L’Alsace est-elle ménopausée ?

Chapitre VI

Chez une femme, la ménopause signifie la perte de sa capacité à enfanter naturellement. Si nous appliquons cette définition à l’Alsace, nous sommes en droit de nous poser la question de la fécondité contemporaine alsacienne. De quoi a-t-elle accouché dans un passé récent ? 

Il n’est pas question ici des nombreuses initiatives et innovations individuelles dans le domaine économique ou artistique, mais plutôt du résultat d’un travail collectif initié par un ou des visionnaires pouvant apporter une réelle plus-value à la population alsacienne.

Il s’agit bien entendu du domaine politique. 

Depuis la disparition d’Adrien Zeller, à la tête de feu la Région Alsace, où est le leader alsacien de stature nationale ayant une pensée globale et capable d’inspirer ses contemporains ?

Où est celui ou celle, en Alsace, qui a une vision claire sur la décentralisation brouillonne de notre pays et qui se bat chaque jour pour le dire et convaincre comme le faisait Zeller en son temps ? 

Ce n’est pas un hasard s’il était à la tête de la Région Alsace car il l’incarnait. Aujourd’hui la Région Alsace a disparu et il semblerait que le charisme de notre personnel politique a disparu avec elle. 

Pourra-t-on encore trouver des Alsaciens de la trempe d’un Henri Goetschy, Daniel Hoeffel, Marcel Rudloff ou Joseph Rey ? 

Bien sûr nous avons désormais la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) qui est une production du législateur à la demande de Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry qui n’ont pas démérité dans cette création. Cependant cette collectivité n’est qu’un Département à statut particulier par l’adjonction de quelques compétences octroyées sur lesquelles on pourrait beaucoup discuter. 

Cette CEA, si elle a le goût et la couleur du projet de Conseil d’Alsace de 2013 n’en a ni les compétences, ni les pouvoirs et encore moins les moyens. C’est un ersatz alsacien dont beaucoup se satisfont aujourd’hui mais dont le caractère provisoire, revendiqué par beaucoup d’autres, risque de durer…

La dernière production originale et innovante purement alsacienne remonte à 2007 quand les socioprofessionnels alsaciens ont jeté un véritable pavé dans la mare politique régionale en émettant un avis argumenté et détaillé, qui, sur huit pages démontrait tout le bénéfice que l’on pouvait espérer d’une fusion des trois collectivités d’alors qu’étaient la Région et les deux Départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Il s’agissait d’une nouvelle collectivité à statut particulier avec un exécutif distinct responsable devant son assemblée d’élus appelée « Conseil d’Alsace ». 

Cette initiative osée sur un sujet tabou à l’époque, a libéré les esprits et la parole de nos politiques qui s’en sont emparés dans un débat récurrent qui monta crescendo durant six ans. La disparition d’Adrien Zeller en 2009 (opposé à la fusion car préférant la contractualisation et la dénonciation des doublons de l’État en Région) a encore accéléré le mouvement, de même que l’arrivée de Philippe Richert dans le gouvernement Fillon, en charge des collectivités territoriales.

L’idée d’un référendum fût actée et la date du 7 avril 2013 retenue pour consulter les Alsaciens. C’était la première fois en France que les habitants d’une Région avaient leur destin en main autour d’un projet qu’ils avaient eux-mêmes imaginé et sur lequel ils allaient se prononcer sous l’œil attentif du reste du pays. 

Une telle collectivité à statut particulier, permise par la Constitution (article 72), était une vision d’avenir pour une Région au cœur de l’Union européenne dont une des capitales est Strasbourg. C’était aussi et peut-être surtout un premier pas vers une vraie décentralisation asymétrique et moderne qui fait tant défaut à notre pays engoncé dans un centralisme d’un autre âge. Nos élus régionaux pourraient enfin devenir les vrais metteurs en scène de nos politiques publiques alsaciennes et non plus de simples administrateurs et acteurs dans des collectivités aux compétences confuses et sans réel pouvoir.

Sans revenir sur les causes du désastre que fût le résultat de cette consultation dans laquelle l’Alsace s’est vautrée au vu et au su de tout le pays, force est de reconnaître que les vieux démons alsaciens ont refait surface à cette occasion. 

Citons néanmoins la querelle du siège, les postures irresponsables de grands élus, un déficit abyssal d’explications à l’adresse des électeurs, les états d’âme des uns et des autres étalés dans la presse régionale, une campagne beaucoup trop courte, conçue comme pour un scrutin classique et sans aucune imagination. Bref un résultat malheureusement anticipé par ceux qui connaissaient et sentaient le terrain au premier rang desquels le regretté Bernard Stalter.

Ce fût la dernière fois que l’Alsace proposait, innovait, regardait vers l’avenir, vers le haut et en avant. C’était il y a neuf ans… 

Depuis, elle est silencieuse. Honteuse, renfrognée parfois. Les activistes nostalgiques du Reichsland de 1911 sont tournés vers le passé, d’autres s’agitent comme des cabris en criant « L’Alsace, l’Alsace !» dans un discours folklorique et creux qui envie nos amis allemands et leurs traditions comme si nous avions perdu les nôtres ! Nos députés courent toujours après le bon vouloir du législateur et du gouvernement dans l’espoir de nous faire sortir un jour du Grand Est. On sonde grandeur nature à coup de consultation citoyenne mais nous attendons toujours la suite. 

L’Alsace, région historique à l’identité forte est assoupie et manque de souffle comme si son histoire mouvementée l’avait épuisée. Elle est comme ces femmes qui après avoir donné naissance à leur progéniture et l’âge venant entrent dans la ménopause. Puissent l’avenir et les hommes me donner tort…

L’Alsacien

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