités n’ont pas les mêmes compétences de façon uniforme sur le territoire). Soit. Mais cela représente-t-il un danger pour l’unité française ? 

Jean-Philippe Atzenhoffer n’est pas de cet avis puisqu’il voit au contraire dans la différenciation une opportunité pour contourner certains blocages nationaux.

J’avoue que Morel n’a pas été très convainquant sur ce point car les exemples qu’il citait à l’appui de sa théorie n’étaient pas probants. De plus, ces exemples se trouvant à l’étranger, dans des États à structure fédérale, ils ne pouvaient pas être comparés avec la France. 

Par exemple, les Lander allemands sont des États fédérés qui siègent même à Bruxelles pour les compétences qui sont les leurs. Ils ne peuvent pas être comparés à nos Régions qui ne sont que des collectivités locales sans réels pouvoirs.

Concernant l’Alsace, il a affirmé qu’il était à 100% favorable à un retour de la Région Alsace. Mais lors des questions de la salle, il a été obligé de préciser son point de vue sur l’avenir de l’Alsace puisque celle-ci ne sera plus jamais une Région. En effet, si elle récupère les compétences régionales, elle deviendra une Collectivité territoriale à statut particulier comme la Corse, disposant déjà des compétences départementales. On serait alors en pleine décentralisation asymétrique, justement celle que dénonce Morel ! 

A cela il a répondu que la création de la Collectivité européenne d’Alsace avait été une « connerie » (sic) et qu’il faudrait revenir aux deux Départements pour que l’Alsace ne devienne pas une Collectivité à statut particulier ! Autrement dit, une Région avec ses deux Départements comme avant 2015. C’est là qu’on voit le raisonnement de l’universitaire un peu hors sol qui essaye de faire entrer une réalité complexe dans son moule théorique…

Il a également affirmé que les mouvements régionalistes qui construisent de toutes pièces cet ethno-régionalisme étaient surtout implantés dans les villes sauf qu’en Alsace c’est justement l’inverse car la faiblesse d’Unser Land vient du fait qu’il n’est implanté qu’en zones rurales.

Une autre notion a été évoquée par les deux intervenants, c’est celle du « féodalisme » à la française. En effet la création de collectivités avec des statuts particuliers (Lyon) ou le maintien de Région identitaires après la réforme de 2015 (Bretagne) sont le fait de l’influence de puissants barons locaux sur le gouvernement. 

La décentralisation se fait en France sur des critères politiques alors qu’elle devrait se faire sur des critères d’efficacité des politiques publiques. La création des grandes Régions en est la parfaite illustration et Morel a bien souligné que l’Alsace à l’instar de la Bretagne aurait dû rester une Région.

La future réforme territoriale a également été évoquée mais sur ce point, les deux intervenants ont convenu qu’étant donné l’absence d’une majorité stable à l’Assemblée pour le gouvernement actuel, cela ne jouait pas en la faveur de cette réforme car aujourd’hui personne ne sait ce qui peut sortir du « chapeau » qu’est le Parlement…

Toujours est-il que le péril pour l’unité nationale brandi par Morel n’est pas encore d’actualité en France. 

Tant que nous aurons des collectivités territoriales (Régions – Départements – Communes) qui sont des nains politiques quelle que soit leur taille et dont les élus se retrouvent de plus en plus coincés par une équation budgétaire de plus en plus difficile à résoudre, il conviendra  plutôt de parler de centralisation que de décentralisation,qu’elle soit symétrique ou asymétrique.

L’Alsacien

 * Par analogie au titre de l’ouvrage d’Adrien Zeller « La France enfin forte de ses Régions »

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