Les nouveaux misérables (suite)

Le réveil d’Ovate

Chapitre VIII

Ovate se réveilla en sursaut, les jambes en coton. Elle transpirait et entendait les battements de son cœur résonner dans sa tête. Elle ouvrit la baie vitrée de sa chambre pour prendre un grand bol d’air frais à pleins poumons. Curieusement, jamais climat ne fut aussi beau et clément qu’en ces temps de covid19. Pour calmer la violence de son émotion, elle plongea sa tête sous le robinet d’eau froide de sa douche, et buvait l’eau qui coulait. 

Reprenant doucement possession de son calme, elle gambergeait sur la signification de son rêve. Pour elle, il était l’évocation de sa propre mort. La forêt était la scène d’un monde futur, un au-delà, le paradis…

La forêt, un village celte, le barde d’une tribu de druides qu’elle avait appelé « Maître » dans son rêve, les arbres qui murmurent rient et chantent, le troll Ênus, le crapaud Arc-en-ciel, la cabane bleue, la cérémonie de la feuille, tout cela lui avait paru si réel en songe. 

Elle se retrouvait soudain dans le confinement covidal et les troubles de cette période de pandémie qui l’avaient envoyée à son rêve. Elle revenait à la réalité penaude, désappointée et en colère. En quelques minutes à peine, juste le temps de se réveiller, elle perdait tout de son escapade ésotérique. Une fois de plus, elle était dépossédée du pays des merveilles et de ses chimères.

Les rêves que nous faisons sont probablement l’expression de nos désirs, Sigmund Freud a fait sur ce sujet des tartines sans grand intérêt pour l’Ovate qui constatait que réels ou irréels, ses rêves portaient l’empreinte d’une pureté telle, qu’ils devenaient parfois inatteignables.

Au cours de la blanche nuitée qui s’annonçait, Ovate admettait que l’homme ne possède pas le don de recevoir la perfectibilité à laquelle il aspire, et que si nous bâtissons nos rêves sur l’excellence, quelle que soit la nature du rêve, nous nous exposons à toutes sortes de projectiles féroces qui nous conduisent à des rêves toujours interrompus. Mais jamais elle n’aurait consenti à sous-estimer la force de sa volonté et de ses aptitudes à les réaliser. Plus le défi était de taille, plus le taux de son adrénaline augmentait, et plus ils devenaient les marqueurs irrésistibles de sa future victoire.  

Souvent, la vie nous oblige à un face à face avec nous-mêmes. Certains affrontent les difficultés et les combattent pour rebondir plus forts de leurs expériences. D’autres, moins chanceux, se relèvent cahin-caha. D’autres sombrent, restent soumis aux événements et renoncent aux jours meilleurs, c’était le cas de Grabat.

Ovate était convaincue qu’il fallait veiller sans défaillance à la valeur du temps pour gagner le combat contre l’obscurité. Elle en avait fait l’expérience. De ce temps, elle avait fait son essentiel. S’approprier le temps, le gouverner, le maîtriser, en faire une succulence harmonieuse sans limite de ses propres désirs.

Son essentiel avait commencé par les autres, les paumés, les chiens perdus sans colliers. Auprès d’elle, ils se métamorphosaient en petits bonheurs puis ils partaient sans se retourner les yeux rivés vers d’autres ailleurs. Un jour, elle prit la décision d’adopter la devise du « D’abord Moi ». C’était une décision difficile, sans doute, mais elle y avait gagné pas à pas son droit à toutes ses aspirations. 

« Je me suis oubliée,” écrivait-elle, “ Je me suis confisquée trop de temps, personne ne m’en demandait autant. Mon essentiel aujourd’hui c’est Moi. Ma vie. Mes désirs. Je ne cède rien sur ce sujet. La dernière ligne droite, je veux la vivre totalement sans restriction, sans contrainte. Je ne veux renoncer à rien. Demain ne m’appartient pas, alors j’ouvre les yeux, je regarde, je suis encore demandeuse à la vie. J’observe que je ne manque à personne, moi qui me croyais indispensable. Que de temps perdu ! »  

Elle essayait de s’endormir pour replonger dans son rêve, pour le faire durer encore un peu, un petit peu, jusqu’au matin, pour retrouver un moment de ce monde de douceur souveraine, ce monde ensorceleur où son rêve l’avait emportée pour y déposer ses propres encombrants

A l’heure où blanchit la nuit, lorsque la lune fond, elle reprit ses habitudes. Un café, un peu de lecture, les nouvelles du monde où le seul sujet était l’oraison funèbre du croque mort Salomon* qui chaque jour faisait la comptabilité des défunts de la Covid19, pour mieux nous tourmenter. Le Sars Cov19 restera une période de terreur proche d’un film d’épouvante de Stephen King, une catastrophe humaine et médicale qui a révélé les lacunes et les faiblesses insoupçonnées de nos sociétés contemporaines.

Ovate songeait déjà à acheter quelques cabanes de jardin qu’elle rassemblerait et qu’elle aménagerait pour y vivre dans la futaie de bouleaux dansants comme dans son rêve.

Elle y réfléchirait demain…

Ovate

(* Pr Jérôme Salomon-Ministère de la santé et de la prévention)

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