Interview exceptionnelle : 
« Dans le cas du meurtre de Sarah Halimi est-ce que le pardon est possible pour un homme qui a tué sans faire de prison, sans être jugé ? »

Réclamer justice, c’est la quête de Jonathan Behar. L’entrepreneur et conférencier parisien s’est engagé depuis 2017 pour défendre la mémoire d’une “vieille juive” : Sarah Halimi, tabassée à mort puis défenestrée en avril 2017 par un franco-malien. Gros consommateur de cannabis, le meurtrier sera reconnu par la justice comme « irresponsable de ses actes » en raison « d’une bouffée délirante lors des faits ».

Jonathan Behar est l’organisateur des nombreuses manifestations ou évènements consacrés à Sarah Halimi via le groupe de soutien Agissons pour Sarah Halimi.

Presque 5 ans après le drame, il réagit à la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale initiée par Meyer Habib (UDI) qui vient de s’achever. Celle-ci pointe, selon son président, des « dysfonctionnements abyssaux » de la police et de la justice dans l’affaire qui n’a donné lieu à aucun procès.

« Il est sain de ne pas juger les fous, mais Kobili Traoré l’était-il vraiment ? », a lancé Meyer Habib. 

Churchill pour le Torchis – Après l’enquête parlementaire sur l’Affaire Sarah Halimi, est-ce que vous pensez que la vie d’un juif en France à moins de valeur que celle d’un autre citoyen ? 

Jonathan Behar – Non, la France est le pays des Droits de l’Homme, mais pour m’en convaincre je suis bien obligé de détourner le regard : ne pas imaginer qu’il pourrait y avoir des disparités. Les juifs représentent seulement environ 1 % de la population. Ils ne sont pas une priorité. Parfois je me demande : est-ce que j’ai intérêt à me battre pour ce dossier que je défends becs et ongles ? 

Je crois fondamentalement dans les richesses culturelles et les valeurs de la République Française, mais il vaut mieux ne pas trop se poser de questions sur les minorités. Je suis conscient que nous ne sommes pas dans un monde idéal, que les préjugés et les raccourcis touchent souvent ceux qui sont différents, et pas que les juifs d’ailleurs. 

Je ne suis pas dupe. Je sais qu’en pré-période électorale ce n’est absolument pas le moment de rouvrir le dossier Sarah Halimi. Il vaut mieux mettre la poussière sous le tapis…

Pourtant lorsqu’on voit tout ce qui est sorti lors de cette enquête parlementaire, cela aurait dû soulever une révolution ! 

Le député UDI Meyer Habib ne veut rien lâcher, il a été à l’initiative de cette enquête parlementaire. Après les auditions, il constate que les policiers sont arrivés bien tardivement, mais surtout que malgré les cris de Sarah Halimi, ils ne sont jamais intervenus. La rapporteure LREM de la commission Florence Morlighem évoque elle « un respect strict de la doctrine d’intervention ». Qui a raison, qui à tort ?

J’ai fait des vidéos sur les réseaux sociaux. Je réagissais à chaud lors des auditions de la commission. J’étais consterné. Je disais : « mais ce n’est pas possible ! ». 

Quand on voit le policier qui a les clés de la porte d’entrée dans la main et qui raconte : « je n’ai rien entendu ». Mais quelle mascarade ! Concrètement, il se fout de notre gueule. 

Quand tu entends la juge qui affirme que « la serrure était cassée », tu exploses !  Quand on lui demande pourquoi il n’y a même pas eu une reconstitution du crime et qu’elle répond : « mais à quoi bon mobiliser des fonctionnaires et des gens pour cela ? ». Ce « à quoi bon » c’est le signe d’une Société qui n’a plus de valeurs. 

