Ukraine : le dessous des cartes

La guerre a éclaté en Ukraine dans un contexte géopolitique particulier. La Chine a considérablement accru sa pression sur Taïwan, tout en renforçant sa domination en mer de Chine méridionale. De son côté, la Russie a constitué la plus grande mobilisation militaire depuis la seconde guerre mondiale, avant que Poutine déclare reconnaître les indépendantistes du Donbass, et lance ses troupes dans une opération appelée « maintien de la paix ».


Les deux pays réagissent de manière agressive à la volonté des Etats-Unis de maintenir leur hégémonie impériale malgré un affaiblissement relatif. Poutine fustige la politique américaine d’encerclement par l’OTAN depuis plusieurs années maintenant. Selon lui, les Etats-Unis ont à plusieurs reprises franchi les lignes rouges de la sécurité russe, et s’apprêtaient à le faire une fois de plus en intégrant l’Ukraine dans l’OTAN.


Les diatribes sur l’expansion de l’OTAN, les révolutions en couleur parrainées par les Etats-Unis (et leur ingérence dans d’autres affaires intérieures pour poursuivre leurs intérêts), les sanctions économiques unilatérales, la domination américaine dans la finance mondiale et des organisations internationales, tout montre que la question de l’Ukraine n’est en réalité qu’une partie du problème. Ce qui est refusé et contesté, c’est l’ordre imposé par les Américains, en fait l’ordre du monde issu de la seconde guerre mondiale puis de la guerre froide.
Nous ne sommes pas simplement dans une revendication territoriale ou dans une recherche de sécurité, nous sommes dans un affrontement fondamental, incontournable, dont l’enjeu est l’établissement d’un nouvel ordre du monde. Derrière la question de l’Ukraine se profile un combat de Titans.

Les accords de Minsk

Le protocole de Minsk est un accord signé le 5 septembre 2014 par les représentants de l’Ukraine, de la Russie, des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, sous les auspices de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour mettre fin à la guerre en Ukraine orientale. Il prévoyait notamment d’accorder temporairement l’autonomie locale aux régions de Donetsk et de Lougansk et d’y organiser des élections. 

Après une série d’escarmouches, un 2e accord, dit « Minsk ll », a été signé en 2015 sous la houlette d’un groupe appelé « format Normandie » (France, Allemagne, Ukraine, Russie) afin de faire respecter le cessez-le-feu de 2014.

Un comité de surveillance, composé de diplomates, a été mis en place pour suivre l’avancement du dossier.  Tout devait être réalisé fin 2015 mais rien n’a été fait. Et tant la France que l’Allemagne n’ont jamais fait pression sur l’Ukraine en ce sens. 

Coup de force de la Russie

En décembre 2021, la Russie a envoyé aux Etats-Unis et à l’OTAN deux projets de traités exposant ses exigences de garantie en matière de sécurité liées à la position de l’OTAN en Europe orientale. Ces exigences ont été formulées dans un climat de tension alimenté à la fois par un renforcement militaire russe à la frontière de l’Ukraine, et par l’hystérie des Etats-Unis et de l’OTAN face à une incursion militaire qu’ils considéraient imminente en Ukraine.

Les réponses écrites parvenues en janvier dernier à la Russie n’ont pas répondu à ses préoccupations. Au contraire, les Etats-Unis et l’OTAN y énuméraient des voies alternatives à l’engagement diplomatique, notamment le contrôle des armements et la limitation des exercices militaires.


Les Etats-Unis et l’OTAN sont ainsi tombés dans le piège russe. En laissant entendre que tout pays pouvait solliciter son entrée dans l’OTAN, ils ne pouvaient que susciter une réplique. Car la Russie ne saurait admettre que l’Ukraine ou la Géorgie, anciens satellites de l’Union Soviétique, rejoignent l’OTAN, permettant ainsi à des forces armées étrangères, dotées d’engins nucléaires, de stationner à ses frontières. Une situation aussi intolérable pour elle que pouvait l’être pour les Etats-Unis l’installation de missiles nucléaires à Cuba en 1962. 

La Russie a fait comprendre qu’il y avait une ligne rouge à ne pas franchir pour pouvoir disposer d’une zone tampon autour de ses frontières. Le déploiement armé au sud du pays et en Biélorussie poursuivait deux objectifs.

Un : montrer la capacité de la Russie à projeter, au moment de son choix, à l’endroit de son choix, une puissance militaire suffisante pour vaincre rapidement un pays (en l’occurrence l’Ukraine).

