Vladimir Poutine a concentré ses attaques sur le Donbass pour chercher une « victoire » pour le 9 mai. Pourquoi cette date était-elle importante pour lui ?
L’anniversaire de la capitulation nazie
Il s’agit de l’anniversaire de la capitulation nazie signée à 23h01, le 8 mai 1945 à Berlin, soit 1h01 le 9 mai, horaire de Moscou, ce qui explique le décalage avec le jour férié en France. Le 9 mai est donc férié en Russie. Le défilé́ militaire 2022 à Moscou n’a été́ qu’un déploiement de missiles « fantastiques » : message à l’Occident. Nous nous croyions en Russie, nous nous sommes réveillés en URSS : hurrah !
L’ours russe, reclus dans sa datcha, obsédé par la covid, était soucieux de faire de ce jour la démonstration de la puissance russe, dont l’image fut écornée à la chute de l’URSS. Cette fête, symbolisant la victoire contre les nazis, a une symbolique particulière dans le contexte de la guerre en Ukraine, alors que le Kremlin dit vouloir dénazifier le pays.
La chute de Marioupol aurait permis à Poutine d’offrir aux Russes la victoire qui validerait son opération de paix en Ukraine. Le FSB a fait le ménage en nettoyant quelques avenues, dissimulant les ruines et enfouissant les cadavres des femmes et des enfants que la glorieuse armée russe a vaincu avec courage ! Mais les dernières forces ukrainiennes résistent toujours à l’usine Azov stal : Marioupol, c’est Camerone ! Cela constitue une victoire tactique russe, mais avec tant de difficulté́ qu’elle apparaît aussi comme une victoire symbolique ukrainienne.
A Pékin, d’autres questions agitent le Parti communiste chinois. À lire entre les lignes de son discours de Nouvel An, Xi Jinping, qui a inscrit son nom dans l’histoire du Parti communiste chinois aux côtés de Mao Zedong et Deng Xiao- Ping, peine plus que jamais à imposer ses choix, à l’approche du XXe Congrès national de cet automne. Xi Jinping y devrait entamer son troisième mandat de chef du parti.
la politique chinoise
Les mois précédents sont considérés comme la période décisive pour la politique de direction de la Chine, qui détermine l’orientation du pays dans les années à venir. Pourquoi le congrès du parti est-il si important pour la politique chinoise, alors qu’il a en réalité peu de pouvoir ? Existe-t-il des règles et des normes qui régissent la politique de leadership du PCC ? Quels sont les enjeux du 20e congrès du parti ? Xi Jin- ping s’est-il heurté à une résistance interne face à son plan dans le cadre de son mandat quasi à vie ? Qui ose résister au nouveau dictateur du parti, pourquoi et comment ? Xi Jinping serait-il capable de surmonter ces résistances pour accomplir son troisième mandat ? Quels seraient les scénarios possibles de la réorganisation du leadership du PCC et, en général, des cinq prochaines années en Chine ?
Les derniers développements de la politique chinoise et des relations étrangères, y compris la réponse de la Chine à l’invasion russe en Ukraine, répondent aux questions ci- dessus.
La situation mondiale en termes de géopolitique est présentée dans le tableau illustrant cet article. Voici un petit clin d’œil historique sur « Le dernier mur chinois » qui est une caricature d’avril… 1901, œuvre de John Samuel Pughe, tirée du magazine satirique américain Puck. Elle montre la Chine qui assiste à la confrontation entre les puissances occidentales et l’ours russe. De gauche à droite, un Britannique, un Américain, un Allemand, un Français, un Italien, etc. qui font face à l’ours russe, sabre au clair. Plus de 120 ans plus tard, ce dessin reste d’actualité, illustrant la confrontation en cours entre la Russie et les autres puissances, sous l’œil amusé de la Chine.
Le rêve russe d’établir un empire moderne
Une question taraude les pacifistes : Pourquoi Zelensky ne se rend-il pas devant l’armée de Poutine ? Il arrêterait ainsi le massacre de la population de l’Ukraine.
