Les Etats Unis entrent en guerre en décembre 1941. Le ministère de la défense crée quelques mois plus tard l’Armed Force Radio Service (AFRS) à la demande du général Thomas Lewis. Ce département est chargé d’organiser des programmes musicaux d’une demi-heure, qui seront diffusés dans tout le pays from coast to coast (de la côte de l’Atlantique à celle du Pacifique). Les buts sont nombreux : distraire la population en cette période difficile, inciter celle-ci par des annonces de grandes vedettes à acquérir des bons du trésor afin de soutenir l’effort de guerre, créer un lien entre les soldats et les familles par des messages envoyés sur les ondes. Un nombre incroyable d’émissions de toutes sortes de musique parviendront ainsi dans tous les foyers américains ainsi que sur les théâtres d’opérations.
Le général Mann Holiner, un producteur radio de Broadway est à l’origine de la série des AFRS Jubilees. Ces émissions, pour soutenir le moral des Boys, sont réalisées avec le concours des plus grandes vedettes de la chanson-variété américaine et des orchestres les plus réputés du pays. D’octobre 1942 jusqu’en 1953, l’armée enregistre d’innombrables concerts. Chaque programme est ensuite monté avec quelques titres instrumentaux auxquels on ajoute un trio ou un chanteur/une chanteuse ainsi qu’un sketch de music-hall. La préférence au départ est donnée aux artistes de race blanche, mais rapidement des orchestres afro-américains sont engagés après de nombreuses réclamations de militaires de couleur. Il faut rappeler qu’à cette époque la ségrégation était omniprésente, en particulier dans l’armée et que les appelés Blancs et Noirs étaient séparés pour former des bataillons distincts.
Le monde musical en Amérique est fortement perturbé pendant les années 40. En 1942 l’effectif de l’armée atteint près de quatre millions de personnes, en majorité des hommes. Les orchestres perdent ainsi de nombreux musiciens appelés sous les drapeaux. Chaque foyer possède une radio et ces émissions soutiennent le moral de la population. Cette même année James Petrillo, président du syndicat des musiciens, interdit à ses membres d’enregistrer afin de d’obliger les compagnies de disques à payer des royalties aux interprètes, compositeurs et arrangeurs. La première grève va durer jusqu’en 1944. Cette période coïncide avec la naissance d’un nouveau style, le Be-Bop sur lequel nous ne possédons aucun enregistrement commercial. Les seules et rares archives sonores de ces années, réalisées par des amateurs sur fil métallique, sont de très mauvaise qualité.
Les AFRS Jubilees documentent la musique durant les deux périodes de grève des musiciens 1942-1944 et 1948. Ils nous permettent également d’écouter, grâce à l’enregistrement live, des interprétations complètes de titres souvent amputés par la limitation des trois minutes par face des disques 78 tours.
La production de disques s’effondre durant les premières années de la guerre. Les restrictions imposées par le gouvernement conduisent les compagnies de disques à recycler le shellac (gomme laque) des invendus et disques usés. Ces galettes sont fondues. Le shellac récupéré sert au pressage des fonds de tiroir en l’absence de nouveaux enregistrements et en raison de la très mauvaise qualité sonore, le public boude ces nouvelles parutions.
Le même département de l’armée produit également les V-Discs (disques de la Victoire). Les premiers pressages sont en shellac, mais la pénurie de matière première et sa fragilité pour des disques à expédier sur tous les fronts, en Europe comme en Asie, amènent la radio militaire à trouver un nouveau support, le plastique. C’est la naissance du vinyle.
Les V-Discs, d’un diamètre de 30 cm, réunissent des enregistrements réalisés pour l’armée ainsi que des titres provenant des émissions AFRS ou des catalogues des grandes compagnies de disques. 905 V-Discs ont été pressés jusqu’en 1948 et couvrent un large répertoire : musique classique, symphonique, compilations des titres du hit-parade, variété, jazz. La formule sera reprise bien plus tard avec les Army Forces Records pour les disques expédiés en Corée.
Ces V-Discs sont produits avec l’accord de la fédération américaine des musiciens sans règlement des taxes, droits d’auteurs–compositeurs et avec la participation bénévole des artistes. A la fin de la guerre, le général Howard C. Bronson, directeur de la radio des forces armées, décide de la destruction des matrices de pressage.
Des rééditions pirates sous la forme de compilation ont vu le jour en Lp grâce aux archives de collectionneurs privés. Tombés dans le domaine public, ces enregistrements ont été exploités officiellement au tournant du siècle dernier par la firme Storyville, Danemark 10 CD, et RST, Autriche 22 CD. Chaque disque contient deux émissions complètes. Les V-Discs sont aujourd’hui tous disponibles mais de nombreuses émissions AFRS restent encore inédites, en particulier celles avec le grand orchestre de Benny Carter, qui fut peu enregistré commercialement.
AFRS Jubilee et V-Discs contiennent de véritables trésors enregistrés en live comme le grand orchestre de Count Basie au sommet de sa gloire ou le fameux concert du Esquire All Stars au Metropolitan Opera House de janvier 1944.
Cette riche collection, de Louis Armstrong à Charlie Parker avec Nat King Cole, constitue une documentation essentielle de la scène musicale d’une époque révolue.
Cole Porter