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Yelena

Chapitre XXXVI

Un Nouveau Départ

Moïse avait rapidement vendu son garage à Mogador malgré la guerre. C’était pour lui un acte symbolique qui marquait la fin d’une époque et le début d’une nouvelle vie. La décision n’avait pas été facile, mais la promesse d’une vie meilleure à Casablanca avec plus d’opportunités pour les enfants et un environnement urbain énergique les avait convaincus.

Entre-temps, Berthold avait pris en main la rénovation de l’appartement de Symyne et Moïse. Il boostait les ouvriers qui traînaient entre tasses de thé et cigarettes en farnientant au soleil derrière les fenêtres de l’appartement. Berthold les voyait chaque matin, donnait des instructions et revenait le soir pour constater l’avancée du travail. Le bakchich aidant, le dynamisme de Berthold avait été positivement contagieux. 

Avec la complicité de Joseph, de Moïse et d’Albert, les meubles avaient été envoyés dans le secret. Cela permettrait à Berthold de rendre à cet appartement l’aspect convivial et chaleureux qui avait régné dans l’appartement de Mogador. Après quelques semaines, Berthold annonça à Symyne épuisée par la succession des événements, que l’appartement était prêt, qu’elle pouvait déménager à sa convenance. 

Symyne versa des larmes qui marquaient la souffrance de toutes ces années passées dans la peur et le chagrin, la souffrance de ces années où elle avait tenu la barre chaque jour sans jamais sombrer dans le désespoir. Elle pleurait sur tous ces jours de manque et de sacrifices où elle s’accrochait à ses rêves, ces jours de ténèbres qu’elle avait cachés, qui ne s’éclairent que par la grâce de son frère David, le soldat des Dardanelles et de Mazal. Ils n’avaient pas eu d’enfants, mais ils veillaient avec une générosité discrète et élégante sur le bien être des enfants de la famille. 

Elle pleurait en silence, ses larmes étaient à son image, digne, silencieuse, retenue et délicate. Elle remerciait Berthold, le serrait dans ses bras avec tendresse. Il deviendra plus tard un deuxième fils, son meilleur soutien, celui qui lui avait rendu la vie plus douce et qui répondait à tout ce qu’elle désirait, elle, qui désirait à peine. Elle pleurait en lui tenant la main et en le bénissant. Elle aimait ce jeune homme pour ce qu’il était, pour tout l’amour qu’il avait apporté dans cette famille et qu’il apporterait jusqu’à son dernier souffle.

– « Ne vous occupez de rien chère Symyne. Laissez moi faire. Si quelque chose ne vous plaît pas, nous le changerons immédiatement. Cet appartement sera votre havre de paix et vos futurs petits enfants pourront y venir et passer du temps à écouter les contes que vous racontez si bien et les comptines anglaises que vous murmurez. » 

-« Merci, Merci mon fils, sans toi je n’y serais jamais arrivée. Je suis harassée de fatigue. Ces événements successifs ajoutés aux tourments quotidiens de la guerre m’ont exténuée. 

-”Ne vous inquiétez pas Symyne je serai toujours là, vous pourrez toujours compter sur moi ».

Berthold la rassurait, il avait compris que cette femme avait les épaules chargées elle assumait seule des travaux d’Hercule comme tant de femmes de cette époque. Il avait noté que son époux vivait dans son monde et qu’un artichaut suffisait à le rendre heureux. Il ne dérangeait personne, mais il ne voulait pas être dérangé. Il était aimant, affable, introverti et égoïste. Quant à Albert, c’était un jeune célibataire, il endossait déjà la responsabilité des affaires, il désirait profiter de sa jeunesse et des offres de loisirs infinis qu’offrait Casablanca.

– « Préparez vos affaires Symyne, le déménagement pourrait se faire dès demain », lui dit-il triomphalement

Symyne convoqua Sur-le-champ tous les boys du domaine. Ils avaient tenu leur promesse, ils étaient tous présents. Elle mit à contribution Fanny qui roulait toujours ses mèches de cheveux entre ses doigts en contemplant ses chimères dans la voûte céleste, Alice qui se métamorphosait, sa beauté époustouflante étourdissait déjà les regards et Rose toujours empirique et réaliste. La petite Zineb ne grandissait pas beaucoup, elle était de petite taille, mais sans doute la plus énergique et la plus rapide. Elle se sentait protégée et aimée dans cette famille qu’elle avait fait sienne, elle se réjouissait de tout et de rien. Elle avait hâte d’avoir un rôle qui n’appartiendrait qu’à elle. Au contact des filles, elle avait appris beaucoup de choses. Elle parlait français, le comprenait parfaitement, elle avait presque abandonné son accent berbère. Avec Abdel et les épiciers de la ville en grande majorité berbères, elle s’exprimait dans sa langue maternelle. Elle apprenait aux filles des mots et des chants berbères aux mélodies divines.

Au loin dans le domaine, l’on pouvait entendre Symyne et Mazal qui criaient: « Hurry, hurry up! Alors ? Vous dormez ? Le déménagement aura lieu demain, tout est prêt ? Allez hurry ! hurry up ! »

Personne ne les écoutait, ils étaient tous contaminés par l’enthousiasme que la famille leur avait communiqué. Abdel et Moshé prenaient à cœur le bien être de cette famille qui les aidaient et qu’ils aimaient. Ils surveillaient les opérations, comptaient les valises et remplissaient méticuleusement la camionnette de Mazal. Tout se faisait sous le regard bienveillant de Larue qui fumait comme un pompier tout en supervisant du coin de l’œil l’effervescence qui prédominait. 

Larue était un bosseur, lui et Mazal avaient créé cette affaire qu’ils menaient à bien dans une entente sincère. Il était tombé follement amoureux de Mazal qui était aussi belle qu’Alice, amoureux de sa personnalité, de ses dons multiples, de sa modestie, de sa générosité et même de son caractère d’emmerdeuse. Elle le lui rendait bien. On le voyait peu. Il était solitaire, n’aimait pas trop le bruit,  se levait toujours de table lorsqu’il avait fini ses agapes pour se réfugier dans un coin du jardin sur une chaise longue à l’ombre, loin du brouhaha dont seules les familles séfarades avaient le secret.

Berthold avait fait transporter les affaires personnelles et les quelques cartons d’objets précieux et sentimentaux dans la camionnette du domaine. Zineb, Moshé et Abdel avaient pour mission de tout ranger comme ils avaient l’habitude de le faire dans l’appartement de Mogador. Symyne, le cœur serré, pensait qu’en attendant l’arrivée de son époux, de son fils et des meubles, elle se contenterait des lits des armoires, de la cuisine et de la salle de bain. 

Le jour du départ, le domaine de Mazal était baigné par la lumière dorée du matin. Après le petit déjeuner toute la famille, Abdel et Moshé, les employés et les autres se dirigèrent vers le boulevard de la Gare où les attendait la surprise de Berthold.  

SLIL

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