L’idée de m’intéresser à la notion de relativisme culturel m’est venue à la suite d’une conversation, il y a quelques mois, avec une jeune femme à qui j’avais posé la question « que penses-tu de l’excision des femmes et des jeunes filles » et qui m’avait répondu : « C’est leur affaire, c’est culturel, chacun a sa manière de régler ses problèmes de société ».
Cette réponse m’avait interpellé et je me suis dit que pour cette jeune femme l’excision d’une femme était quelque chose de très relatif : en France c’est un crime, (10 ans de prison et 150 000 € d’amende), dans certains pays une simple tradition.
Certains intellectuels, notamment américains, défendent l’excision au nom du relativisme culturel et remettent en cause la gravité de ses conséquences sur la santé et la sexualité des femmes.
La lutte contre l’excision est considérée par certains pays comme une forme de colonialisme à leur égard.
L’un des arguments le plus fort de ceux qui défendent l’excision explique qu’elle serait l’équivalent d’opérations de chirurgie esthétique pratiquées en occident, comme la pose d’implants mammaires ou la rhinoplastie.
En somme, l’excision et la rectification d’un nez de travers seraient deux opérations de portée identique.
Une approche de définition
Le relativisme culturel est la thèse (et la pratique) selon laquelle les croyances et activités mentales d’un individu sont relatives à la culture à laquelle appartient cet individu et sont du seul ressort de cet individu. Cet individu serait donc le seul maître de sa conception et de sa pratique culturelle.
C’est principalement l’école américaine d’anthropologie du début du 20° siècle qui fut un ardent défenseur d’une forme de relativisme culturel, s’opposant en cela aux tenants de l’universalisme.
Le relativisme, qui nous intéresse ici, développe la thèse selon laquelle il n’est pas possible de déterminer une morale absolue ou universelle, mais que les valeurs morales ne valent qu’à l’intérieur de frontières culturelles, où le code moral est le produit des coutumes, des traditions et des institutions du groupe humain considéré.
Cette conception vient heurter de front celle développée par les penseurs humanistes qui considèrent que l’humain, bien que perfectible, a accès à l’universel.
Alors qu’est ce qui est universel et qui ne soit pas propre à une seule ou plusieurs cultures et soumis de ce fait au relativisme.
Dans une conception humaniste, et qui rejoint, en cela, les références universelles adoptés par l’ONU, l’universalité des valeurs place les besoins fondamentaux de l’être humain au-dessus de toute culture ou croyance ou particularité et y enracine la légitimité des référents culturels comme, par exemple :
– Les droits de l’homme et en particulier de la femme et de l’enfant et la non discrimination homme-femme (art 1 de la constitution internationale)
– La liberté de l’information,
– Le droit d’association
– Le droit à l’éducation
– La non discrimination d’ordre religieux ou racial (art 2 de la C.I.)
– La laïcité de l’espace public (art 2 de la C.I.)
Pour illustrer le propos je prendrai dans cette liste quelques exemples pour illustrer l’enjeu entre une conception relevant du relativisme culturel
Premier exemple : La discrimination homme-femme
Ce premier exemple est illustré par les prises de position d’Elisabeth Badinter, sur des questions comme le voile, la burqua et d’une manière générale , la discrimination homme-femme.
Dans une prise de position récente, elle a fustigé le relativisme culturel de Claude Lévi-Strauss, selon lequel toutes les cultures se valent, l’autre étant « simplement différent mais non inférieur »
Ce relativisme culturel se heurte aux universalistes, comme Simone de Beauvoir qui pense que les ressemblances entre homme et femme priment sur leurs différences alors que les différentialistes, mouvement porté pour l’essentiel par certaines féministes américaines, insistent au contraire sur leurs dissemblances.
E. Badinter, en universaliste, reconnaît et recommande la tolérance aux autres, à leurs traditions et religions mais s’oppose avec vigueur au port du foulard autant qu’à l’excision ou à la polygamie, signes de soumission des femmes selon une certaine pratique de l’islam.
Entre le respect de la femme et celui des traditions religieuses Elisabeth Badinter donne la priorité absolue au premier et cela lui paraît non négociable.
