Chapitre XXIV
La visite du domaine
Les écuries de Mazal étaient un véritable trésor. Nichées dans un coin paisible du quartier, elles les avaient fait construire en utilisant des matériaux traditionnels.
À l’entrée, une grande porte en bois massif s’ouvrait sur une allée pavée menant aux différentes parties des écuries. Les enclos étaient spacieux, séparés les uns des autres par de solides barrières en bois, chaque enclos disposait d’un abri pour protéger les chevaux des intempéries. A l’intérieur, les écuries dégageaient une odeur agréable de paille fraîche et de bois poli, sur les murs en pierre des crochets et des étagères servaient de supports pour les équipements équestres comme les selles, les brides et les harnais. Mazal avait exigé des fenêtres judicieusement placées pour permettre à la lumière du jour de pénétrer pour créer une atmosphère accueillante pour le personnel.
Un espace soigneusement aménagé, servait de zone de toilettage où les chevaux étaient brossés et préparés pour leurs activités, les râteliers étaient toujours remplis de foin frais et d’eau pour satisfaire les besoins nutritionnels des chevaux et l’ensemble de l’établissement était arrosé à grande eau, astiqué chaque jour et confortablement organisé grâce à la surveillance drastique de Mazal qui avait les yeux rivés sur chaque détail et aux efforts constants de son équipe.
Il fallait être de bonne composition ou avoir une nature fidèle pour supporter l’exigence de ces femmes possédées par la phobie de la propreté au point d’imposer au personnel que le nettoyage quotidien soit fait plusieurs fois par jour. Ce point commun de leur état d’esprit était détestable et insupportable pour leur entourage. Berthold avait remarqué qu’elles avaient des comportements de dictateurs, cela l’amusait, il ne croyait pas si bien dire car Rose, à l’instar de ses pairs, possédait déjà la veine d’une emmerdeuse invisible de prime abord.
La passion de Mazal pour les chevaux était évidente. Elle encadrait les photos de ses chevaux préférés. Partout il y avait des rubans et des médailles remportées lors de courses locales. Tous ses souvenirs équestres parsemaient l’espace. Lorsqu’elle était de bonne humeur, elle permettait aux enfants de la famille de faire des promenades sur ses chevaux, mais tous les enfants n’avaient pas ce privilège car elle avait ses chouchous et ses indésirables.
Mazal travaillait en étroite collaboration avec des bouchers. Elle leur fournissait la même viande qu’elle vendait dans sa Boucherie Chevaline. Dans ses écuries les chevaux destinés à l’abattoir étaient gardés dans des enclos séparés. L’accent était mis sur l’efficacité et l’hygiène. Elle veillait à la stérilisation des installations et de l’alimentation des chevaux conformément aux normes de l’époque .
Un des espaces était réservé à une boucherie équipée de tables de découpe et d’outils nécessaires pour préparer la viande. Cette boucherie privée était destinée au personnel du domaine et aux habitants du quartier qui pouvaient acheter leur viande aux écuries de Mazal.
Elle montra à Berthold les petites maisons proches des écuries, réservées gratuitement au personnel. Ce groupe de maisons formaient un petit quartier au centre du parc. Il y avait quelques bancs, une arrivée d’eau afin que les enfants puissent s’arroser aux moments de grandes chaleurs, et une balançoire. Abdel dira plus tard qu’il avait vécu là, les plus heureux moments de sa vie.
En s’approchant de la Maison, elle lui montrait le garage où étaient garés la « traction avant » de Larue, et son attelage, le « Carrosse de la reine », qu’elle utilisait pour ses déplacements quotidiens en ajoutant une touche de prestige et d’élégance à son mode de vie.
Berhold constatait que ces écuries reflétaient la dévotion et le savoir-faire de Mazal qui en avait fait un lieu où la tradition, la passion et la beauté, se rencontraient dans cet endroit particulier des Roches Noires
A l’horizon, le soleil rouge de feu, plongeait doucement dans l’océan rejoignant l’autre face de la terre qui attendait sa lumière. Mazal invita Berthold dans sa villa. L’atmosphère ressemblait à celle d’un film de Miss Marple. Berthold ne fut pas étonné, cet environnement feutré, chargé d’objets de tentures de tapis et de rideaux reflétait parfaitement le personnage de Mazal.
