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Yelena

Chapitre XLIV

L’Après-guerre

Rose et Berthold respiraient pleinement le vent de liberté de l’après-guerre. Ils ne rasaient plus les murs, ne baissaient plus le regard, ne se méfiaient plus des uniformes et des étrangers. Ils osaient entrer dans les boutiques librement, sans peur d’être interrogés ou emmenés menottes aux poignets. Leurs joies, leurs rires, leurs attitudes camouflées pendant la guerre, s’étaient muées en une nouvelle liberté qui leur permettait de sortir de leur coquille pour redevenir eux-même. Il n’avaient plus le dos courbé du juif apeuré, ils réapprenaient à bomber le torse, à humer profondément l’odeur iodée de la mer, à oser arracher librement une  feuille de l’arbre pour mieux l’observer et l’admirer sans que leur geste ne soit suspect, ils pouvaient caresser l’écume blanche des vagues pour leur dire qu’ils étaient revenus à la vraie vie, ils tentaient tout simplement de se réapproprier le droit de redevenir eux-mêmes.

Ils gardaient pourtant au fond de leurs âmes, un instinct de méfiance, un sentiment de prudence et de suspicion qui découlait de leur expérience de guerre qui avait développé des intuitions basées sur des signaux imperceptibles.

Ils continuaient pourtant de se protéger par réflexe, par crainte, par prudence. Ils avaient conservé le principe de chuchotement, qui s’était installé dans leur mémoire pendant les années de guerre. « Chuuuut », le fameux chuuuuut index aux lèvres, phrase de leur esclavage au silence et à la frustration. « Chuuut, parle doucement, parle plus plus bas, tais tois, ne dis rien, pas ici, plus tard…, » cette phrase tant entendue, qu’ils répéteront comme un instinct de conservation tout au long de leur vie. 

Le commerce de Berthold avait démarré sur des chapeaux de roues. Cet homme travailleur qui n’hésitait devant aucun challenge réussissait tout ce qu’il entreprenait. L’argent devenait facile comme si un magicien avait mis en place un distributeur collectif. C’était le fruit de leur travail d’équipe. Rose l’abeille, l’économe, la travailleuse gérait  le foyer et le secrétariat. Berthold gérait ses idées de génie dont il disait qu’elles lui fatiguaient son cerveau toujours en effervescence. 

Il était devenu un important acteur du Derb Omar, le quartier des importateurs de Casablanca. Il inondait le marché marocain de nouveaux produits. Il voyageait à travers l’Europe, dessinait ses idées. Il les proposait aux industriels avec lesquels il travaillait. En Tchécoslovaquie il faisait fabriquer les verres à thé selon la forme et la taille et le design traditionnels marocain, à Varese, en Italie, les réchauds Ignis, devaient posséder les fonctions les plus simples pour mieux servir les blédards, en Angleterre, en Grèce, en Espagne, les chefs d’entreprises appréciaient le génie de ce self made man, dont l’esprit était un foisonnement d’idées, qui leur apportait à chaque visite des éléments novateurs qu’ils commandait et  qui leur permettaient d’améliorer leur production.  

Il n’y avait qu’en France métropolitaine, que Berthold se heurtait à l’arrogance, au mépris et au racisme d’un pays auquel la guerre n’avait rien appris, et qui se réclamait de la supériorité de ses lumières. Berthold racontait à chaque retour à Casablanca, la même histoire. Les inscriptions antisémites sur les murs du métro: “Debré fils de rabbin”,  l’antipathie des chefs d’entreprises qui le traitaient comme un sous français du Maroc qu’ils occupaient. Il étaient des patos en France, ils étaient des patos, au maroc, ils sont restés des patos et seront des patos pour l’éternité disait Berthold. Il racontait encore leur manque de courage, alors que tous les autres relevaient tous les défis offerts par un monde qui renaissait de ses cendres.

Le jeune couple avait su prendre le train du progrès en marche,  grâce au Plan Marshall, lancé par les États-Unis qui avaient joué un rôle crucial en fournissant des fonds pour aider à la reconstruction et stimuler la croissance économique.

