Yelena

Chapitre II

Berthold

À l’été 1942, Rose était assise sur la terrasse ensoleillée du 3e étage de l’immeuble art déco sur l’avenue de la plage à Mogador, au bord de l’océan. Elle n’avait pas cours aujourd’hui. Dans ce pays, les vacances scolaires étaient quasi permanentes, les fêtes des trois religions défilaient et les jours fériés se succédaient. 

Malgré la guerre, il régnait dans ce pays une atmosphère de joie. Comme la majorité des juifs du Maroc, les ancêtres de Rose avaient été chassés d’Espagne et poussés par la volonté d’Isabelle la Catholique vers l’Afrique du Nord, l’Italie, la Turquie, ou dans d’autres pays qui voulaient bien les tolérer.  

Baignée de soleil, Rose lisait un recueil de poèmes d’Emile Verhaeren, et tandis qu’elle était plongée dans la lecture du texte « C’était en juin dans le jardin», elle fut interrompue par un jeune homme qui se tenait  immobile au pied de son immeuble, et qui tentait d’attirer son attention en lui souriant avec insistance. Rose lui tira la langue, ferma la fenêtre, et s’engouffra dans la fraîcheur de l’appartement. 

Sa mère lui demanda pourquoi elle ne profitait pas du calme de cette journée d’azur. Rose lui rétorqua  qu’un malotru était posté devant la porte de l’immeuble et qu’il lui souriait.  

Le malotru, c’était Berthold, il était l’ami des voisins de Rose. Il leur demanda qui était la jeune fille délicieuse qui semblait être leur voisine du troisième étage. Il insistait pour être présenté à Rose, il voulait rencontrer ses parents, leur demander la main de leur fille. Il était sous le charme, il tremblait, son rythme cardiaque augmentait, il venait de succomber au coup de foudre. 

Les voisins ne l’entendaient pas ainsi, Rose était une jeune fille « de bonne famille », on ne pouvait pas l’aborder sans se plier au protocole d’usage de l’époque. Elle n’avait que 16 ans, il n’était pas question que Berthold le séducteur, en fasse une de ses proies. Ils n’acceptèrent d’organiser une rencontre qu’à condition que Berthold fasse la promesse de bien se tenir.

Berthold était âgé de 23 ans. Il était le fils unique d’Anna, une femme émancipée et libre et de Joseph, un marchand d’épices de Mogador qui avait fait fortune dans le négoce des amandes avec les anglais. Après la naissance  de leur fils, Anna avait rencontré le grand amour et divorça pour suivre le magnifique Benjamin qui ressemblait sur les photos à Laurence d’Arabie. Berthold semblait s’accommoder de cette situation. Le divorce de ses parents s’était bien passé grâce à la sagesse de Joseph qui laissa partir sa femme en lui souhaitant une vie douce et heureuse malgré son amour pour elle et sa peine immense. 

Dans cette atmosphère apaisée, Berthold eut une enfance heureuse entouré de son père, sa mère et Ben qui n’eut pas d’enfants avec Anna, et dont la générosité et la bonté n’avaient d’égal que celles de Joseph. Quelques années plus tard, Joseph épousa Madeleine, elle non plus n’eut pas d’enfants. Dans cet éther, Berthold fut l’enfant le plus gâté et le plus aimé de la famille. 

Il avait hérité de la bonté, de la générosité et de la bienséance  qui caractérisaient cette famille de juifs de Mogador, et l’on pouvait penser à priori qu’une alliance avec Rose ferait un mariage sans faille. La rencontre entre les deux tourtereaux n’allait pas tarder, elle devait avoir lieu dans les jours prochains avec la complicité des voisins de Rose.

Slil

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