Ukraine : la bataille décisive est engagée

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II se passe des événements de la plus grande importance depuis hier, dimanche, dans la Guerre d’Ukraine. Pour la première fois depuis le déclenchement des hostilités par la Russie le 24 février 2022, l’un des affrontements en cours possède un caractère stratégique, à savoir, de nature à procurer la victoire finale du conflit à l’un des camps et y mettre un terme.

Nous avons décidé à la Ména d’illustrer cette bataille, ainsi que les autres faisant partie de l’offensive ukrainienne, à l’aide de cartes précises, car nous sommes las des babillages récurrents de la plupart des media, lesquels reçoivent souvent des pseudos spécialistes venant expliquer au public des événements qu’ils ne maîtrisent visiblement pas.

Une telle posture est d’autant moins compréhensible que l’évolution de cette guerre est lisible. Elle suit une stratégie brillante choisie par l’état-major de Kyiv, et très bien réalisée sur le plan tactique par son Armée.

Carte globale de l’offensive ukrainienne actuelle Les rectangles bleus figurent chacun un front faisant l’objet d’une carte détaillée par la suite ( Service cartographique © Metula News Agency)

On redit à cette occasion ce qu’on n’a pas cessé d’affirmer : l’offensive de Zelenski est dictée par plusieurs paramètres issus de ses limitations manœuvrières.

La première étant qu’il ne veut pas être dépendant des Etats-Unis, de la France ou d’autres alliés pour la mener à terme. La grande préoccupation de ses généraux se porte sur l’éventualité de manquer de munitions au plus mauvais moment et de se trouver bloqué sur le terrain sans obus pour les chars et l’artillerie, et sans missiles pour les HIMARS, à la merci de l’adversaire.

Or en dépit des requêtes répétées du Président, il n’a pas obtenu de munitions en nombre suffisant. On sait qu’en mode offensif on en grille d’énormes quantités.

On n’a surtout pas envie d’être amené à quémander des obus à M. Biden, en prêtant le flanc à des conditions désagréables de sa part. Par exemple, une invitation à négocier avec Poutine en faisant des concessions que les Ukrainiens ne sont pas disposés à accepter, comme renoncer à la Crimée.

Les Yankees, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ont acquis la réputation de priver leurs alliés de victoires militaires complètes alors même qu’ils sont sur le point de rafler la mise. Regardez ce qu’ils ont fait aux Anglo-Français lors de la Crise de Suez, et aux Israéliens, pratiquement lors de chaque conflit.

Dans l’entourage du Président Zelensky, on ne prétend pas que c’est ce que les Américains s’apprêtent à faire, mais on préfère éviter les mauvaises surprises.

De ce fait, on rationne les cadences de tir en allouant à chaque batterie un nombre de projectiles journaliers. De retour du front, nos amis nous ont ainsi informés qu’un canon d’artillerie à tubes multiples tire en moyenne 60 à 70 obus par jour, alors qu’il pourrait facilement en tirer 5 fois davantage.

Cela a pour effet de ralentir l’avance des forces sur le terrain, mais l’essentiel est que la dynamique de progression se poursuit avec succès sur tous les fronts. Et que les pertes chez les bleus et jaunes restent raisonnables.

Simultanément, le Président Zelensky ne réduit pas la pression dans la demande d’armes, de munitions et de nouveaux matériels. Il passe toutes ses journées au téléphone afin de rappeler leurs promesses aux amis, lesquels, à part les Anglais, les Tchèques, les Slovaques et les Polonais, ont une fâcheuse tendance à les oublier.

Offensive ukrainienne : l’élément humain

Au Q.G de l’Armée, on règle l’intensité de l’offensive sur la réception du matériel, et on évite absolument de faire des folies.

Dans le même temps, on peaufine la formation des hommes sur les nouveaux systèmes qu’ils ne connaissent pas, et l’on pousse l’industrie autochtone à produire les fournitures qui manquent. En effet, depuis un mois les Ukrainiens fabriquent les obus de mortier localement : ils sont ainsi venus à bout de la pénurie qui les frappait. Et l’on sait que dans cette guerre, les mortiers jouent un rôle en vue.

Le second paramètre que l’on respecte à Kyiv consiste à surprendre l’ennemi en permanence et à l’attaquer uniquement sur ses points faibles. A cet effet, l’offensive dans les oblasts de Belgorod et de Koursk est brillante. Les troupes du Tsarévitch Poutine s’époumonent depuis des mois à établir des quintuples lignes de fortifications partout où c’est possible. La Crimée, le territoire le plus protégé, ressemble, vue du ciel, au mur de l’Atlantique de Rommel.