La période des Trente Glorieuses, de 1945 à 1973 a été marquée par une croissance économique rapide, une modernisation industrielle et agricole et une amélioration significative du niveau de vie.

Pour les Etats Unis, l’opération était doublement bénéfique, les prêts accordés furent remboursés avec un intérêt, et la plupart des entreprises s’équipaient de matériel américain, ainsi, les États-Unis sont devenus la principale puissance économique mondiale. La reconstruction économique a encouragé des changements sociaux importants et conduit à une augmentation du niveau de vie et à la création d’une classe moyenne stable et prospère.

De nouvelles institutions internationales ont émergées avec la création de l’ONU, du FMI et de la Banque mondiale qui a été essentielle pour stabiliser l’économie mondiale et promouvoir la coopération internationale.

C’est au cours de cette période que s’est amorcé  le déclin de l’hégémonie européenne. l’Europe perdait sa position dominante dans l’économie mondiale en cédant la place aux États-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, les habitudes de consommation ont considérablement évolué en marquant le début d’une ère de consommation de masse. La croissance économique rapide et les politiques de reconstruction ont largement influencé l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat, permettant à plus de gens d’accéder à une variété de biens. Les produits de consommation courante, tels que les appareils électroménagers, les réfrigérateurs, machines à laver, téléviseurs, sont devenus accessibles et populaires. Les supermarchés ont également commencé à se répandre, et pour la première fois un seul lieu offrait une large gamme de produits sous un même toit. La culture de la publicité a joué un rôle essentiel dans la promotion des nouveaux produits et dans la création de besoins chez les consommateurs. Puis l’accès au crédit s’est élargi. Il proposait aux gens d’acheter des biens coûteux à crédit et de le rembourser sur une période prolongée.  

La mode et les loisirs ont également connu un essor, avec l’avènement du prêt à porter, une augmentation des dépenses dans les vêtements, les divertissements et les voyages. Les gens ont commencé à consacrer également une part plus importante de leur revenu à des activités de loisirs.

L’accès à l’éducation s’est élargi, permettant à plus de personnes d’acquérir des compétences et des qualifications, ce qui a favorisé la mobilité sociale et l’accès à des emplois mieux rémunérés. l’État-providence a mis en place dans de nombreux pays des systèmes de protection sociale, des prestations de santé, de retraite et de chômage, qui ont contribué à la sécurité financière des individus.

Les activités et les loisirs des gens ont évolué. Le cinéma a connu un essor considérable en  devenant une activité de loisir populaire. Les gens allaient régulièrement voir des films, et les théâtres étaient également très fréquentés. Les sports ont gagné en popularité, avec des événements qui attiraient les foules comme le football, le rugby, le cyclisme. Les Jeux Olympiques ont également joué un rôle important dans la promotion des sports. La musique, notamment le jazz, le rock ‘n’ roll était une source majeure de divertissement. Les bals et les soirées dansantes étaient des occasions sociales importantes. Avec l’essor de la télévision dans les années 1950, les familles se rassemblaient pour regarder des émissions et des séries télévisées, ce qui a transformé les habitudes de loisirs à domicile. Les promenades, les pique-niques, les randonnées et les activités nautiques devenaient populaires. Les gens profitaient des parcs et des espaces naturels pour se détendre et passer du temps en famille. La lecture de livres, de journaux et de magazines était une activité courante. Les bibliothèques publiques ont joué un rôle important en fournissant un accès à la littérature et à l’information. Avec l’amélioration des infrastructures de transport, les voyages et le tourisme ont augmenté. Les gens ont commencé à explorer leur propre pays ainsi que des destinations internationales. Les clubs sociaux, les associations culturelles et les groupes de loisirs ont été des outils de socialisation.

C’est dans ce monde nouveau que Rose et Berthold apprenaient à faire leurs premiers pas, et entraient sans le savoir dans la jungle impitoyable de la seconde partie du siècle.

Slil

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