Chapitre XLXIII
Nous avons aimé
Le Maroc c’était aussi eux Rose et Berthold, leurs familles et leurs amis. Ils n’étaient pas là en envahisseurs ou en touristes. Ils étaient là en travailleurs, en enfants, en familles.
Ils n’avaient rien volé. Ils avaient bâti, maison avec les autres, maison par maison, ou route après route, saison après saison.
Leurs parents ont drainé les marécages, planté les vignes, soigné dans des hôpitaux qu’ils avaient construits de leurs mains. Ils n’étaient ni généraux, ni préfets. Ils étaient simplement des gens debout qui ont grandi dans cette lumière. Ce soleil, ce mistraln ce sirocco qui n’était pas tout à fait le même qu’en métropole.
Ils parlaient français, ils aimaient la France, mais ils avaient les pieds dans cette terre rouge, et elle collait à leur peau et à la nôtre.
Ils n’avaient pas été parachutés là. Ils y sont nés, ils y ont aimé, enterré leurs morts, vu naître leurs enfants.
L’école, les moissons, les jeux, les champs, le sable, la plage, les rires. C’était leur vie. Simplement. Leurs vies n’étaient pas un régime, un système ou une idéologie. C’était une vie.
Une vie qui n’était ni un mensonge ni un crime, mais qui a laissé la mémoire d’un arrachement : la peur, les couteaux, le départ, l’exil.
Ce ne sont pas des débats ou des conférences qui nous les fait partir. Ce sont les regards. Les crachats. Les menaces.
Les couteaux sur le chemin de l’école. Les coups de feu dans la nuit. Les voisins d’hier devenus les juges de leurs destins.
Ils n’ont pas quitté le Maroc ils ne l’ont pas fui avec des valises bâclées, des enfants arrachés au sommeil, des morts derrière eux, parfois des morts dans leurs bras.
Ils n’ont pas vu des familles égorgées, des gendarmes pendus, des femmes violées, des enfants massacrés comme en Algérie, comme au 7 octobre dernier.
Ils sont partis, tout doucement car comme en France aujourd’hui, on les poussait à partir.
Tandis que la France comme aujourd’hui regardait ailleurs.
Elle a négocié avec ceux qui tuaient. Elle a demandé de comprendre, d’être dignes, de ne pas faire de vagues.
Ceux qui les traitent aujourd’hui de « colons », de « voleurs de terre », n’ont jamais regardé dans les yeux d’un enfant pied-noir traqué comme un chien.
Ils n’ont jamais vu une mère cacher un crucifix dans sa valise de peur d’être poignardée.
Ils ne savent rien. Mais ils jugent. Comme aujourd’hui la Mémoire est piétinée, ils salissent les morts, glorifient leurs bourreaux
Aujourd’hui, on les somme de se taire.
De baisser les yeux. De demander pardon pour ce que qu’ils auraient été et qu’ils n’étaient pas, qu’ils auraient fait, et qu’ils n’ont pas fait.
On parle de colonisation comme d’un crime absolu, et nous, les pieds-noirs, ont été traités de complices. De profiteurs. De sous-hommes en position dominante.
Mais à ceux-là, à ces procureurs de confort, on demande : Où étiez-vous quand les familles étaient traquées ?
Où étiez-vous quand des écoliers tombaient, égorgés pour être nés français ?
Où étiez-vous quand la France, leur patrie, leur disait : partez, débrouillez-vous, oubliez ?
En cinquante-quatre ans à peine, la France a profondément transformé le Maroc.
Sous le protectorat, les infrastructures modernes ont vu le jour : routes, chemins de fer, ports, écoles.
La langue française s’est imposée comme un outil de communication partout dans le pays, et les enfants marocains ont largement bénéficié d’un enseignement structuré dans les écoles françaises.
Aujourd’hui encore, le français est largement parlé au Maroc, un témoignage tangible de cette modernisation rapide.
Cette modernisation, bien qu’imposée par un régime colonial, a ouvert au Maroc une porte vers la modernité et la mondialisation, tout en forgeant une élite formée à la fois dans la tradition locale et dans les écoles françaises.
Cette élite a porté plus tard les revendications nationalistes et a facilité une transition relativement pacifique vers l’indépendance.
Il serait injuste d’ignorer cet héritage, qui reste un pilier de la société marocaine contemporaine, même si, bien sûr, ce protectorat a aussi laissé des inégalités profondes et des tensions sociales que personne ne peut nier. Et le Maroc a rendu ce qui lui a été donné.
Slil