Carte 1 : l’activité dans les oblasts de Belgorod et de Koursk (Service cartographique © Metula News Agency)

Attaquer la péninsule frontalement à partir de Kherson se serait terminé en carnage à force de venir s’écraser sur les dents de dragon et de sauter sur des mines.

Mais l’état-major russe avait des choix à faire, des priorités, car il est impossible de fortifier uniformément et avec la même densité d’obstacles un front s’étalant sur 1 200km, de Kherson au nord du Donbass.

Et c’est pour cette raison que Zelensky n’a pas attaqué dans le Donbass, mais dans les cantons de Belgorod et de Koursk, à 90km de Topoli, la ville du Donbass la plus septentrionale occupée par les Russes.

Une région où, « naturellement », les soldats du Major Général Valeri Guerassimov, le chef d’état-major et nouveau no.2 du Kremlin, doté d’une valisette de commandes nucléaires, n’a pas érigé la moindre dent de dragon.

Pour quelle raison, s’interrogeaient les Russes, les Ukrainiens, censés perdre cette guerre en quelques semaines, iraient-ils s’en prendre à Belgorod ? Quel gain stratégique pourraient-ils y trouver ?

Non seulement on n’y dressa pas d’ouvrages de défense, mais on n’y envoya pas non plus de troupes d’élite. On y entreposa toutefois la moitié des réserves de carburant nécessaires à vaincre ces « nazis » d’Ukrainiens, de même qu’on y installa de nombreux aéroports à partir desquels les Mig et les Sukhoï s’envolent pour guerroyer au Sud.

Le Général Valeri Zaloujny, le commandant en chef des forces armées d’Ukraine, le Guerassimov de Zelensky en beaucoup mieux, lui a fait le coup de la forêt des Ardennes en 40. A quoi cela sert-il en effet de construire des lignes Maginot si on laisse des ouvertures béantes sur le front ?

Zaloujny est un officier supérieur moderne, qui n’a jamais servi en Russie et a toujours prôné un rapprochement avec l’OTAN. Il est apprécié de la population et de ses hommes car il n’a jamais caché qu’ils étaient sa principale préoccupation.

Mais Zaloujny est aussi flexible et malin. Il semble avoir beaucoup étudié les doctrines de Tsahal, en particulier Momentum, celle de l’ex-chef d’état-major Aviv Kokhavi.

Kyiv a envoyé de surplus des militaires russes anti-Poutine dans cette zone délaissée par les stratèges de Moscou. Et ils y font un malheur.

On a compris, celait fait plus de cent ans que ça dure, que les militaires russes ne sont pas des soldats de mouvement. Durs à bouger, lents à s’organiser, chichement dotés, ce sont des rats de fortifications, pas les lanciers des charges de la cavalerie légère.

Les deux corps de Russes qui attaquent Belgorod agissent tels des abeilles ; ils fondent sur un objectif, le détruisent et s’en vont. Les piou-pious du Tsarévitch arrivent toujours après les vendanges, à tel point que cela tourne à la parodie.

Ceci dit, ça oblige le Kremlin à rameuter des milliers de tonnes de matériel et des dizaines de milliers de combattants pour tenter de faire face à l’envahisseur. Tous ponctionnés sur les effectifs déployés sur le front ukrainien, où d’autre ?

Poutine avait pris le prétexte de venir sauver les Ukrainiens russophones des « maltraitances que leur infligeait Kyiv », et ne le voilà-t-il pas envahi par des Russophones ayant pris parti pour l’Ukraine. Coquin de sort… C’est l’envahisseur envahi !

Ceci posé on est passé d’une petite diversion caricaturale à une menace tactique significative. Moscou a décrété le rapatriement des civils habitant près de la frontière ukrainienne, la force d’invasion occupe désormais des portions de territoire russe dont elle n’a pas l’intention de se retirer. 

On se bat cet après-midi à Murom, Novaya Tavolzhanka, dans la ville de Schebekyne et à Belgorod [carte 1].

Et surtout, et c’est sans doute le symbole le plus marquant de cette guerre jusqu’à présent, l’Ukraine bombarde abondamment la ville de Koursk. Koursk, où s’est déroulée la plus grande bataille de l’histoire à l’été 1943 impliquant plus de 6 000 chars, 5 000 avions, et pas loin de 3 millions de soldats. Koursk, où l’Allemagne nazie a définitivement perdu l’initiative des combats, et va dès lors subir la guerre jusqu’au suicide d’Hitler, le 30 avril 1945 à Berlin.

