À minuit la nuit de vendredi 23 juin à samedi 24 juin , Evguéni Prigogine, le chef de la milice Wagner, a publié une vidéo préenregistrée dans laquelle il annonce être entré en Russie avec ses troupes afin de la libérer Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, et Valeri Guerassimov, le commandant en chef de l’Armée, responsables selon Prigogine de la mort de dizaines de milliers de soldats russes.
Selon le chef de la milice, ancien prisonnier de droit commun puis cuisinier de Vladimir Poutine, cette tentative de renverser le gouvernement en place fait suite au bombardement par l’Artillerie du Tzarewitch, hier, de ses bases arrière dans le Donbass et en lisière de celui-ci.
A en croire toutefois les images de ces « bombardements » pas très convaincantes, nous sommes persuadés à Metula qu’il s’agit d’un prétexte inventé pour justifier la tentative de putsch de Prigogine.
De plus, dans le même temps, on apprenait que Wagner avait pris la ville de Rostov-sur-le-Don et plusieurs autres positions sur le sol russe, alors qu’elle n’avait pas disposé du temps matériel pour organiser ces opérations depuis les soi-disant bombardements de l’Artillerie russe.
Le Q.G de l’Armée russe à Rostov commandant la manœuvre de l’Armée russe en Ukraine est aux mains de la milice Wagner.
Rostov est avec son million deux cent mille habitants la dixième ville la plus peuplée de Russie ; elle se situe à 1 073 km au sud de Moscou par l’autoroute M4 et à 52 km à l’est de la frontière de l’Ukraine actuellement occupée par les forces de Moscou.
Prigogine ne cache pas que son objectif est de prendre la capitale et de remplacer le régime corrompu de Poutine.
Sa milice a pris plusieurs positions stratégiques dans le Donbass, toujours le long de la M4, y compris des routes, une base aérienne, des batteries d’artillerie et des dépôts d’armes et de munitions.
La carte de la situation. En vert les lieux liés à la tentative de coup d’Etat. (Service cartographique © Metula News Agency )
A l’instar de la garnison de Rostov, les troupes gouvernementales du Général Guerassimov n’ont opposé aucune résistance aux miliciens de Wagner.
Plus au Nord, à Voronej (carte) en territoire russe, ces miliciens ont détruit un vaste dépôt de carburant avant de poursuivre leur long chemin en direction de Moscou.
Des observateurs ont décelé deux colonnes mécanisées de Wagner sur la M4, la plus avancée se trouvant à 17h00 heure de Paris à 400 km du Kremlin.
L’Armée russe a coupé les autoroutes M4 et M2 qui lui sont parallèles aux environs de Moscou et fortifie ses positions en prévision d’une confrontation avec les miliciens.
Un barrage de fortune sur une artère de Moscou Il en faudra davantage pour arrêter Wagner
Les miliciens ont pour leur part coupé la même autoroute M4 en plusieurs points, notamment à l’orée du Donbass et avant d’atteindre Rostov.
Les miliciens de Wagner à Rostov tenant en joue un suspect
Ils ont aussi condamné la E58 (carte) qui approvisionne la zone de Kherson et la Crimée.
C’est peut-être le résultat stratégique le plus immédiat de cette rébellion : l’Armée ukrainienne s’efforce lors de son offensive d’été de couper cet axe d’approvisionnement et Prigogine l’a fait en quelques heures sans rencontrer de réelle opposition.
Il s’agit de la seule voie d’accès vers le sud de l’Ukraine occupée par les Russes et surtout, vers la Crimée à l’exception du pont de Kertch qui, si nos prévisions sont exactes et jusqu’à présent elles le sont, ne va pas tarder à servir de cible aux drones et à l’Aviation ukrainiens.
Lorsque le pont aura été détruit, si Wagner n’est pas défaite, la zone d’occupation-sud et la Crimée tomberont dans l’escarcelle de Volodymyr Zelensky sans même avoir à combattre.
Sans compter que les miliciens de Prigogine se sont déjà retirés du front face à l’Armée ukrainienne, où ils constituaient la force la plus efficace du dispositif russe. Ils ont délaissé totalement l’oblast de Louhansk, emmenant leur matériel.
Depuis ce matin, les unités fidèles à Poutine qui n’ont pas été attaquées par Wagner continuent le combat contre les Ukrainiens comme si de rien n’était, principalement par le biais de bombardements massifs de leur artillerie.
On peut toutefois raisonnablement penser que d’ici peu, si le putsch n’est pas écrasé, les réserves de munitions des Forces armées de la Fédération de Russie vont s’épuiser rapidement. Ce, car elles ne répondaient déjà pas à la demande avant la tentative de coup d’Etat, mais plus encore, parce que tout l’approvisionnement militaire emprunte l’autoroute M4 qui est désormais coupée en plusieurs points, et qui semble devoir le rester.
Nul doute que le fin stratège qu’est Zelensky, entouré par ses généraux et conseillé par ses alliés, va mettre à profit les combats fratricides opposant les Russes entre eux afin de réaliser des percées décisives sur le terrain.
A Metula, nous privilégions évidemment la prise de Marioupol (carte) qui consacrerait la coupure de la voie de communication vers la Crimée.
Nous sommes convaincus que les 5 autres théâtres d’opérations ne sont entretenus par Kyiv que pour réduire le nombre de soldats ennemis qui pourraient défendre le boulevard vers Marioupol.
Nous répétons notre analyse stratégique très simple : coupure de la M4/E58 + destruction du fragile pont de Kertch – surtout parce qu’il est extrêmement long, 18.1 km = victoire militaire définitive de l’Ukraine et récupération des territoires occupés, y compris la Crimée.
