« Chers clients, nous aimons tous les humains, d’où qu’ils viennent. Nous pensons que les enfants de ce monde ne doivent en aucun cas être déplacés. Nous sommes une équipe internationale. Nous appartenons à la société civile et nous ne resterons pas les bras croisés comme le reste du monde. C’est pourquoi nous avons décidé de protester. Notre protestation n’a aucun caractère politique, et encore moins raciste. Les citoyens israéliens ne sont pas les bienvenus ici pour le moment. Bien sûr, ils seront à nouveau les bienvenus dès qu’ils décideront d’ouvrir leurs yeux, leurs oreilles et leurs cœurs. »
Si le ton est plus délicat, la cible, elle, est désignée. Cette affichette que son auteur a pris soin de travailler, dans la forme comme dans le fond, placardée sur la porte d’un restaurant en Allemagne, n’a rien d’anodin, rien de surprenant non plus. Elle est le fruit pourri de deux années de démolition de l’image d’Israël, de deux années d’une bataille médiatique perdue même avant d’avoir commencé, tout comme les injures et les accusations avaient éclos avant même que les Israéliens aient commencé à compter leurs morts.
Inutile de dresser la liste des exclusions dont Israël fait l’objet, des menaces de boycott, des griefs qui lui sont adressés, dans le sport, la culture, la politique, les loisirs, les voyages, les salons, les festivals, les universités, les commerces et les restaurants. Cela prendrait trop de place, trop de temps. Car il n’y a aucune équivoque, en dépit de précautions sémantiques qui ne trompent pas, c’est le Juif qui est désigné. La créature de trop au nom de trop, le peuple de trop dans un état de trop.
Cette partie sombre de chacun, cet être errant qui hante les consciences mais qu’on ne peut chasser, celui que l’on n’aime que mort, ou faible, ou victime, mais qui au travers des siècles, continue son chemin et écrit son destin. Il est celui qu’on se refuse de reconnaître, qu’on refuse d’admettre, qu’on refuse tout court. Il est l’énigmatique obsession plurimillénaire qui ne se fonde sur rien qui soit rationnel, le trouble persistant qui n’est d’ordre ni géopolitique, ni économique, ni culturel, ni même religieux. On a beau l’accuser de tout, comme d’être déïcide, empoisonneur, génocidaire, la réponse si elle existe, est ailleurs. Inlassablement, l’histoire répète ses cycles, les réadapte à son époque, les rhabille à la mode du temps, mais le piège qui en résulte est toujours identique au précédent.
Cette pauvre affichette, au fond, inspire davantage de réflexion que de tristesse, même si la vue de ces mots replonge les juifs dans le noir et blanc des années sombres.
« Interdit aux chiens et aux juifs », vous le verrez tantôt à l’entrée des parcs publics, d’un hall de gare ou d’une pâtisserie, écrit sur des ardoises par des mains haineuses. Vous vous y habituerez peut-être avant que les juifs n’aient définitivement quitté ces terres historiquement fertiles à l’antisémitisme, car la question de l’avenir des Juifs en Europe, ici ou en Allemagne, appartient déjà au passé. Après les années 20 viennent toujours les années 30.
Nestor Tosca