Si l’on comprend bien ce que certains « vrais démocrates » tentent de nous signifier en ces temps agités de campagne, le danger réel, sans nul doute, se trouve à l’extrême-droite. Si on leur demande ce qu’ils pensent du nouveau Front Populaire, des Insoumis et de leurs alliés, ils vous répondront que la menace n’a rien de comparable. Ils admettront qu’ils sont dangereux oui, mais bon… D’accord oui, ils encouragent, en leur trouvant des excuses ou en ne les condamnant pas, les carnages quotidiens sur notre sol. Bien sûr, certains députés sont clairement antisémites et n’ont même plus la décence de s’en cacher. Evidemment, ils sont provocateurs, irrespectueux des institutions, ils palestinisent l’Assemblée nationale, ils affirment au grand jour leur volonté de créoliser notre société, d’en finir avec la police, de faire de la France le Club Med de la migration, de dissoudre de manière définitive les derniers vestiges de la France dans un délire obsessionnellement wokiste, indigéniste, islamiste et révolutionnaire. Ils voient dans le chaos dont ils rêvent, la préfiguration d’une société nouvelle, hybride, métissée, frérisée, non binaire, dans laquelle chacun peut prétendre à cette visibilité qu’ils exigent.
Oui bien sûr ils ont le projet (et ont déjà commencé), de réinventer les programmes scolaires inspirés par des idéologies absurdes sous couvert d’un prétendu progressisme qui n’est en réalité que le nom déguisé d’une régression sans limite. Mais rien n’y fait. On a beau accumuler contre eux des tombereaux de charges quant à leurs dérapages ou leurs prises de position, on a beau opposer le réel et le factuel à leur déni en en tirant des conclusions de pur bon sens, reste cette petite musique du barrage, qui dit que malgré tout, quitte à choisir…
De qui faut-il s’inquiéter ?
Entre le danger réel que constitue une alliance de formations à l’indignité assumée et la répulsion irrationnelle qu’inspirent les «héritiers» d’un parti « fasciste », la phobie du RN à la vie dure. Ce n’est ni la cravate de leurs députés, leur courtoisie, leur dignité qui changeront la donne, ni encore la teneur profondément républicaine de leur discours, pas plus d’ailleurs que les efforts fournis ces dernières années pour se refaire la façade et se fondre dans le jeu politique. Quand bien même ils s’efforcent de laver leur aura de l’infâmie qui souille leur nom depuis les outrages du père créateur, on l’a dit, on le redit, rien n’y fait. La répulsion viscérale pour le RN ne se fonde sur aucun élément factuel, aucune déclaration douteuse, aucune promesse totalitaire, mais sur une référence déplacée devenue anachronique, un trouble de l’esprit qui relève davantage du fantasme que de l’analyse. Et quand je dis fantasme, je me dois de préciser, nécessaire ! Car sans lui, sans l’imminence de cette prétendue menace de « l’extrême-droite », comment alimenter une campagne ou définir un programme, que ce soit à gauche ou au sein de la Macronie ? Le RN est en fait l’exutoire majeur des haines accumulées, la diversion utile aux problèmes réels, le chiffon rouge qu’on aime à agiter en répétant qu’il faut en avoir peur. Il est le point de ralliement de l’ensemble de ses adversaires, le diapason politique sur lequel tous autour de lui accordent leurs violons. Il est aussi l’alibi, la justification aux insurrections à naître, foi de président. Aux yeux des médias et d’une partie de nos élites supposées, il demeure à jamais l’épouvantail sacré, la bête à abattre et le visage photoshopé d’un nationalisme sournois. Mais force est de constater qu’il est avant tout l’enjeu véritable d’une campagne qui aura surtout brillé par son inconsistance, sa médiocrité et ses alliances de dernière minute.
Il est préférable de se salir avec la gauche que de se déshonorer avec la droite. C’est ainsi. Pourtant, comment imaginer que ceux qui tout récemment ont choisi le vote du nouveau Front Populaire plutôt que celui du Rassemblement National -dans l’hypothèse désormais avérée d’un duel entre ces deux formations le 7 juillet -, n’aient pas intégré, par-delà la portée symbolique ou la signification politique de leur choix, les conséquences, dans tous les domaines et à tous les niveaux, de l’arrivée au pouvoir de personnalités et de thèses pour le moins sulfureuses ? Comment ne comprennent-ils pas que le vote à gauche n’est en rien le gage vertueux du salut du pays mais qu’au contraire, il est la caution désastreuse, pour ne pas dire apocalyptique, d’une crise à plusieurs niveaux que tout semble annoncer de manière inéluctable ? Que leur faut-il de plus pour faire des enjeux civilisationnels la priorité de leurs préoccupations et de la sauvegarde identitaire du pays le point cardinal de tous les combats ? Quel peut être l’intérêt, sauf à vouloir suicider le pays, de confier le pouvoir, même par pure posture anti-RN, à une représentation composée entre autres, de personnages qui haïssent autant la France, que l’idée-même de nation qu’elle doit continuer d’incarner ?
Vous me direz qu’il reste, pour un temps encore, l’option de la bonne conscience, offerte par le camp dit « du bien », qui rassemble ses dernières troupes avant le siège décisif de la forteresse macroniste dimanche prochain. Il reste une poignée d’irréductibles centristes qui en prêtant allégeance au président, espèrent encore un sursaut de vitalité républicaine, puisque leurs adversaires de la droite et de la gauche extrêmes ont quitté (ou n’ont jamais suivi) la voie sacrée de la justice et de la démocratie, à tort ou à raison. Les extrêmes c’est le chaos, nous répètent-ils… À ceci près que le chaos en cours de formation n’est pas plus le fait des délires éruptifs et communautaristes des uns qu’il ne l’est de la menace tranquille et déguisée des autres ; il résulte de mesures au pire erronées, au mieux incomprises. Mais il est aussi l’expression aboutie de la recomposition du spectre politique souhaitée par Macron en 2017, et qui pour la première fois, se heurte à la logique de l’alternance. C’est parce que le vortex macronien a attiré à lui les courants de gauche et de droite les plus compatibles avec son programme, que les extrêmes se retrouvent en position de toute-puissance. Et curieusement, c’est aujourd’hui le centre qui pratique le mieux la stratégie de la peur en les pointant du doigt.
Alors quel crédit accorder aux gesticulations désespérées d’un Premier ministre touché par la grâce, qui promet les résultats que les sept années de pouvoir n’ont jamais produits ? Quel crédit accorder à la parole d’un président sans échine dorsale qui fait de son image sa préoccupation unique, quel crédit accorder à ceux qui se plaignent de la montée des extrêmes sans comprendre que la nature de la période exigeait non pas un «en-même-temps » permanent, mais une attitude tranchée tant sur le régalien que sur la scène internationale ?
Ne sommes-nous pas en train d’assister aux dernières braises d’un triste feu de paille et de manière plus tragique, à l’effondrement de la société française sur elle-même ?
Nestor Tosca