Koursk est bombardée par les « sous-hommes ukrainiens »… Vous parlez d’un symbole un peu plus parlant que la bataille de Bakhmout, où, soit dit en passant, les troupes de Moscou sont en train de se faire encercler par la manœuvre en tenaille classique des Ukrainiens, comme on l’observe sur la carte no. 4. Ils sont tombés comme des mouches dans le piège que leur ont tendu leurs adversaires.

Carte 4 : la situation à Bakhmout et la manœuvre d’encerclement en cours  (Service cartographique © Metula News Agency)

En plus de ces revers catastrophiques, des autres mauvaises nouvelles de la contre-offensive de Zaloujny et de Zelensky, du retentissement détestable de la nouvelle d’une offensive conduite par des patriotes russes sur le sol russe, on ignore l’impact politique que ce développement pourrait avoir sur une dictature aux abois, déjà durement fragilisée.

Cette offensive est intéressante, de même que celles menées sur divers théâtres d’opérations, et qui font l’objet des cartes [2 & 3] et [5], face à Kreminna, Lysychansk, Sievierodonetsk et Donetsk. [2 & 3] et [5], face à Kreminna, Lysychansk, Sievierodonetsk et Donetsk.

Carte [2 & 3] La progression ukrainienne dans les secteurs de Kreminna et de Lysychansk (Service cartographique © Metula News Agency)

Partout les guerriers de Zelensky sont à l’offensive. Partout ils avancent.

A Kreminna et à Lysychansk, on se bat déjà dans les rues des cités, à Sievierodonetsk et Donetsk, dans l’immédiate périphérie. A Donetsk, les Ukrainiens sont à moins de 2km de l’extrémité de la piste 26 de l’aéroport international, et la ville d’Avdikva, demeurée entre les mains des soldats de Kyiv, quasi-encerclée il y a encore trois semaines, est redevenue largement accessible.

Carte 5 : l’état des combats dans la banlieue-nord de Donetsk. Service cartographique © Metula News Agency

Toutes ces batailles ont pour objectif de couper les voies de communications et de préparer la reconquête du Donbass. Mais elles n’ont pas un caractère stratégique de nature à procurer la victoire finale du conflit à l’Ukraine et d’y mettre un terme.

 L’assaut en cours depuis trois jours, qui fait trembler le Tsarévitch, au point qu’il a envoyé Guerassimov diriger personnellement les forces russes sur le terrain, se déroule non loin de Donetsk, à 20km de sa banlieue-sud précisément. Pour en comprendre les enjeux, je vous propose de passer sans plus attendre à la carte no. 6. C’est celle dont les autres media ne parlent pas, en tout cas pas avec la précision et la simplicité voulues.

Carte 6 : de loin la plus importante. Service cartographique © Metula News Agency

L’affrontement est secret pour le moment. En Ukraine il fait l’objet d’une censure absolue, et en Russie on mentionne pudiquement de violents combats « au sud de Donetsk ».

 En réalité, c’est la confrontation essentielle de cette guerre, celle qui va probablement désigner son vainqueur.

C’est une affaire de voies de communication. Pratiquement tout l’approvisionnement russe, aussi bien civil que militaire destiné à la région de Kherson et surtout à la Crimée, arrive du Nord en transitant par la petite ville de Kamensk, 100 000 hab. [carte 6].

Il s’agit d’autoroutes sur tout l’itinéraire, ainsi que de voies ferrées, sur la plus grande partie d’icelui.

A Kamensk, l’autoroute se dédouble : la E50/H20 transite par Donetsk et approvisionne le Donbass en passant, et la E58 poursuit au Sud jusqu’à Rostov-sur-le-Don, puis oblique en direction de l’Ouest.

La lettre E désigne les autoroutes selon le système russe. Les autres lettres, le réseau ukrainien.

Les deux branches se rejoignent à Marioupol pour n’en former à nouveau plus qu’une, la M14 – on est en Ukraine, occupée certes, mais en Ukraine –, qui devient la E105 en atteignant la Crimée, annexée par Moscou.

Il n’existe presque pas d’autre chemin pour rejoindre Kherson et la Crimée.

Or c’est cet axe que l’Armée du Président Zelensky a entrepris de couper. On voit l’itinéraire prévu pour son offensive en vert sur la carte 6.

Avec l’alternative de foncer tout droit sur Marioupol, dépendant de l’âpreté des défenseurs russes.

Avant de poursuivre, vous comprenez enfin pourquoi les media vous assènent sans cesse que les Ukrainiens bombardent Marioupol, Berdiansk et Melitopol. C’est parce que ces villes se situent sur cette voie de communication et qu’ils tentent de gêner l’approvisionnement des Russes.

Si les autres media ne vous le disent pas, ça n’est pas parce qu’ils servent d’obscurs intérêts inavouables. C’est parce qu’ils l’ignorent.

