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Yelena

Chapitre XXIII

Let’s talk

Mazal avait compris le motif de la visite de Berthold. C’était pour elle l’occasion de s’entretenir avec ce jeune homme et de le découvrir à son tour. Elle avait demandé à Berthold de lui consacrer sa journée afin de le garder avec elle jusqu’à la tombée de la nuit pour lui montrer tous les aspects de son univers. 

Tout était prêt pour séduire Berthold auquel elle aurait volontiers cédé les rênes de ses affaires. Elle allait avoir la cinquantaine, elle avait beaucoup travaillé et caressait le rêve de faire un tour du monde en bateau. Elle en avait parlé avec Larue, comme elle l’appelait, il avait accepté l’idée d’accompagner Berthold dans ses premiers pas aux Roches Noires, tandis qu’elle sillonnerait le monde. Mais elle devait d’abord s’assurer des compétences du jeune homme et de sa faculté à s’adapter aux lourdes contraintes de ce travail difficile.

Mazal savait qu’elle pouvait compter sur Rose qui avait une forte détermination et de grandes ambitions. Elle connaissait son aptitude à résoudre des casse-têtes complexes et à assimiler rapidement de nouvelles informations, elle savait que Rose ne se limiterait  pas à la logique de l’apprentissage académique qu’elle lui imposerait, qu’elle serait créative et capable de trouver des solutions novatrices dans divers domaines. Elle ne doutait pas de la persévérance de sa nièce face aux défis, elle l’avait vu prendre des responsabilités dans les moments difficiles et rester concentrée face aux écueils. Dans son école de broderie, Rose avait déjà fait ses preuves en inventant de nouvelles méthodes que sa professeure avait adoptées, et enseignées.

Mazal ne savait rien de Berthold sinon qu’il avait de l’éducation et de grandes ambitions. Elle commença par demander à son personnel de servir. La coutume voulait qu’on serve un apéro aussi copieux qu’un repas et toutes sortes de boissons. Ali lui servit un Whisky, Berthold préféra boire de l’anisette. Il scrutait la mer et le paysage qui s’offrait à lui depuis le parc du domaine. Il se demandait comment il allait aborder son sujet puis se ravisa et la laissa parler, elle n’était pas très prolixe, mais il attendrait qu’elle provoque le sujet.

En buvant son whisky comme si elle buvait un thé nana, elle lui parla du domaine. 

« – Tu vois mon petit, les écuries s’étendent jusqu’à l’autre bout du domaine. Je tiens à m’occuper  personnellement de mes chevaux, je veille à ce qu’ils reçoivent une alimentation saine et des soins appropriés. Cette année j’ai acheté d’autres chevaux destinés aux promenades et aux randonnées pour les habitants et les visiteurs,  d’autres sont utilisés pour des courses locales.

j’ai appris les techniques de découpe et de préparation de viande de manière experte, et je  garantis la qualité et la fraîcheur des produits que je vends. Tu connais ma réputation, elle  s’est répandue dans toute la ville. Et j’ai une clientèle fidèle. Je te ferai visiter tout le domaine après le repas”. 

-”Merci chère Mazal, je suis curieux de le découvrir”.  

-”after the tea, after the tea”. 

Vêtu d’un tablier blanc et d’un fez rouge sur la tête, Ali apporta un immense plateau d’agneau au cumin accompagné de terfess. 

– « Quel repas de fête ! Vous avez préparé le repas traditionnel des fêtes de pâques, (pessah)« .

– « You love el terfess » ? 

– « Oui! Qui n’aimerait pas des terfess? le plateau est magnifique ! L’agneau aussi ! 

– « Savez-vous chère Mazal que le terfess est une truffe blanche qui pousse de manière sauvage aux abords des hélianthèmes ou aux pieds des chênes ou des pins, dans un sol sableux et très humide”?  La truffe blanche du Maroc pousse en plein désert. On l’appelle la truffe des sables. Au Maroc, elle porte le nom de zoubaidi ou ezzabdi, terfess ou terfez, ou encore or blanc du désert. C’est un champignon qui pousse en sous terrain. Le terreau le plus fertile pour sa culture se trouve dans  la forêt de Maâmora au Nord-Ouest, dans les plaines des hauts plateaux à l’Est, et dans le Sahara au Sud ». Le terfess est beaucoup moins cher que la truffe noire, le kilo, coute environ 1500 dirhams le kilo. 

-« Ben Porat Yossef ! Ben Porat Yossef « !*  s’écria Mazal !  Dis moi mon petit tu voulais me parler du déménagement de ma sœur et de sa famille  vers Casablanca ? Symine m’a prévenu du motif de ta visite”. 

-”Oui Mazal, vous savez que depuis l’opération Torch, je ne vais plus voir Rose tous les shabbats. Nous avons tous peur de voyager, la population reste très prudente, les rues de la ville sont vides, et nous craignons également des émeutes”.  Berthold parlait à voix basse et s’arrêtait de parler lorsqu’Ali s’approchait pour demander à Mazal si tout allait bien.  

– » Il est pressé de partir, mais il n’a pas fini son travail. D’habitude je lui donne ses après midi, il revient pour servir le repas du soir. Il exagère ! Je te montrerai son appartement plus tard. Daba sweet cookies, o palébé ; coffee oula tea nana » ? 

– « Palèbè ?!  Merci Mazal ! Merci ! C’est un repas de fêtes!“

– » N’oublie jamais mon petit, que le travail dur et quotidien que nous fournissons doit nous apporter du bien être, et nous permettre de partager avec ceux que nous aimons. Nous avons également l’obligation de « donner » comme les textes nous l’ordonnent. Aujourd’hui j’ai la chance de partager mon repas avec toi. Cela me donne l’occasion de fêter notre rencontre et m’apporte un immense bonheur. Tu seras toujours le bienvenu”. 

Ces paroles dans la bouche de Mazal très avare de compliments et de mots, étaient pour Berthold un aveu de tendresse. Berthold ému, pensait qu’il venait de réaliser l’exploit de conquérir le cœur de Mazal.  

Il était 15 heures, lorsque Ali revint avec le charriot de desserts, le Palébé, des fruits, des gâteaux marocains, du thé à la menthe, et toutes sortes de friandises que Mazal avait achetées chez les commerçants du marché central en disant à chacun qu’elle recevait le fiancé de Rose.  Ali demanda à Mazal si il pouvait se retirer. Elle acquiesça d’un geste de la tête sans dire un mot. « Il n’est pas aussi gentil qu’Abdel et Moshe, dit-elle à Berthold, il faudra penser aussi à les faire venir à Casablanca ces deux larrons. Ils en rêvent, allons faire le tour de la propriété. »

Chaque événement, le plus simple soit-il, apportait un parfum de fête à tous ceux qui le partageaient. Au marché central, tous les commerçants, et le personnel, attendaient impatiemment que Mazal leur raconte son entrevue avec ce jeune homme qu’elle leur avait décrit comme un jeune homme si « rare ».

– » Let’s talk mon petit »

* « Ben Porat Yossef » est le début de la bénédiction faite par Jacob avant sa mort à son fils Joseph qui se traduit littéralement par « C’est un rameau fertile que Joseph, un rameau fertile au bord d’une fontaine; il dépasse les autres rameaux le long de la muraille », mais qui signifie aussi « fils de la grâce, Joseph », « Ben Porat alé ayin » (c’est la suite du verset) : « Ta grâce se pose sur l’œil qui te regarde ».

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