La chronique de Patrick Pilcer
On pensait avoir vu beaucoup de décisions disruptives aux États-Unis, mais celle annoncée le 19 septembre 2025 sort du lot.
Le président Donald Trump a signé une proclamation imposant des frais de 100 000 dollars pour toute nouvelle demande de visa H-1B. Ce montant astronomique vise officiellement à protéger le marché de l’emploi américain : “favoriser les Américains plutôt que d’importer des compétences à moindre coût”, selon ses partisans.
Mais le monde économique ne fonctionne pas comme cela, voilà le hic, et cette mesure risque d’être une erreur stratégique monumentale. Car quand on empêche les meilleurs de venir ou de rester, on ne freine pas seulement la concurrence, on affaiblit sa propre économie.
Pourquoi c’est une fausse bonne idée ?
Perte de talents et d’innovation :
Les visas H-1B ont longtemps été le pont par lequel chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs étrangers brillants apportaient leur savoir, leur créativité, leur productivité aux États-Unis. Il y avait un deal implicite pour les élèves en Master : vous payez certes très cher une ou deux années d’études mais ensuite vous pouvez travailler aux Etats-Unis quelques années, ce qui vous permet de rembourser vos prêts étudiants, de bien gagner votre vie, de créer votre start-up ou de rentrer dans votre pays avec un beau pécule. Ce coût à présent très exagéré pourrait dissuader aussi bien les individus, qui n’iront plus étudier à Harvard Columbia ou Stanford, que les entreprises, qui arrêteront de sponsoriser ces talents. Certaines universités, startups ou PME ne pourront pas supporter cette barrière. Résultat : baisse de l’attractivité universitaire comme économique, fuite des cerveaux, recul dans la compétition technologique mondiale.
Impact économique pour les États-Unis :
Ce n’est pas seulement une question de morale ou de générosité : c’est une question de compétitivité. Retarder ou empêcher l’arrivée de compétences rares dans les secteurs clés (IA, biotech, ingénierie avancée) pénalise l’innovation, la croissance, la capacité des entreprises à rester dans la course mondiale. Les effets indirects sur l’emploi, les brevets, les investissements sont loin d’être anecdotiques.
Une opportunité à saisir
Si les États-Unis ferment une porte, la France pourrait bien profiter de cette erreur, jouer le contre-champ. Beaucoup de nos compatriotes de haut potentiel, expatriés ou qui envisagent de partir, regardent aujourd’hui ce que le monde leur offre. Ils pourraient choisir Paris, Lyon, ou Bordeaux — si ces villes leur offraient un environnement favorable.
Mais pour que cela soit possible, il ne s’agit pas de leur proposer une chaise bancale : il faut un écosystème complet :
- des incitations fiscales claires pour les hauts salaires, pour les chercheurs, pour les cadres étrangers, pour les créateurs d’entreprise, pour les business angels ;
- un cadre administratif fluide, une bureaucratie moderne, allégée ;
- des infrastructures (recherche, universités, hubs technologiques, transport, logement, écoles primaires, crèches) compétitives ;
- une culture de la réussite et de l’ambition encouragée et non stigmatisée ou surtaxée.
Le mauvais tournant que prennent les débats en France
Malheureusement, les signaux actuels ne sont pas encourageants.
- On parle assidûment de la taxe Zucman, du débat sur la justice fiscale, sur comment faire payer les riches.
- On stigmatise la réussite, on regarde les hauts patrimoines avec défiance. C’est une pente qui devient dangereusement glissante.
- Certains hauts potentiels regardent déjà Milan, Berlin, Londres, Lisbonne ou Rome — des villes qui offrent une taxation plus agréable, une reconnaissance plus grande de l’ambition, et des opportunités de carrière plus ouvertes. On le voit aussi dans l’échelle des rendements des obligations d’état : la France est à présent distancée par l’Italie, l’Espagne, et le Portugal.
Si la France veut réellement profiter de l’erreur d’appréciation de Trump, elle doit éviter ce piège : taxer n’est pas une solution en soi, une martingale, et taxer beaucoup dissuade. Il ne s’agit pas de donner des cadeaux, mais de créer de l’attractivité.
Il faut aussi remettre la mairie au milieu du village et arrêter de mentir aux Français : les riches paient en France beaucoup d’impôts, voire beaucoup trop. Il est faux de dire qu’ils échappent à l’impôt. C’est aussi une hérésie de taxer les stocks et non les flux. Autrement dit, arrêtons de taxer la « fortune », taxons les revenus.