La vraie question est de savoir pourquoi Poutine ne s’en va pas de l’Ukraine et arrête ce massacre ? Zelensky défend sa patrie. La liberté de son pays. Il protège son peuple des horreurs et des atrocités guerrières qui seront perpétrées par Poutine s’il se rendait.
Zelensky connait l’histoire et l’Holodomor organisée par la Russie pour faire mourir de faim des millions d’Ukrainiens de 1932 à 1933. Il ne veut pas que ses enfants et ses petits-enfants vivent sous l’oppression russe. Zelensky sait que Poutine est condamné par le monde entier, à part les quelques complices et traîtres habituels. Les sanctions s’accroissent en permanence, tandis que les soutiens pour l’Ukraine se manifestent plus chaque jour.
L’essentiel est que Zelensky se souvient que Churchill disait : « les nations qui tombent au combat renaissent à nouveau, mais celles qui lâchement se rendent disparaissent.» l’Ukraine, un empire contre une nation : le rêve russe d’établir un empire moderne conjugue l’inspiration du soviétisme avec une Ukraine source de richesse et matrice spirituelle. Mais, toute l’Europe orthodoxe s’insurge contre le Patriarcat de Moscou approuvant une guerre « profondément non orthodoxe, non chrétienne et tournée contre l’humanité ». L’ours se rencogne.
Le choix ukrainien de la démocratie, situé à l’opposé de ce rêve, est donc considéré comme inconcevable et transgressif par Moscou. Dans cette guerre sans merci, les responsables spirituels seront peut-être une clé́ de dialogue de long terme, de paix possible et de reconstruction.
Indépendant depuis 1991 à la suite de la désagrégation de l’URSS, le jeune état ukrainien a choisi la démocratie, le multipartisme. Il a vécu plusieurs alternances politiques dont celle de 2019, avec l’arrivée au pouvoir du président Zelenski.
Entre faucille, marteau, et croix gammée
Lorsqu’en 2015 son parlement décide de bannir les références au monde soviétique comme au nazisme, il renvoie dos à dos les totalitarismes et vise l’émergence d’une société libre de choisir ses droits et son fonctionnement. Une telle démarche législative est le fruit d’une histoire dans laquelle l’Ukraine fut souvent morcelée. Jusqu’au seuil de la Seconde Guerre mondiale, nombre d’Ukrainiens de l’ouest ont pu voir dans l’invasion nazie une alternative à la puissance soviétique russe, alors même que les provinces russophones de l’est se préparaient à combattre le nazisme par le stalinisme.
Pour les responsables politiques de Russie, ces choix ukrainiens qui placent nazisme et stalinisme au même niveau d’horreur sont aujourd’hui vécus comme une négation de l’histoire. Que penser de la déclaration de Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin : « l’armée russe ne vise pas les civils, ne bombarde pas de maisons ou d’habitations » ?
Ceci rappelle la célèbre phrase d’Alexandre Soljenitsyne : « Ils mentent, nous savons qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, et pourtant ils continuent de mentir…».
Mais il n’est pas acceptable qu’un dirigeant puisse conquérir un autre territoire parce qu’il possède l’arme nucléaire. Cela vaut pour la Chine irritée par la lettre à l’Union européenne de 46 ONG (Hong- Kong, Taïwan, Ouïgours, Tibet) : « Le temps est venu pour l’Europe de réduire sa dépendance économique à la Russie, mais aussi à la Chine, pour assurer sa propre sécurité́.»
Après l’ours russe voici le panda chinois dans le collimateur !
Xi Jinping aidera Poutine sans se compromettre : délégitimer les sanctions occidentales, mais maintenir les relations avec l’Ouest. L’empire du Milieu joue serré pour préserver ses intérêts économiques.
