Reine de la scène rock alternative française, dotée d’une énergie fédératrice et d’une voix puissante, féroce et charismatique, la chanteuse alsacienne Jewly fête ses 10 ans de carrière. 10 ans où elle a jalonné avec succès la scène hexagonale et internationale en Europe et en Amérique. Plus de 500 concerts, 3 albums, 1 EP. 10 ans où elle est a trusté son image de gentille petite fille et son patronyme de Julie Claden contre celui de Jewly au look déjanté et sexy d’une femme libérée et engagée.
Sa musique atypique et unique, épicée de blues, attire un public de plus en plus nombreux et les plus grands musiciens veulent enregistrer avec elle : Phil Spalding (le bassiste de Mick Jagger, Robbie Williams, The Who, Mike Oldfield…), Axel Bauer sur The Stupid Game Of, Justin Adams (Robert Plant, Sinead O’Connor, Brian Eno…), Hervé Koster (Trust…)…
Pour souffler son gâteau d’anniversaire, Jewly a invité ses copains du Torchis.
Eric Churchill pour Le Torchis :
10 ans de carrière. 10 ans d’un choix intime : celui de poursuivre un métier et des études prestigieuses dans la pharmacie ou celui de tout lâcher pour la musique. Au bout de ces 10 ans, tu regrettes ?
Aucunement. C’est marrant cette question car la chanson que je viens d’écrire pour ces 10 ans de carrière retranscrit ce doute que j’ai pu avoir. Quand tu es chanteur, artiste, indépendant, porteur de ton projet, cheffe d’entreprise car j’ai créé ma société de production, le parcours est très dur physiquement, financièrement, et psychologiquement. Je dis psychologiquement aussi parce que je suis une artiste sensible et très « borderline » ; les hauts et les bas je les ai vécus de manière très intense. Oui, j’ai eu des moments de doutes et des galères, mais en même temps tellement de bonheur et de partage. Et puis des rencontres incroyables avec le public, mais aussi des rencontres humaines avec des programmateurs, des musiciens, des journalistes… Je vis une expérience que j’aime et dont j’ai besoin. Mon métier c’est d’être sur une scène, je le sais, je le sens.
Aujourd’hui tu as du succès. Tu tournes beaucoup. Mais au départ, avais-tu vraiment le soutien de ta famille ?
Je pense que lorsque tu es parent, et je m’en rends compte parce que je suis mère depuis cette année, tu t’inquiètes toujours pour tes enfants. Alors évidemment, oui, ma mère s’inquiète toujours pour moi… J’ai fait des études, j’ai eu mon diplôme de pharmacienne, j’ai exercé. Quand j’ai tout arrêté pour la musique, tout le monde m’a dit : « t’es folle, tu as un super boulot, un excellent salaire ! ». Ok. Mais dans la vie il faut faire des choix. Je n’ai pas peur si la musique s’arrête demain. Je me sens libre. Evidemment, je pourrais redevenir pharmacienne. Mais surtout, en devenant artiste indépendante j’ai développé des compétences professionnelles : la régie, la production, l’écriture, l’animation d’un groupe… Je n’ai absolument pas peur pour mon avenir.
Qu’est-ce que tu retiens de ces 10 ans de carrière, j’imagine que ta tournée aux Etats-Unis a été marquante ?
Oui, évidemment cette tournée aux States est un formidable souvenir. Mais mon meilleur souvenir est finalement très simple : une rencontre sur scène.
Pendant un festival, une petite fille dans le public me regarde avec insistance. Je ne sais pas pourquoi mais je décide de la faire monter sur scène. A ce moment-là tous les enfants ont voulu monter sur scène également, impossible de les faire redescendre. On a continué de jouer avec eux dans une ambiance festive. A la fin du concert, la maman de la petite fille que j’avais remarqué est venue en sanglots me voir, en me disant : « vous n’imaginez pas le bonheur que vous venez de donner à mes enfants. Ce sont des enfants battus par leur père. Je viens de le quitter. Ces enfants sont passés du pire au beau ». Voilà, ce jour-là, je me suis sentie utile. Un artiste, son rôle, son métier, c’est transmettre une émotion. Et alors si cette émotion peut aider, c’est merveilleux.
J’ai vécu 10 ans dans la magie complète de ces instants-là.
Il y a eu des moments où tu as eu envie de tout envoyer valser ?
Ah oui, bien sûr. Aujourd’hui j’ai la chance d’avoir une superbe équipe. Les musiciens qui m’accompagnent sont tops. Mais un jour, j’ai eu une galère en tournée avec un de mes musiciens. J’étais à bout. Je n’en pouvais plus, épuisée. Trois semaines tout le temps les uns sur les autres, loin de tes repères. J’ai fait mes valises, préparé des mails d’annulation de la tournée à tous les organisateurs. Ce qui m’a fait tenir, c’est un concert dans une salle où j’avais déjà joué l’année d’avant. Le public avait tellement kiffé notre prestation qu’on nous avait demandé de revenir, ce qui est rare dans la profession. Je me suis dit que je ne pouvais pas les planter. J’ai fait ce concert et c’était reparti.