Je vais vous dire pourquoi je me suis engagé dans cette quête, pourquoi je soutiens de toutes mes forces la mémoire de Sarah Halimi. Je pratique les sports de combat. J’ai fait de la boxe. Quand tu es sur un ring, que tu te fais cogner par un adversaire plus fort que toi, tu ramasses fort, mais tu sais que la cloche va sonner et que cela va s’arrêter. 

Sarah Halimi s’est fait fracasser à mort pendant un long moment et personne n’est intervenu. Elle a hurlé pour que les voisins viennent. Elle a espéré que les policiers viennent lorsqu’elle a entendu les sirènes des voitures. Elle s’est dit qu’ils allaient mettre fin à son calvaire lorsqu’ils étaient derrière la porte. Mais pour elle, sous les tombereaux de coups, jamais la cloche n’a sonné. 

Je comprends que les policiers aient eu peur, qu’ils pensaient que le criminel était potentiellement armé ou qu’ils disposaient d’explosifs mais qu’on ne nous raconte pas des sornettes, qu’on ne nous donne pas de fausses excuses. Lorsque Sarah Halimi a été défenestrée, elle est restée des dizaines de minutes à terre sans aucune intervention. Rien. Bon sang, mais ce sont des policiers pas des danseurs de cabaret ! 

Attention, je n’accuse pas la Police dans son entièreté. Je les remercie tous les jours de nous protéger et de nous défendre. Les policiers prennent de gros risques pour notre sécurité. Je veux juste qu’on ait  l’honnêteté de poser les bonnes questions : vous aviez vos flingues à la ceinture, pourquoi ne pas être intervenus ? 

En fait, je veux juste faire dire la justice rien que la justice, non pas la raison. En 2017, mon cœur a parlé, je me suis mis sur ce dossier et je ne lâcherai rien.

Organiser des manifestations cela sert à quelque chose ?

Si vous saviez comme je suis mis sous pression par le monde politique pour ne pas les organiser ces manifestations… La première manif s’est déroulée en juillet 2017. Celle d’avril dernier a recueilli plus de 25.000 participants à Paris sans compter les quatorze autres manifestations qui se sont déroulées simultanément dans le monde. 

C’est grâce à ces mobilisations qu’il a été possible de faire une enquête parlementaire sinon l’Affaire Sarah Halimi était enterrée.  Le regret que j’ai maintenant c’est qu’une partie des députés de la commission, notamment ceux de la République En Marche, ne veulent pas voir la réalité des faits. Quand une rapporteure dit : « il n’y a pas de problème sur une affaire comme ça », je lui réponds « alors c’est quand qu’il y a un problème ? ». 

Les commentaires sur le petit gabarit de Sarah Halimi face à son agresseur très costaud et les conclusions qui disent « qu’elle n’a pas dû crier pendant très longtemps » m’ont écœuré. Il n’y a aucune humanité dans tout cela. Je vois des juges et des responsables qui appliquent des process sans aucune réflexion. Cela révèle des dysfonctionnements dans la manière de rendre la justice. 

Photo de Jonathan Behar

Pourquoi des députés couvrent-ils ces dysfonctionnements alors ?

J’aimerais avoir une réponse. Je vais donc émettre un avis : est-ce qu’à l’aube des élections il est temps pour des politiciens d’accuser la police ou la justice ? Où en est-t-on de l’indépendance des pouvoirs et des contre-pouvoirs dans notre République ? 

Un exemple parmi tant d’autres. Le Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti défenseur du terroriste Mohamed Merah qui tua sept personnes dont la petite Myriam 8 ans, dans l’enceinte de l’école Ozar Hatorah,  vient de déposer des bougies avec le CRIF « honoré » de le recevoir !  Le même Dupont-Moretti,  a appelé la juge dans l’Affaire Halimi avant son audition auprès de Meyer Habib. Mince quoi ! Cela n’interpelle personne ? 