Alors que Poutine compte sur l’aide de Pékin, la priorité de Xi Jinping sera de tirer les leçons d’un échec qui sera alors un cas d’école géopolitique : comment esquiver tout dommage collatéral susceptible de contrecarrer ses intérêts tout en guettant les erreurs du docteur Fol amour russe ?
La Chine et la Russie n’ont pas signé d’alliance au sens strict du terme, mais plutôt une sorte de partenariat économique, logique sur le plan géographique et montant en puissance avec l’ouverture de la route du Nord-est sibérien, qui permettra à la Chine d’acheter du gaz à moindres frais. Mais la guerre en Ukraine pose deux problèmes majeurs : en politique, la Chine défend le principe de souveraineté. Comment soutenir Poutine qui viole la souveraineté́ de Kiev ? Pour Pékin, c’est une contradiction fondamentale. En économie, l’aventurisme poutinien en Ukraine a fait doubler le prix du baril de brut. La Chine dont le taux de croissance avoisine les 5% ne peut s’accommoder longtemps d’un baril à plus de 100 $.
Quel serait l’intérêt pour Pékin ? La guerre est négative car elle crée de l’instabilité, une sorte de hiatus stratégique avec la Russie. En outre, ces deux pays sont des partenaires à l’aune de leur rivalité́ avec un Occident dont ils contestent l’architecture mondiale. La Russie n’en a pas moins peur des ambitions hégémoniques chinoises. Aujourd’hui, il y a davantage de Chinois en Sibérie orientale que de Russes. Et la nature a horreur du vide…
Conclusion pour le panda : si la situation militaire des Russes se détériore en Ukraine, la Russie va devenir un voisin de plus en plus instable, ruiné, avec potentiellement un changement de leadership. Pour la Chine, qui aime la stabilité, cela fait beaucoup d’inconnues.
Poutine s’appuie sur une alliance historique, militaire et économique avec l’Inde …qui est une rivale traditionnelle de Pékin.
La Chine est-elle en mesure de tenir cette position de médiatrice ? Les mesures occidentales accentuent la vassalisation de Moscou à Pékin alors que la brutalité guerrière de Poutine menace in fine le régime chinois.
L’agression du Kremlin met fin à l’équilibre mondial, terreau du succès économique chinois. Surtout pas de chaos international quand se profile le XXe congrès du PC chinois : Xi Jinping espère rempiler !
Le panda constate que le conflit ukrainien a réveillé l’Europe et l’OTAN, ce qui est contraire à ses intérêts. Mais la possibilité de l’effondrement économique et institutionnel russe signifie la déstabilisation d’une Asie centrale dangereuse et imprévisible pour Pékin.
Il est de l’intérêt pour Xi Jinping de mettre fin à cette guerre contre l’Ukraine en maintenant la tête de Poutine hors de l’eau. Mais Xi Jinping n’est pas Théodore Roosevelt. Ses liens avec Poutine décrédibilisent sa médiation. Sauf à l’exercer avec un partenaire occidental. Idem pour ses liens avec les USA.
Une fenêtre de tir s’ouvre pour l’Europe. Il faudrait une Europe forte, crédible. La médiation sino-européenne est une option diplomatique et géostratégique pour que l’Europe soit enfin perçue comme une puissance. Mais se perçoit-elle comme une puissance quand elle se détruit de l’intérieur ? That’s the question, mon cher Shakespeare !
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, lors de sa visite en Ukraine, a remis au président Volodymyr Zelensky un formulaire d’adhésion à remplir pour intégrer l’Union européenne.
Elle déclare : « Ce ne sera pas, comme d’ordinaire, une question d’années pour se faire une opinion, mais je pense une question de semaines.» Le président ukrainien s’empresse de répondre que le dossier sera renvoyé dans la semaine… S’adressant à ses compatriotes, Zelensky a affirmé : « Nous sommes enfin sur le point d’atteindre notre objectif de longue date. L’Ukraine sera l’un des égaux dans la maison commune européenne. L’Ukraine deviendra membre de l’Union européenne.»
Gérard Cardonne
Reporter Sans Frontières