Jewly, ta particularité : être engagée. Tes chansons dénoncent le harcèlement à l’école, les agressions envers les femmes, la maltraitance…
Si un artiste ne le fait pas, qui est là pour dénoncer ces atrocités ? Je me sens totalement dans mon rôle. Nous avons la liberté de presque tout pouvoir dire. Je ne me censure jamais lorsque j’écris. C’est aussi la raison qui m’a poussé à vouloir rester une artiste indépendante. Je n’ai pas un label qui vient lisser ma créativité pour la rendre davantage présentable. Je ne fais pas de la musique pour être connue ou pour qu’on m’adule. J’ai besoin de transmettre les sujets qui me tiennent à cœur. C’est une manière d’être cohérente avec moi-même.
Alors oui, c’est engagé. Et plus je vieillis, plus je vais loin. Je prends conscience des injustices. Mon dernier album, Toxic, est très autobiographique, j’aborde des thèmes très divers : les addictions, les pervers narcissiques, MeToo, l’hypersensibilité…
Des chansons assez noires. Pourtant il se dégage de ton rock et de la manière dont joue le groupe sur scène, énormément de bienveillance et de positivité ? Tu es une rockeuse engagée mais pas déglinguée.
Ton commentaire me fait vachement plaisir. Mon but est de dire des choses profondes, sur des sujets dark, mais j’essaye toujours d’avoir une luminosité. Je crois que les virgules blues de ma musique apportent étrangement ce rayonnement. J’ai envie de susciter des émotions positives à mes auditeurs. Si après m’avoir vu ou écouté, ils vont mieux : j’ai gagné.
Tu tournes partout en France et à l’étranger. Je suis persuadé que les alsaciens ne savent pas que la rockeuse Jewly dont toute la presse musicale parle, avec des critiques élogieuses, « égérie de la nouvelle scène alternative », est mulhousienne et qu’elle vit depuis plus de 20 ans à Strasbourg dans un relatif anonymat. Tu fais la gueule aux alsaciens ou quoi ?
C’est vrai. Tu as complètement raison. On me demande rarement des interviews dans la presse locale. Aussi, les programmateurs de salle en Alsace ne me font jouer que très rarement. Cela me fait de la peine. L’Alsace est ma région, je l’adore. Je suis très fière d’être alsacienne. Mais si je dois être honnête, je crois que la première responsable de cette situation, c’est moi. Dès le départ, j’ai voulu construire en sortant de l’Alsace. Regarde pour les autres chanteurs ou artistes de notre région qui ont percé au niveau national ? Si tu ne sors pas de l’Alsace, tu y es cantonné.
Je vois beaucoup d’artistes locaux avec un énorme potentiel et beaucoup de talent qui sont enfermés dans cette image d’ « artiste alsacien ». Sortez ! Sortez ! Votre première tournée vous coûtera de l’argent ; vous ne serez pas bénéficiaires, mais vous vous ouvrirez les portes d’un public plus large. La scène c’est aussi du business. Pour jouer et faire un maximum de concerts, tu es obligé de rentrer de l’argent. Résultat aujourd’hui je joue partout. Mais j’ai pris des risques. Enfin, je joue partout sauf en Alsace, même si cet été, on a eu pas mal de dates pour dire la vérité.
Comment tu vas fêter tes 10 ans de carrière ?
Je vais faire un 45 tours collector, édition limitée. En face A, un titre inédit. Un titre que je ferai en français alors que normalement je chante en anglais. La chanson retrace ma carrière et mes doutes. Sur la face B, ce sont mes fans qui ont choisi par sondage un titre de ma discographie. Je vais le réarranger. Ils ont choisi Melody, de mon album Drugstore. Sur la pochette du disque, on mettra le visage de tous ceux qui m’ont accompagné durant ces 10 ans.
Un disque vinyle, ce n’est pas un peu old school ?
Non, je te rassure, les titres existeront aussi en numérique. Ce qui est important pour moi c’est l’objet. D’ailleurs je veux que ce 45 tours soit rare. Je veux en tirer 100 exemplaires numérotés, pas un de plus. Les fans adorent ce genre de cadeau. J’ai remarqué qu’ils achètent mes albums sur les applis musicales pour l’écouter, et le vinyle pour le garder, le contempler, le toucher. Une galette comme ça symboliquement c’est fort !
On imagine qu’on se revoit dans 10 ans. Qu’est-ce que tu aimerais me raconter pour tes 20 ans de carrière ?
Encore pleins d’anecdotes comme je viens de te les raconter. Des moments de vie qui me réchauffent le cœur. Tous mes concerts. Cette relation intime que j’ai avec le public. Les foules qui se fondent sur moi. Que rien ne remplace le live. Mais surtout, je te donnerai des nouvelles de ma famille. Parce que ma famille c’est tous ceux avec qui je vis cette formidable aventure.
Éric Churchill