Prenons deux exemples :
Premier exemple : vous avez une idée géniale en IA, vous créez votre entreprise, vous embauchez des talents, vous « levez » 500 millions d’euros sur une valorisation d’entreprise de 2 milliards d’euros dont vous détenez 50%, soit une valorisation de 1 milliard pour votre participation propre, vous commencez à développer vos algorithmes, vos agents IA, votre écosystème. Bien sûr, vous n’aurez au départ pas du tout de chiffre d’affaires, puis au bout d’un an les premiers clients, puis bien plus après deux ans, en tout cas selon votre plan d’activité. Vous consentez à n’avoir qu’un salaire mensuel brut de 10 000€ en visant une meilleure rémunération par la suite ou en cas de vente de l’entreprise. Avec le budget socialiste inspiré par des économistes très à gauche, un budget que pourrait adopter le gouvernement Lecornu pour se maintenir en fonction plus d’un mois, une forme de « concession », de « compromis », de « rupture », vous serez redevable de 20 millions d’euros par an, 5 millions si Lecornu pousse l’arbitrage budgétaire un peu mieux, mais vous n’avez que 10 000€ par mois, brut, sur lesquels il faut payer les charges et les impôts. Résultat, vous allez créer votre entreprise à Milan ou à Rome !
Il est stupide de taxer un stock, la valeur subjective de cette entreprise par exemple. Il est logique de taxer les flux, les salaires de cet entrepreneur, ses dividendes, les bénéfices de sa société, sa plus-value en cas de vente. Et ce qui est vrai dans cet exemple l’est aussi si vous retirez un, deux ou trois zéros : la stupidité ne dépend pas du montant !
Second exemple : Vous êtes le principal actionnaire et Président d’un grand groupe de distribution alimentaire. Vous avez acquis votre participation par endettement, car vous n’avez eu aucun héritage, juste le fruit de votre talent. Toute ressemblance avec un cas réel ne serait pas que fortuite… Vous avez réussi à parfaitement valoriser votre entreprise en bourse, sa valeur vaut bien plus que votre endettement, votre participation est évaluée cinq milliards d’euros pour un milliard emprunté au départ. Avec le budget de gauche, et peut-être celui de Lecornu, vous devez cette année 80 millions à l’Etat. Pour payer ce montant, comme vous n’avez pas de fortune autre, vous devez contraindre votre entreprise à verser des dividendes, équivalents au moins au 2% de la taxe plus l’impôt sur les dividendes que vous devrez payer. Mais cela quelle que soit la capacité bénéficiaire de l’entreprise, qu’elle fasse des bénéfices ou des pertes. Cet argent aurait pu être investi dans sa croissance, dans des hausses de salaires de ses employés, dans son désendettement, et bien non, ce sera pour l’Etat. Pire imaginons que l’année suivante un fonds activiste attaque votre société, la dénigre, stigmatise ses investissements, sa rentabilité, sa croissance plus faibles que ses concurrents européens, et que son cours s’effondre littéralement. Votre participation ne vaut plus rien, vous devez toujours un milliard à vos banquiers et créanciers, vous êtes en faillite personnelle et l’Etat ne vous remboursera jamais les 80 millions payés l’année précédente !
Là encore, il est stupide de taxer les stocks, la valeur subjective d’un actif, d’un bien, que l’actif valle un milliard ou cent mille euros, et il est logique de taxer les flux, les revenus, les dividendes. Ce n’est que du bon sens économique !
Et maintenant, des propositions :
- Supprimons tous les impôts sur les stocks pour ne taxer que les flux, supprimons l’IFI, mais supprimons aussi, enfin, les impôts de production. Au pire, augmentons la CSG et la TVA.
- Arrêtons de faire fuir nos cerveaux et nos entrepreneurs, arrêtons de faire peur aux Français sur leur patrimoine, la France ne peut être un pays collectiviste façon Cuba, Corée du Nord ou URSS version Staline ou Brejnev.
- Mettons en place un statut “haut potentiel” ou “talent international” qui combine facilités fiscales, visa simplifié, recherche de financement public/privé.
- Encourageons les entreprises françaises à contacter la diaspora des Français à l’étranger, et à les inciter à revenir, à financer des incubateurs ou labos qui peuvent attirer ces talents comme les autres chercheurs étrangers dégoûtés par Trump.
- Communiquons positivement sur les réussites, valorisons ceux qui reviennent comme ceux qui vivent en France, montrons que la France est une terre de choix, pas un pays de contraintes. Heureux comme un entrepreneur en France…
Trump croyait sans doute que ce prix élevé protégerait le travail domestique et n’aurait que peu d’incidences sur son économie. Il risque surtout de fermer la porte à des talents vitaux, de ralentir l’innovation, et de laisser d’autres pays profiter du vide.
La France a la possibilité de transformer cette décision en opportunité : rappeler à ses enfants talentueux qu’ici aussi, ils peuvent avoir une carrière, une vie, une reconnaissance — si nous sommes assez lucides pour améliorer notre cadre, assez courageux pour encourager la liberté d’entreprendre, assez ambitieux pour rivaliser sur les idées.
Si nous voulons que Paris soit choisie plutôt que Milan ou que Londres, ou Shanghai, il est temps de bâtir un projet de nation attirante, non pas pour les contraintes, mais pour ce qu’elle offre. Trump rend la Silicon Valley « has been », faisons de Paris la vallée des idées et du courage, the Great Valley. Make France the Great Again Valley !
Vive la nouvelle Start Up Nation européenne !
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers, auteur de « Ici et maintenant – lecture républicaine de la Torah » préface du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, éd. David Reinharc).