Elle rejette du même coup le différentialisme évoqué plus haut et qui va jusqu’à considérer qu’admettre ce qui est étranger serait une vertu simplement sous prétexte que c’est étranger à notre culture.
Cette vision s’est beaucoup manifestée dans les années 80, chez certains gauchistes
Il en est ainsi par exemple de la position qu’avait adoptée, en son temps, Danielle Mitterrand qui pensait que défendre le droit à l’excision était un signe de tolérance, voire un progrès de la démocratie. Selon elle nous devons être capables de respecter toutes les croyances et traditions des autres valeurs quel qu’elles soient, même celles qui débouchent sur des mutilations d’être humains.
Pour bien éclairer la situation dramatique liée à la discrimination homme-femme, voici l’histoire de Leïla Fathi, telle que la rapporte Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix, avocate iranienne.
Leïla Fathi a 11 ans quand elle se fait violer par trois hommes qui l’ont tabassée avant de jeter son corps dans un ravin. Les trois hommes ont été arrêtés, l’un s’est pendu en prison et les deux autres ont été jugés coupables de viol et de meurtre et donc condamnés à mort.
Mais, comme la loi iranienne accorde deux fois plus de valeur à la vie d’un homme, fut-il violeur et meurtrier, qu’à celle de sa victime féminine, lui, le violeur assassin et sa famille ont droit à une compensation financière.
C’est ainsi que la famille de Leïla a été condamnée à indemniser la famille de ses assassins. Comme elle était incapable de le faire, même en ayant vendu tous ses biens, les assassins ont été relâchés !
Deuxième exemple : La problématique de l’intégration d’hommes d’autres cultures
Je prendrai ce second exemple qui, dans les années ayant suivi, en 2015, l’arrivée massive d’immigrés, illustre les avatars de leur intégration en Allemagne.
A cette question d’intégration les politiques allemands considèrent comme essentiel que les nouveaux arrivants sachent quelles sont les valeurs que la société allemande attend qu’ils respectent.
Et les réponses des politiques sont éclairantes, surtout celles de la CSU.
– tolérance,
– respect des traditions allemandes,
– savoir parler allemand.
Le ministre de l’agriculture de la Bavière en ajoute deux autres qu’il juge essentielles :
– savoir boire de la bière
– et manger de la saucisse de porc !
Voilà pour la réponse des politiques. Celle des travailleurs sociaux est nettement plus nuancée.
Voici l’extrait d’un discours tenu devant 80 hommes, musulmans venant d’Afghanistan et du Pakistan :
« Il existe une référence culturelle sur laquelle tout le monde devrait pouvoir se mettre d’accord. Cette référence pose le postulat que chaque personne a des droits fondamentaux et qui sont particulièrement à défendre : la dignité humaine, la liberté et l’égalité devant la loi.
Chaque citoyen doit pouvoir vivre sa propre religion à condition de ne pas restreindre la liberté d’autrui
Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi
Chacun doit pouvoir choisir son partenaire sexuel
Signe intéressant d’évolution des mentalités et de la jurisprudence : à la suite des événements de décembre 2015 à la gare de Cologne où plusieurs centaines de femmes ont été agressées sexuellement,(1200 plaintes, 2 condamnation avec sursis) la loi allemande est passée d’une définition du viol où la victime devait prouver qu’elle avait essayé de fuir ou de s’être défendue, à une définition du viol ayant été commis « sur une personne contre sa volonté. »
Elle a posé le fameux principe ; quand c’est non, c’est non.
Et l’orateur conclut : «La parole sur ce qui est juste n’est pas du côté d’un pasteur, d’un imam ou d’un conseil des anciens».
En guise de conclusion : La laïcité comme rempart contre le relativisme culturel
La laïcité vient s’intégrer dans cette problématique dans la mesure où elle transcende les spiritualités religieuses qui toutes, bien que relevant du relativisme, prétendent à l’universalité.
Si nous ne voulons pas vivre sous la soumission de ce genre de dogme et de pratique, il s’agira chaque fois de mettre l’homme avant tout divinité.
Nous devons inverser notre regard: Dieu est de l’ordre du relatif, l’homme est de l’ordre de l’universel.
Hannibal