Au cas où les hommes de Kyiv (au singulier, c’est le titre d’un excellent film de John Frankenheimer. Ndlr.) parviendraient à couper cet axe, il ne resterait aux Russes que la possibilité de faire transiter l’approvisionnement par le Pont de Crimée, qui relie Kerch en Crimée à Taman en Asie.

Cela allongerait considérablement la voie de ravitaillement des Russes. Mais ça n’est pas le pire. Les chasseurs-bombardiers et les drones des bleus et jaunes auraient tôt fait de détruire le pont. C’est un cas d’école, surtout si l’on dispose de F-16 et que l’on n’a plus grand-chose d’autre à faire pour gagner la guerre. Le Tsarévitch a également imaginé un transport par bateaux. Mais à l’endroit le plus rétréci de la mer d’Azov, point de passage obligé des navires russes en provenance de Rostov, seuls 27km séparent les deux rives. Envoyer des navires par le fond à cet endroit participerait d’un jeu d’enfant pour les canons de précision HIMARS fournis par les Etats-Unis.

La mer d’Azov, son rétrécissement et le Pont de Crimée. Service cartographique © Metula News Agency. Source : Google Earth Pro

Sinon, il leur faudrait traverser la moitié du Globe, remonter la Méditerranée, passer le Bosphore et éviter les avions, les missiles et les drones ukrainiens.

 Tkss… C’est le moment, lors d’une partie d’échecs où l’on couche son roi. 

Et Valeri Guerassimov est un soldat, probablement bon joueur d’échecs, et l’état-major russe n’est pas totalement fou pour poursuivre une guerre avec si peu de ressources. Déjà qu’avec des voies d’approvisionnement ouvertes…

Il y a 2.5 millions de civils à nourrir en Crimée, et 300 000 environ dans la région de Kherson, en plus de 100-150 000 soldats dont il faut remplir le ventre et charger les fusils. Même sans les Ukrainiens, il faudrait instaurer un pont naval : et on n’y arriverait pas.

Nan. Si les hommes de Valeri Zaloujny parviennent à prendre la zone en vert sur la carte, la guerre est finie. Et Poutine aussi. La Nomenklatura ne lui pardonnerait pas une aventure militaire à ce point humiliante. En outre les Russes auraient à s’asseoir avec leurs ennemis et à concéder leur capitulation ou, appelez cela comme vous préférez, le retrait des troupes russes défaites d’Ukraine et de Crimée.

A quoi tient le sort des armes : à une route misérable en très mauvais état.

Naturellement, il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. On dirait ce proverbe écrit pour cette circonstance.

L’offensive à partir de Vuhledar a bien commencé. Etrangement, cette région à l’importance stratégique aussi cruciale a été moyennement fortifiée. Les Russes ont concentré l’essentiel de la construction de leurs ouvrages défensifs en Crimée. Mais ils ne serviront strictement à rien si Marioupol tombe.

Encore un mauvais calcul des stratèges russes. Ils les collectionnent.

Guerassimov doit pallier la clairsemance des obstacles briseurs d’assaut. Pour tenter d’y parvenir, il a concentré sur zone tous les canons d’artillerie qu’il a trouvés. Il a aussi fait appel à son Aviation, laquelle ne s’est jamais montrée décisive dans ce conflit.

Les Ukrainiens aussi utilisent leurs chasseurs-bombardiers et pour la première fois, les tanks livrés par l’étranger.

On a vu vers midi, sur un film confidentiel que nous n’avons pas eu le loisir d’enregistrer, des chars de Volodymyr Zelensky progresser à vive allure en terrain découvert. Ils se présentaient devant Mikolaivka, à 35km de la frontière russe : il n’y avait pas de chars ennemis face à eux.

On sait aussi, de source sûre, que les Russes ont bombardé Bohoyavlenka, Vuhledar, Novoukrayinka, Prechystivka, Zolota Nyva, Shakhtarske et Velyka Novosilka, dans le corridor vert sur la carte.

Et que l’Aviation du Tsarévitch est intervenue à Vuhledar et Prechystivka, sans occasionner de dégâts notoires.

Moscou diffuse des communiqués de victoire tous azimuts, restant flou sur le lieu exact des affrontements. Cela ne correspond pas à ce que nous avons vu et entendu toute la journée.

Il faudra patienter pour en avoir le cœur net.

Ce qui est sûr, c’est que la bataille décisive est engagée. Et aussi que cette journée de lundi a sans doute été la plus acharnée du conflit depuis son début il y a un an et demi.

Les gants sont jetés.

Jean Tsadik et Stéphane Juffa

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