L’erreur est humaine. Nous sommes tous faillibles. On fait tous des conneries. Mais assumez vos errements ! La France est le plus beau pays du monde, je ne me verrai jamais habiter ailleurs, mais je me dis que si cela continue comme cela, que toute humanité est déliée de nos convictions, juste pour être élus et réélus, c’est que nous sommes devenus des décadents. Tout ça par électoralisme !? 

L’Affaire Sarah Halimi est-ce une nouvelle Affaire Dreyfus ?

Non. Dreyfus lui, a eu un jugement et une révision de son procès. Cela ne sera jamais accordé à Sarah Halimi. Il est quasiment impossible d’ouvrir un dossier qui ne l’a jamais été. Après, il nous reste quelques pistes légales que nous étudions avec nos conseils et nous les saisirons. 

Je vous sens très désabusé. Ca y’est c’est fini, vous arrêtez de vous battre ? 

Ah non pas du tout. Jamais. Jamais. Hors de question de se coucher sur la mémoire de Sarah Halimi. J’ai prévu encore quelques petites surprises pour les pouvoirs publics notamment tout au long de ce mois de février : nous allons investir les médias avec des campagnes de communication. 

Chaque citoyen Français doit être au courant de l’Affaire Sarah Halimi ! Il faut que chaque Français se dise : « mince, pourquoi c’est arrivé à cette vieille femme ? Qu’est-ce qui a fait que cela ait pu arriver ? Aujourd’hui c’est une veille juive, mais demain c’est peut-être un couple de gay, c’est peut-être ma mère ou mon père ? »

Avec les bénévoles de Agissons Pour Sarah Halimi, on bosse beaucoup. J’ai la chance d’avoir une équipe volontaire et brillante. Ils ont tous soif de justice. 

Nous nous arrêterons quand le coupable sera jugé et quand le dossier sera traité : ce sont au fond des revendications très simples. Nous voulons juste que les erreurs soient reconnues. Si nous n’obtenons rien sur ces revendications, alors nous pourrons considérer que nous vivons à l’époque du far-West. 

Est-ce que tout cela c’est de l’antisémitisme ou plutôt une idéologie ambiante de je-m’en-foutisme qui vise absolument à trouver des excuses à tous vents aux agresseurs ? Je ne sais pas, j’hésite. J’ai entendu les défenseurs de Kobili Traore expliquer que « c’était un enfant déraciné », « qu’il évoluait dans un contexte familial difficile », « que c’était un pauvre drogué », « qu’il n’avait pas eu de la chance dans sa vie… ».

C’est une justice de rédemption. Il ne s’agit pas pour elle de ne pas dénoncer le crime. Il s’agit pour elle d’humaniser l’agresseur dans un acte d’horreur, de croire qu’un homme aussi violent peut s’améliorer. Comme Sarah Halimi n’est plus là, il s’agit de sauver de l’enfer un criminel, qu’il n’y ait pas deux victimes dans cette tragédie : chercher un peu d’amour et de compassion là où il n’y a rien à trouver. 

Mais Traore est « un irresponsable » : la justice a parlé. On ne juge pas des irresponsables ? 

Ce que je demande c’est une enquête pour savoir si l’agresseur est vraiment « irresponsable ». 

Là il n’y a pas eu d’enquête, rien n‘a été prélevé sur son téléphone, aucune reconstitution, pas d’enquête sur ses fréquentations. Après son meurtre il s’est vanté auprès de ses amis. Il savait qu’il voulait tuer Sarah Halimi ? N’est-ce pas de la préméditation ? C’est ça le fond de ce dossier : le meurtrier est-il vraiment « irresponsable » ? Tous les fumeurs de cannabis sont-ils désormais des irresponsables de leurs actes ou fumer pour tuer est-ce un facteur aggravant dans un crime ?  

Bien sûr, si toutes les preuves avaient été apportées sur l’irresponsabilité, il n’y aurait aucun débat. Il n’est pas question de juger ou de condamner des fous. Mais dans cette affaire, il faut croire des rapports d’expertises qui se contredisent et une mauvaise volonté apparente de répondre aux questions légitimes.

