Chapitre IV
Dans les trois précédents articles, nous avons vu pourquoi il était devenu très difficile de défendre l’Alsace dans un grand parti politique national et les atouts qui faisaient d’Unser Land, le parti régionaliste alsacien, le meilleur mouvement pour la défendre avec cependant le bémol d’une vision quelque peu confuse et datée concernant l’Alsace.
Après avoir ensuite montré la marche à suivre pour se concentrer sur l’Alsace et son avenir en trouvant les arguments qui permettront de convaincre les Alsaciens de la réelle plus-value pour eux de retrouver une Alsace en tant que collectivité territoriale à statut particulier, il faut maintenant décliner les outils pour se faire ainsi que le timing nécessaire à cette démarche.
Législatives et discours autonomiste
Cependant avant cela, il convient de revenir sur les résultats du premier tour des dernières élections législatives pour Unser Land qui ne lui ont pas permis d’avoir accès au deuxième tour dans aucune des circonscriptions où ils présentaient des candidats.
Sur 14 candidats, seuls deux font plus de 8% des voix, quatre font autour de 5-6% et huit sont en-dessous de 5%… Il y a là un paradoxe puisque le thème de la sortie du Grand Est était largement évoqué durant la campagne et ce quasiment par tous les partis.
Un sujet porteur pour Unser Land d’autant qu’ils s’étaient fortement mobilisés pour soutenir et promouvoir la consultation citoyenne du président Bierry qui avait, comme nous l’avons vu, récolté 92% de oui en faveur de cette sortie. Plusieurs candidats de la majorité présidentielle et LR s’étaient ouvertement prononcés dans le même sens.
Ce contexte, non seulement n’a pas profité à Unser Land, mais a même été contre-productif puisque les résultats du parti régionaliste sont les plus mauvais depuis des années. De mon point de vue, c’est la preuve que le discours autonomiste ne passe pas auprès des électeurs alsaciens. Les références au Reichsland de 1911, à une constitution pour l’Alsace, à une France fédérale ainsi qu’à une Europe des régions sont totalement incomprises par les électeurs.
Tant qu’Unser Land ne se concentrera pas sur le sujet central de ce que devrait être son combat, le retour à une collectivité territoriale alsacienne à statut particulier dans un cadre politique français réaliste, je ne vois pas pourquoi les électeurs donneraient leurs suffrages à ce mouvement autrement que de façon confidentielle.
Sortie du Grand Est
La réaction épidermique de leur leader Jean Georges Trouillet suite à ces résultats en dit long sur son état d’esprit. Il n’a pas donné de consignes de vote pour le deuxième tour, allant même jusqu’à critiquer tous ceux qui avaient évoqué la sortie du Grand Est en les qualifiant d’opportunistes. Heureusement que plusieurs candidats du mouvement ne l’ont pas suivi en appelant à voter pour celui ou celle toujours en lice au deuxième tour face à un candidat jacobin…
Unser Land n’a pas le monopole du thème de la sortie du Grand Est même s’il serait le mieux à même de la défendre et leur « chef », par sa réaction se comporte comme quelqu’un à qui on pique son fonds de commerce. C’est bien dommage car il a raté une occasion de monter dans le train en soutenant tous les candidats s’engageant, par exemple, à présenter une proposition de loi pour la sortie de l’Alsace du Grand Est. Cela aurait été une façon opportune de commencer à s’inscrire dans la réalité institutionnelle française.
Le débat de fond
Mais revenons à notre sujet des outils et du timing évoqué plus haut. Nous avons vu que la courte période d’une campagne électorale n’était pas propice pour présenter un argumentaire détaillé aux électeurs alsaciens afin de les convaincre de voter Unser Land pour faire sortir l’Alsace du Grand Est plutôt qu’un autre parti politique.
En effet cet argumentaire ne peut être que le résultat d’une démarche bien en amont, entreprise une fois les militants formés et au fait de tous les tenants et aboutissants que ce thème implique (cf l’article précédent). La campagne ne peut donc être que le temps du rappel mais en aucun cas celui du débat de fond.
Le débat de fond est à entreprendre hors période électorale, avec de la méthode et du temps devant soi. On peut pour cela, s’inspirer de la démarche participative de Jo Spiegel, maire de Kingersheim de 1989 à 2020 qui serait trop longue à exposer ici.
Dans sa commune, Jo Spiegel a construit lentement et patiemment un autre paradigme pour redonner un vrai pouvoir d’élaboration et de décision aux habitants. C’est une fascinante expérimentation, véritable « fabrique de démocratie » qui peut être dupliquée et appliquée au thème de la sortie du Grand Est pour l’Alsace afin que les Alsaciens puissent enfin comprendre quelle est la plus-value pour eux de retrouver une Alsace qui soit une Collectivité territoriale à statut particulier.
Pour rappel, cette démarche participative qui implique les électeurs et les élus concernés, n’a pas été utilisée lors du référendum d’avril 2013 puisqu’on a demandé aux Alsaciens, livrés à eux-mêmes, de se prononcer en 2 mois sur un sujet institutionnel complexe alors que les élus avaient mis deux ans pour se mettre d’accord et les socioprofessionnels du CESA (Conseil économique et social d’Alsace) quatre ans pour élaborer le projet… Une campagne électorale classique et sans aucune originalité avait achevé de convaincre les Alsaciens de rester chez eux.
démarche participative
La démarche participative implique de se mettre à l’écoute, d’informer, d’expliquer, de donner du sens, de débattre et enfin de co-construire en amenant les participants à adhérer au projet. Pour cela, les militants doivent se transformer en animateurs de réunions, munis de fiches thématiques qui déclinent toutes les facettes du projet.
Les élus locaux (conseillers municipaux, maires et Conseillers d’Alsace) doivent être sollicités pour parrainer les rencontres et éventuellement témoigner eux-mêmes de la complexité de l’organisation territoriale en France, complexité qu’ils vivent chaque jour et qui pourrait être réduite avec une Alsace ayant un nouveau statut en sortant du Grand Est.
Vous aurez compris que tout ceci représente une organisation, une implication et une motivation sans commune mesure avec la distribution de petits tracts électoraux sur les marchés. Il faut par conséquent qu’Unser Land se concentre dès maintenant sur un avenir institutionnel alsacien réaliste et abandonne ses utopies d’autonomie et de Constitution alsacienne.
C’est à ce prix que les Alsaciens comprendront et adhéreront au projet et c’est grâce à cette démarche qu’ils se souviendront que c’est Unser Land qui leur a expliqué et les a convaincus. Se faisant ils voteront pour eux…
L’Alsacien
« Nous avons décidé de décider ensemble », une expérience de renouveau démocratique par Jo Spiegel aux éditions de l’atelier, 2020.