Et suivant l’orientation que va prendre la Guerre Civile, cela pourrait aller très vite. Les 24h à venir seront décisives pour l’avenir de Vladimir Poutine et de la région.
Ce d’autant plus qu’Evguéni Prigogine a fustigé cette nuit les généraux moscovites inutiles, qui auraient poussé le Tsarévitch à déclencher ce conflit superflu pour surfer sur une « victoire facile » de l’Armée russe, qui aurait renforcé leur position et contribué à leur enrichissement.
Selon lui, Choïgou, Guerassimov et leur redoutable clique auraient berné Vladimir Poutine en lui présentant des appréciations erronées.
Cette remarque ne doit pas passer inaperçue, car elle nous amène à des conclusions importantes d’ordre stratégique.
Selon elle et les conséquences de la fermeture de la M4 qui ne peut pas être étrangère à Prigogine, il est permis d’imaginer que le chef de Wagner, en cas de réussite de son putsch, pourrait se désintéresser de l’Ukraine en faveur de la mise au pas et de la réorganisation de l’empire russe.
Il pourrait d’autant plus aisément procéder à ce « réajustement » qu’il est le seul officier russe à avoir obtenu des succès militaires significatifs lors de cette guerre. Notamment grâce à la prise de Bakhmout.
Dans ces conditions, personne en Russie ne le traitera de lâche ou de planqué. Au contraire, s’il met fin à la confrontation, que le public russe comprend que leur pays ne peut pas la gagner, une majorité de ses compatriotes se dégagera pour considérer que Prigogine les a sortis d’un joli bourbier.
Nous et nos collègues analystes stratégiques tremblons de peur à l’idée qu’un rustre de cette envergure, toujours le doigt sur la gâchette à critiquer et menacer tout le monde, se retrouverait à la tête du plus grand arsenal nucléaire de la Planète.
Reste que du point de vue pratique à courte échéance, l’ex-cuisinier du seigneur du Kremlin est bien la personne la plus en vue pour mettre fin au règne de Poutine et partant, à cet affrontement qui épuise les ressources de la Terre et complique grandement son économie.
En 2011, le cuistot Evguéni Prigojine (g) servant le Tzarévitch
Aujourd’hui il lui présente l’addition
De là à… envisager que l’ancien bagnard devenu général a peut-être reçu le feu vert et l’appui de Washington dans sa tentative de coup d’Etat, c’est en tout cas une hypothèse que nous nous garderons bien d’écarter.
Pour la raison que ce n’est pas avec ses 20 000 hommes qu’il va faire tomber Moscou. Napoléon a échoué et ses grognards étaient bien plus nombreux.
Cela dépend évidemment aussi du degré de déliquescence de l’Armée russe, et nous n’avons à ce propos que des indices non déterminants. En raison du fait qu’il n’y a pas qu’une Armée russe mais une mosaïque de forces constituées de militaires de niveaux disparates avec des dotations en armes plus hybrides encore.
20 000 hommes déterminés face à une armée démotivée et mal commandée, cela peut suffire ; mais face à une garde prétorienne soignée par le régime, 200 chars les plus modernes et des dizaines de chasseurs-bombardiers alors que Wagner n’en a pas un seul, Prigogine va au-devant d’un carnage assuré.
Or c’est le genre d’énigme dont on ne connaît pas la solution avant la cognée. Particulièrement en Russie où l’on recourt souvent, pour impressionner l’adversaire, à des soldats de parade, des chars sans moteurs et des avions qui ne volent pas.
Une autre question à laquelle nous n’avons pas de réponse sous la main se pose : quel est le soutien dont jouit Prigogine à Moscou ? Parmi la nomenklatura ? A l’état-major ?
Est-il possible que son soulèvement soit coordonné avec des forces intra-muros ?
On n’en sait rien, mais on ne va pas tarder à être fixé.
Sur cette hypothèse également, gardons-nous d’exclure une construction de la CIA : je ne prétends pas que c’est le cas, mais si le coup de force, y compris un traité de fin des hostilités avec Kyiv était préorganisé avec une force anti-Poutine de l’intérieur, nous ne tomberions pas des nues.
Cela, parce que la Russie souffre, elle perd son confort, et ses oligarques sont contraints à s’exiler et à se laisser délester de milliards de dollars. Et elle prend les sanctions économiques en pleine figure alors que nous nous soucions légitimement de phénomènes plus préoccupants à nos yeux.
Sans compter la possibilité que des officiers, des politiciens et des hommes d’affaires qui ne pensaient pas à renverser le Tsarévitch parce qu’ils croyaient que c’était impossible ne saisissent l’occasion de se débarrasser d’un dictateur qu’ils ont appris à détester.
Parlant de lui, Vladimir Poutine s’est adressé à ses administrés en direct à la télévision ce matin. Il a exhorté les miliciens de Prigogine à revenir à la raison, qualifiant ce qu’ils faisaient en plein conflit avec l’étranger de trahison, et promettant un affrontement sans merci contre ceux qu’il a qualifiés de terroristes.
C’est chaud. Mais cela devait arriver d’une façon ou d’une autre. On l’évoquait depuis longtemps mais il n’était pas pensable qu’un peuple aussi fier subisse des revers militaires les uns après les autres sans s’en prendre à celui qui l’a plongé dans une guerre si absolument non-indispensable.
Et je n’ai pas évoqué les 200 000 soldats russes morts pour rien. Ou pour les rêves de grandeur d’un empereur qui a perdu la raison, ce qui revient précisément au même.
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