Les deux styles fondateurs de la musique afro-américaine, le Spiritual / Gospel et le Blues ont quasiment disparu de la scène musicale. Ils sont pourtant à l’origine du Jazz, de la Soul, du Rock et de ses dérivés.
Les esclaves noirs, évangélisés au XVIII° siècle, découvrent l’Ancien Testament et la Bible. Ils font un parallèle entre leur propre histoire et celle des Hébreux : l’esclavage – le Jourdain et fleuve Ohio, qui sépare le Sud esclavagiste des états de liberté – L’exode des Juifs vers le pays de Canaan avec la fuite des Noirs vers la « Terre Promise », le Nord et le Canada.
Durant la première moitié du XVIII° siècle les Noirs intègrent majoritairement l’Eglise baptiste, qui leur offre plus de liberté de culte que celles presbytérienne et méthodiste. Ils chantent avec ferveur les psaumes et les hymnes compilés dans les deux recueils du Dr. Isaac Watts largement diffusés dans tout le pays.
Les premiers Negro Spirituals apparaissent à partir de 1780 avec la création des paroisses indépendantes noires. Dans ces nouvelles églises, les fidèles peuvent s’exprimer dans la tradition du chant africain : l’emploi des Blue Notes (en Do majeur le Mib et le Sib remplacent le Mi et le Si, notes absentes de gamme africaine) – L’accompagnement d’instruments de musique – L’improvisation – La danse jusqu’à la transe… Au fil du temps, l’interprétation se modifie pour devenir in style à part entière.
Dans le Sud, l’improvisation dans les Spirituals fut un moyen de transmettre des messages codés un utilisant des mots à double sens afin de favoriser leur évasion vers le Nord. (Le Gospel Train to Heaven est la filière vers la liberté)
Les Spirituals se diffusent dans tout le pays au XIX° siècle et connaissent une grande popularité après la guerre de Sécession. Les premiers enregistrements à partir de 1902 ne sont guère convaincants. Les spirituals typiquement afro-américains sont publiés dans les années 20 sous l’étiquette des « race records ». On distingue plusieurs styles : les Prêcheurs et Révérends (souvent autoproclamés), les chorales encore traditionnelles, les guitaristes évangélistes Itinérants, les quartettes masculins (ils sont souvent cinq).
Simplifions la différence entre le Négro Spiritual et le Gospel : Le Spiritual reste proche des textes sacrés tandis que le Gospel en est une interprétation plus libre et désigne également des compositions originales.
Dans les années 20, Thomas Andrew Dorsey, un pianiste, compositeur et chanteur de blues salaces voire pornographiques, a une révélation, la rencontre avec une apparition divine. Tout en continuant sa carrière de pianiste de bastringue, il écrit de joyeux Gospel Songs fortement influencés par le blues. Il lui faudra quelques années pour se faire accepter par l’Eglise en raison de sa mauvaise réputation. Le style de ses compositions, tant par les textes que par les structures rythmiques et harmoniques, est une révolution. En 1932 Tom Dorsey crée une société d’éditions musicales avec Sallie Martin et s’investit dans le monde religieux. Il est non seulement le père du Gospel moderne mais également son compositeur le plus prolifique avec plusieurs centaines de titres.
L’âge d’or de ce nouveau gospel se situe entre le début des années 40 et le début des années 60. On ne compte plus les centaines de groupe de qualité qui se produisent dans tout le pays et sont enregistrés par de grandes compagnies de disques ou aux frais de leurs paroisses. Les quartettes masculins connaissent un succès international, en particulier le Golden Gate Quartet, qui, malgré sa popularité, est loin de de faire l’unanimité des connaisseurs. Ce gospel moderne devenu populaire est pour beaucoup d’artistes, croyants ou non, un moyen comme un autre de faire fortune et de connaître la gloire.
A partir des années 40 le Gospel devient une affaire de gros sous et cette musique envahit les salles de concert. La chanteuse et guitariste Sister Rosetta Tharpe se produit avec le grand orchestre de jazz de Lucky Millinder dans des clubs enfumés avant de faire une longue carrière indépendante. Une autre nouvelle venue la grande chanteuse Mahalia Jackson fait exploser les ventes de disques dans les années 40. Toutes deux sont profondément pieuses mais cette dernière refusera tout engagement dans le monde séculier.
Dans les années 60 le Gospel est devenu un produit commercial. Ses stars se produisent même à Las Vegas. Une chaine américaine programme exclusivement le nouvel gospel tant blanc que noir et l’appât du gain incite les groupes de chanteurs de Gospel blanc à se multiplier. Les aspérités typiquement afro-américaines sont gommées pour plaire à un plus large public. Le Gospel est devenu un spectacle sans âme.
Peu d’artistes viennent en Europe. Il faut attendre les années 50 pour pouvoir applaudir des groupes de talent. Mahalia fait sa première tournée en Europe en 1950, Le Rév Samuel Kelsey et sa congrégation sont au Théâtre des Champs Elysées la même année. Le Hot Club de France et Radio France en sont les principaux promoteurs. Profitant de la mode du Blues, l’agence allemande Lippmann + Rau organise une tournée Spiritual & Gospel festival 1965 avec les Five Blind Boys of Mississippi, les Patterson Singers, Bishop Kelsey La Congregation of Temple Church of God and Christ. Le suisse Willy Leiser fait tourner dans les années 70 quelques groupes dont les Stars of Faith. Dans les années 80 les Barrett Sisters sont en France et participent en 1982 au Festival de Montauban.
De nombreux chanteurs et chanteuses ont fait leurs classes dans ces groupes religieux avant de devenir des vedettes du Rhythm and Blues, de la Soul et du Rock. Parmi les plus connus, citons : Dinah Washington (Ruth Brown), Little Richard (son célèbre Tutti Frutti fait danser toute une génération), James Brown, Aretha Franklin, Tina Turner… Enfin, Ray Charles doit son succès au Gospel dont il « emprunte » le style musical tant dans ses compositions que dans les orchestrations de son grand orchestre. Son Hallelujah I love Her So est un song gospel avec des paroles profanes.
Aujourd’hui le Gospel authentique ou commercial n’attire plus un large public. Il nous reste les documents enregistrés : les DVD (Living the Legends, Good Times, USA) et les disques (une excellente compilation coffret 4CD JSP, Angleterre).
Ce raccourci de son histoire est bien incomplet et la lecture du livre The Gospel Sound (en anglais) de Tony Heilbut est vivement recommandée. Pour des recherches plus poussées, acquérir les discographies Blues & Gospel Records 1902-1942 de J. Godrich et R.M.W. Dixon et Gospel Records 1943-1969 de Cédric. J.Hayes et Robert Laughton (en 2 volumes, Ed.
Léon Terjanian