Est-ce que  vous vous sentez sous pression ou en difficulté en défendant la mémoire de Sarah Halimi ?

A l’inverse ! Je suis approché par beaucoup de personnes qui me disent que mon combat est juste, y compris par des policiers qui me félicitent pour mon engagement. 

Je n’ai rien à gagner dans cette histoire, cela me prend du temps que je n’ai pas. A chaque manifestation je mets de mon argent au bout. Ça me coûte une énergie de folie.

Dans l’Ancien Testament il y a un passage où Abraham est tranquillement chez lui et son neveu Loth est pris en otage par les quatre plus grands rois. Abraham se dit alors dans l’impossibilité de rester dans la paix chez lui si son neveu vit une tragédie. Pour moi c’est pareil : je ne suis pas en paix sachant ce qui est arrivé à Sarah Halimi. 

Je redonne aussi une fierté à tous ceux qui trouvent que mon combat est juste. Je ne suis pas seul, nous sommes des milliers à réclamer justice, une vraie justice avec des valeurs. 

Le meurtrier de Sarah Halimi est depuis son interpellation hospitalisé sous contrainte, mais certains journalistes émettent l’hypothèse d’une prochaine libération. Est-ce possible ?

Hélas oui. Nous verrons cela après les prochaines élections présidentielles. C’est terrible. Je ne sais pas quoi vous dire. Je ne fais pas d’appel à la haine sinon mon discours sur la justice n’aurait plus de sens. Qu’est-ce qu’on peut souhaiter comme avenir à un type comme ça ? Je ne sais pas. Je suis incapable de vous répondre. 

Le pardon est parfois possible lorsqu’il n’y pas eu intention de tuer : un automobiliste saoul qui renverse une personne par exemple. La prison c’est la dette que l’on paye à la société pour le mal qu’on lui a fait. Lorsque la dette est payée, il y a moyen de se réinsérer. Mais là, dans le cas de Sarah Halimi est-ce que le pardon est possible pour un homme qui a tué sans faire de prison, sans être jugé ? 

Je ne veux pas me projeter. C’est trop compliqué pour moi. Mais Kobili Traoré va sortir c’est certain. On ne retient pas toute une vie des « irresponsables » dans des hôpitaux psychiatriques, c’est comme ça. Il faudra peut-être même s’attendre à ce qu’il raconte son histoire sur les plateaux télé… 

Vous avez dit tout à l’heure : « Sarah Halimi est une vieille juive ». Est-ce que tout cela n’est pas d’abord « un problème de juifs », comme certains le pensent ? 

C’est légitime de poser cette question dérangeante. Avant Sarah Halimi, il y a eu Ilan Halimi, encore un juif. Mais il y a eu aussi le Père Jacques Hamel dans son église. Et puis le Bataclan où les spectateurs étaient de toutes les confessions ; le policier Ahmed Merabet devant Charlie Hebdo ; le couple de policier ; Nice ; Strasbourg… la liste est longue. Alors non, ce n’est pas qu’un problème de juifs. Le terrorisme touche tout le monde sans distinction. 

Profitant du mal-être ambiant, des islamistes radicalisés ou des organisations à laquelle ils appartiennent veulent nous conduire à une culture de la haine de l’autre, à une culture d’antisémitisme. Tout ce qui n’est pas comme eux doit être détruit y compris les musulmans Français.

Le meurtrier de Sarah Halimi fréquentait la mosquée Omar ; on est loin d’être chez les Bisounours. Face à cela notre Société répond par une culture de l’excuse alors qu’il ne devrait y avoir aucune tolérance. 

Alors qui seront les prochains ? 

Churchill

Interview réalisée depuis la Maison de l’Alsace à Paris avec l’autorisation de son directeur Bernard Kuentz, et avec l’autorisation de William Attal, le frère de Sarah Halimi, pour la publication.  Nous les remercions.

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