Deux : rappeler aux Etats-Unis qu’une promesse orale avait été faite par l’ancien secrétaire d’Etat James Baker, sous la présidence Reagan, au président soviétique Gorbatchev au moment de la réunification allemande. Il s’était engagé à ce que l’OTAN ne se rapproche pas des frontières de la Russie, laissant ainsi les anciennes républiques satellites en position de neutralité.
Le déploiement massif des forces armées russes aux frontières de l’Ukraine a mis au jour l’impuissance politique, militaire et économique des Etats-Unis et de l’OTAN. Les sanctions économiques étaient la seule réponse qu’ils pourraient apporter à un conflit.
En dramatisant, en insistant sur l’imminence de l’envahissement de l’Ukraine, ils pensaient isoler la Russie. Mais l’Allemagne a de grands intérêts économiques avec elle, et elle en dépend fortement pour son approvisionnement en gaz. Le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, s’est d’ailleurs dépêché de contacter Joe Biden afin de lui expliquer la situation de son pays.

Mis devant le fait accompli

Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance des régions séparatistes de Donetsk et Lougansk. En ordonnant l’opération « maintien de la paix », il a permis l’entrée de l’armée russe en Ukraine. Devant l’absence de réaction des Américains, il pousse son avantage et envahit le pays…

Et maintenant ? A court terme, la Russie va subir les sanctions définies par les Etats-Unis, appliquées consciencieusement par l’Europe. La Russie n’aura d’autre choix que de recourir à la production directe de ce qu’elle importait, et de passer par la Chine qui s’est portée volontaire pour l’aider à passer cette phase difficile.
Les Allemands ont décidé de « suspendre » le gazoduc Nord Stream 2. Mais ils continueront à bénéficier du gaz russe transitant par l’Ukraine… à condition que le réseau « swift » ne soit pas coupé. Ce réseau permet de relier toutes les banques du monde entre elles, et d’effectuer des transactions financières. Parmi les sanctions mises en avant par les Américains et par les Européens, aucune ne concerne « swift ».

Les leçons à tirer

D’ores et déjà quelques leçons peuvent être tirées de cette affaire, la première
étant qu’une zone sans armée de défense ne compte pas. Dans l’affrontement avec la Russie, ni le Royaume-Uni, ni la France, ni l’Allemagne, pourtant (théoriquement) économiquement plus puissants, ne sont en mesure de contrecarrer ses visées. Et si l’Ukraine n’avait pas renoncé à son arsenal nucléaire en 1991, la Russie ne se serait pas hasardée à occuper les territoires du Donbass.

Deuxième leçon, il est nécessaire d’avoir une indépendance énergétique. Si l’on touche au réseau « swift », Poutine coupera le gaz. Troisième, l’hypocrisie politique a ses limites. Que peuvent rétorquer les pays qui ont soutenu la guerre contre la Serbie, afin de dépecer l’ancienne Yougoslavie ? Et pourquoi avoir attaqué l’Irak et la Libye, en soutenant des rebelles islamistes contre un régime légitime ? Comment s’opposer à la Russie quand elle prétend défendre le Donbass quand on a soutenu le « droit des peuples à disposer d’eux – mêmes » ?

Quatrième leçon, le mensonge ne tient jamais dans la durée. En 1991, les Etats-Unis s’étaient engagés à ne pas intégrer les anciens pays satellites de l’ex-URSS dans l’OTAN. Mentir ne permet pas d’installer la confiance nécessaire aux bonnes relations entre pays. 

La recomposition du monde

Cinquième leçon, il ne faut pas attendre d’être mis devant le fait accompli mais anticiper. Dépêcher Emmanuel Macron auprès de Poutine, Olaf Scholz auprès de Biden puis Poutine, c’est réagir sans disposer de monnaie d’échange dans les domaines militaire, de l’énergie, de la santé, de l’alimentation. 

Par ses incuries, son amateurisme, ses incohérences, ses intérêts divergents, l’Europe n’apparaît pas comme une puissance mondiale. La recomposition du monde se fera sans elle. Mais nous n’insistons qu’au premier chapitre de cette recomposition. Le deuxième s’ouvrira lorsque les Chinois voudront reconquérir Taïwan. Et en la matière, le suivisme de l’Europe au sein de l’OTAN n’est pas de bon augure.

Chanoine

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