Chapitre XXI

Vermeil

Pendant l’Opération Torch, les sentiments de la population variaient considérablement en fonction de leur situation, de leur lieu de résidence et de leur rôle dans le conflit. Mais face à la barbarie nazie, les populations vivaient dans la crainte des bombardements. Après les trois jours de violence de l’Opération Torch, il régnait un optimisme que les Casablancais affichaient fièrement car ils avaient participé à la victoire de la bataille. Ceux dont les proches étaient au front, ressentaient beaucoup d’anxiété et d’incertitude quant à l’issue de la guerre et du sort de leurs familles et de leurs amis.

Mais rien n’arrête jamais les hommes épris de liberté, déterminés à contribuer à l’effort de guerre en tant que civils, soldats ou résistants au sacrifice de leur vie. Cette Opération a entraîné la perte de nombreuses vies et beaucoup de tristesse pour les êtres chers décédés. La guerre a également encouragé la solidarité ; qu’il s’agisse de soutenir les troupes, de partager des ressources ou d’aider les victimes de la guerre. Si les pénuries, les restrictions et les difficultés économiques ont suscité beaucoup de frustrations, elles n’ont pas empêché le peuple de s’entraider et de se soutenir dans un Maroc multiculturel où chacun tentait d’apporter de l’amitié à son voisin.

A Casablanca la situation était moins paisible qu’à Mogador ou que dans les petites villes de province. Il y avait les intérêts politiques et économiques des patos, et bien que l’opération Torch ait mis en difficulté les aficionados de Vichy, la majorité de la population perpétuait les méthodes de Vichy.

A la Cie sucrière, il y avait un directeur du nom de Vermeil que Berthold connaissait bien et qui avait coutume de se rendre chaque soir au checkpoint de Casablanca, là où les autochtones qui travaillaient pour les patos comme des esclaves, rentraient dans leur médina sous le contrôle des flics français.

Ce soir-là, Berthold devait se rendre en médina pour acheter la gomina qui permettait aux jeunes gens d’avoir des cheveux lisses et bien peignés. Elle était vendue moins cher qu’au centre-ville de Casablanca.

A sa grande surprise, il surprit l’horrible Vermeil un fouet à la main qui hurlait :  “Allez Aicha ! Allez Fatima ! Allez Mustapha » … Ils étaient traités comme un cheptel d’animaux qu’on faisait entrer dans un enclos ! Berthold demanda à Vermeil pourquoi il manifestait autant de rage ? « Laissez-les rentrer chez eux tranquillement » dit-il au succube qu’il vit soudain retourner son fouet vers lui et crier : « Si tu n’es pas content sale juif, je vais te fouetter aussi » ! C’était une époque dangereuse, il ne fallait pas provoquer le diable, une riposte de Berthold l’aurait conduit en enfer. La fin de la guerre, n’avait pas mis un terme immédiat aux mesures infames de Vichy. Un des premiers actes de Berthold fut de régler son compte à Vermeil qui avait été un antisémite virulent et un salaud avec tous les arabes qui travaillaient à la Sucrière Marocaine.

Berthold couvrit ses ouvriers qui voulaient infliger une sévère correction à Vermeil, au check-point où ce dernier avait pris l’habitude de les fouetter lorsqu’ils rentraient chez eux. De petit chef au comportement de négrier, Vermeil fut réduit à l’état d’insecte insignifiant. Devenu indésirable, il finit par quitter la Sucrière et le Maroc.

Berthold confia à Rose la scène de l’expédition punitive contre Vermeil. Très en colère, elle lui fit remarquer que de tels agissements étaient indignes et inacceptables. Berthold lui avoua alors que Monsieur Olivry, le patron de la Sucrière, avait été mis au courant et qu’il pensait comme Berthold qu’il ne s’agissait que d’un juste retour des choses. Il ne supportait plus de voir ses ouvriers se faire fouetter.

Séparés par la guerre, Rose et Berthold vivaient dans un pays qui avait été épargné par les pires ravages du conflit qui dévastait l’Europe. Ils partageaient leur quotidien avec des Marocains, des Français, des Américains, des Anglais, des Espagnols et des réfugiés, formant un melting-pot qui aurait sans doute été plus harmonieux si l’ombre de Pétain ne planait pas aussi lourdement sur les esprits des colons français. Malgré tout, l’atmosphère restait oppressante et provoquait des bouleversements sociaux économiques, des tensions politiques, des revendications territoriales, des différences religieuses ou des rivalités historiques.

Les pertes humaines dues à l’opération Torch, entraînèrent des conséquences dévastatrices sur la population tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. On pouvait voir dans les rues de Casablanca, des malheureux déambuler en criant le nom d’un parent, d’un enfant, d’un conjoint, d’une mère, morts ou disparus.

Le bruit des canons ne fait jamais le choix des victimes, cette guerre rude, effroyable, terrifiante avait mené à la shoah, à l’anéantissement d’un homme parce que juif, gitan, homosexuel, parce qu’il ne répondait pas aux critères de la supériorité de la « race aryenne » selon l’idéologie du Troisième Reich. Les sacrifices des guerres sont lourds et insoutenables certes, mais lorsque les enjeux d’une guerre sont liés à l’existence même des peuples, la guerre devient-elle une guerre morale lorsqu’elle est destinée à rendre à l’homme ses droits ses libertés et sa dignité en dépit des sacrifices ?

Pour la majorité quasi absolue, l’Allemagne avait été l’agresseur qui avait entrainé son propre peuple et le monde dans un chaos jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Il fallait coute que coute gagner cette guerre contre le monde apocalyptique nazi. Berthold était convaincu que le monde ne pourrait jamais vivre dans une paix durable, que la paix ne pouvait se gagner que par la guerre, là où la politique et la diplomatique avaient échouées.

Slil

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