Après cette longue visite du domaine sous la chaleur, Bathoul leur servit immédiatement des rafraîchissements, et Mazal exposa enfin ses plans d’avenir à Berthold.
-« Je pense mon petit que si la décision de la famille est prise, il n’est pas nécessaire d’attendre. Symine et mes nièces pourraient déménager rapidement et s’installer chez moi. Cela leur permettrait de chercher tranquillement un logement. Moïse et Albert prendraient le temps de vendre le garage de Mogador pendant que nous chercherons un local pour l’activité que Moïse envisage de créer avec son fils Albert.
Le déménagement pourrait ainsi se faire dans les meilleures conditions. Beaucoup de biens sont à vendre. Il faut acheter dès qu’une bonne affaire se profile quitte à louer les locaux jusqu’à la fin de la guerre. Les loyers ne seront pas miraculeux, mais cela vous permettra de planifier vos futures activités sans précipitation. Après la guerre, tout sera hors de prix, et il y a de fortes probabilités que des acheteurs potentiels guettent aussi la bonne occasion.
« J’ai une proposition à te faire. Imagine toi que je t’offre le poste de directeur des Roches noires immédiatement ? Larue te suivra le temps qu’il faudra pour t’initier à ce métier qui n’est pas facile. Il faut se lever aux aurores, travailler toute la journée et dormir très tôt pour être frais le lendemain. Tu as remarqué qu’il y a une trentaine de personnes qui travaillent aux écuries et à la boucherie, ils vivent ici avec leur famille, il faut gérer tout ce monde de main de maître et le préparer à l’expansion économique d’après guerre. Rose pourra sans doute innover et répondre aux frustrations et à la soif de consommation d’une société privée de tout pendant la guerre. Après la guerre, il faudra être en première ligne, prêts à affronter les nouveaux défis.
Je vous donnerais un salaire conséquent et vous aurez le choix de vivre dans une des maisons du domaine, ou au centre ville ».
Berthold avait écouté la tirade de la Tante Mazal avec attention. Il n’hésita pas à lui demander comment elle envisageait l’autre solution.
Mais elle était trop rusée pour dévoiler toutes ses cartouches d’un seul coup. Elle lui répondit qu’il fallait d’abord qu’il parle de cette proposition avec son père et avec Rose et qu’il prenne le temps de réfléchir avant d’envisager une autre solution.
– N’en parle à personne d’autre, »narobess. »* Ne prenons pas le risque d’affronter tous les avis des tribus familiales, et surtout pas un mot à l’oncle Isaac. Il se mêle de tout ! Il pourrait chambouler nos plans et influencer Moïse.
L’oncle Isaac était le Mazal de la famille de Moïse. Lui aussi était fortuné, lui aussi n’avait pas eu d’enfants, comme elle, il adorait jouer au parrain. Dans ce sens, les familles Suerte et Médina étaient à égalité. Mais Mazal restait toujours la championne de tous les challenges. Elle était toujours efficace dès qu’il y avait un défi à gagner.
C’était encore un des traits de caractère de cette famille étonnante où les femmes menaient la danse au grand bonheur des hommes qui trouvaient cette situation très confortable. Ils confiaient aux femmes l’argent, le nerf de la guerre, qu’elles utilisaient toujours à bon escient. Elles leur rendaient la vie douce et confortable. Ils étaient choyés, dorlotés et traités comme des pachas. De leurs côtés, les femmes menaient leurs vies d’une manière très indépendante tout en respectant leurs obligations d’épouses et de mères de famille. Mais elles gardaient une vigilance implacable quant à la sauvegarde de leurs libertés et de leurs désirs. Sur ce sujet, elles étaient intransigeantes. Les hommes les respectaient et les admiraient, chacun d’entre eux se targuait d’avoir épousé la femme la plus extraordinaire du monde.
A chaque déclaration de ce type elles pouffaient de rire en échangeant des clins d’oeil complices, elles ne cédaient à aucune flatteries publiques, elles préféraient les flatteries chuchotées à l’oreille aux heures intimes, lorsqu’elles déposaient les armes après ces journées épuisantes qu’elles s’étaient jurées de rendre heureuses à leurs familles. La guerre les avait défiées et elles défiaient la guerre.
Slil