Du mythe des puits empoisonnés à l’accusation de génocide : le retour des vieux poisons antisémites

Il y a des résonances de l’Histoire qui, lorsqu’elles s’invitent dans notre présent, doivent être nommées avec lucidité. Depuis quelques mois, dans certains milieux militants, dans la rue comme sur les réseaux sociaux, l’accusation de “génocide à Gaza” s’est transformée en une nouvelle arme d’accusation morale contre l’ensemble des Juifs, bien au-delà de l’État d’Israël. Cette évolution rhétorique n’est pas anodine : elle s’inscrit dans une longue tradition de mythes accusatoires, dont les conséquences historiques ont toujours été dramatiques.

Une accusation totalisante qui rejoue l’Histoire

Au Moyen Âge, les Juifs furent accusés d’empoisonner les puits pour propager la peste, de profaner des hosties ou de tuer des enfants chrétiens lors de prétendus “sacrifices rituels”. Ces accusations, évidemment infondées, avaient un rôle clair : désigner un bouc émissaire collectif, en dehors de tout fait vérifié ou droit à la défense. Elles permettaient de mobiliser les foules, de justifier les pogroms et d’exclure les Juifs du corps social.

Aujourd’hui, une partie du discours militant radical opère une transposition inquiétante : en brandissant l’accusation de génocide sans analyse juridique rigoureuse, on ne vise plus seulement la politique d’un gouvernement, mais on essentialise un peuple, on réactive l’idée d’une culpabilité collective, et on rend les Juifs de France, d’Europe ou d’ailleurs responsables d’un conflit complexe et tragique.

Une confusion volontaire entre peuple et État

Critiquer une guerre, contester une politique, exiger le respect du droit international : ces actions sont saines dans une démocratie. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Ce qui est en jeu dans la rhétorique actuelle, c’est le glissement de la critique vers l’accusation morale totale.

Lorsqu’un enfant juif est traité de “génocidaire” dans une cour d’école, lorsque des militants réclament la déprogrammation d’artistes juifs non israéliens, ou lorsque des synagogues sont attaquées en France au prétexte de Gaza, ce ne sont pas les droits des Palestiniens qui sont défendus, c’est une vieille haine qui trouve un nouveau masque.

Une manipulation émotionnelle fondée sur la désinformation

Dans cette mécanique, l’image joue un rôle central : photos violentes sorties de leur contexte, comparaisons avec la Shoah, slogans déshumanisants, recours systématique au mot “génocide” sans respecter les critères juridiques de la Convention de 1948. Cette charge émotionnelle intense court-circuite le raisonnement, fabrique une vérité alternative, et légitime symboliquement les représailles antisémites.

En miroir des temps anciens, où les rumeurs se transmettaient par les prêches ou les lettres royales, les réseaux sociaux diffusent aujourd’hui à grande échelle un récit aussi simple que faux : les Juifs seraient redevenus les bourreaux de l’humanité.

Résister à cette inversion morale

Ce discours inversé, qui prétend défendre les opprimés tout en attaquant une minorité de citoyens français pour ce qu’ils sont, n’a rien de progressiste, ni d’émancipateur. Il relève du conspirationnisme émotionnel, de la généralisation fautive, et de la culpabilisation essentialiste — autant de mécanismes connus et documentés dans l’histoire des idéologies totalitaires.

Résister à cette rhétorique, ce n’est pas nier la souffrance à Gaza, ni fermer les yeux sur les responsabilités politiques du gouvernement israélien. C’est refuser que le mal soit projeté sur un peuple entier, refuser que la mémoire d’un conflit en alimente un autre, et refuser que la défense d’une cause en justifie une autre injustice.

Pour un humanisme lucide

Nous devons aujourd’hui retrouver la rigueur de la pensée, le respect des personnes et la complexité des faits. C’est le socle d’un humanisme lucide, celui qui refuse les amalgames, combat les discours binaires, et choisit la vérité contre la haine.

L’accusation collective ne rend jamais justice. Elle ne fait qu’ouvrir une nouvelle spirale d’exclusion, de peur et de violence. Et l’Histoire nous a suffisamment appris que quand les mots se déchaînent contre les Juifs, les actes suivent souvent très vite.

Valérie Pilcer

Conseil en gouvernance stratégique | Coach en IA générative | Humanité augmentée & transformation éthique | administratrice indépendante

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